CONSERVATION DE L’ANCHOIS

Conserver l’anchois, est un choix… (par Khaled Sidhoum)

Dans la ville où la sardine est reine et l’anchois roi, la tendance à la conservation est nettement orientée vers la conservation-maison même si les unités de salaison assurent une production quantitativement et professionnellement plus importante, donc plus visible. Bref un savoir-faire acquis à Ghazaouet et l’on exhibe fièrement les récipients contenant « el houte el mrakade » (poissons salés) dans les bonnes occasions. 
 
Pendant le Ramadhan, la vente de ces anchois faits maison est dans la rue. Bordelaises, fûts, tonneaux et autres récipients envahissent les tréteaux et les anchois salés qui sont très prisés pendant ce mois, de préférence en salade, se vendent comme des petits pains. 
 
Pour ceux qui ont raté la corvée de salaison, il est encore temps de se rattraper en achetant quelques kilos d’anchois. 
 
C’est que l’anchois à saler se conserve dès qu’il est ramené de la pêcherie. Encore frais, étêté, nettoyé de ses viscères, « el boukouroune » . Une partie est prélevée par la maîtresse de maison dans le panier et passe directement à la poêle, dégustation oblige, dans le plat du jour, le reste, la grande quantité, est placée dans un récipient en couches successives sur lesquelles, on répand de grandes couches de gros sel . Le couvercle trouvé, il faut maintenant boucher en assurant une pression sur le contenu. Un poids est mis sur ce couvercle et l’entassement aide le poisson bleu à aspirer tout le sel . 
 
De temps à autre, les connaisseurs vont jeter un œil dans le récipient s’assurer de la bonne salinité et voir si la saumure produite est de nature à garantir une bonne salaison, critère recommandé pour toute bonne conservation. . 
 
Dans toutes les maisons, les anchois ont leur place et c’est là que le visiteur mesure l’attachement des habitants de Ghazaouet pour les anchois, une denrée de marque qui signe l’authenticicité, le naturel de cette vie locale qui se nourrit du monde halieutique. 
 
Dans certains quartiers comme Les Sables, Ouled Ziri et Sidi Amar, la salaison domestique est plus visible puisqu’elle s’affiche par la vue des récipients alignés et qui vous invitent à imaginer ce goût qui vous fera chatouiller les papilles. 
 
Pendant la saison, dès que les galions entrent au port chargés d’anchois, une fois le poisson à quai, et la criée réalisée, de gros camions des entreprises de salaison prennent à leur bord la production direction l’usine. Là, les journaliers recrutés attendent face aux grandes et immenses établis, que le poisson soit déchargé. le travail démarre tôt et chacun s’affaire à étêter l’anchois à un rythme soutenu : femmes, hommes, jeunes sont là, concentrés dans cette tâche, les pieds dans les flaques de liquides sanguinolents fuyant des établis. 
 
Des corbeilles à deux poignées accueillent le produit nettoyé et la chaîne suit son cours. D’autres plus expérimentés vont passer à la phase de salaison qui, elle nécessite un savoir-faire et le doigté. Dans de grosses bordelaises, l’empilement débute, avec de grosses poignées de sel qui noient les couches successives jusqu’à atteindre le rebord du fût et on passe à la suivante…  
 
Dans cette ambiance marquée par la rapidité, la dextérité et la besogne quotidienne, la salaison se poursuit et tout doit se finir avant le soir, car il faudra laver, nettoyer les lieux, l’usine, pour être fin prêts, dans le quelques heures qui suivront, le travail commençant tôt, très tôt le matin… 
 
Ce côté- là de la salaison en usine, est un court témoignage de l’époque d’avant, il y a plusieurs années ; je ne sais si la méthode et le cadre de travail ont changé. Ce qui se sait, c’est que les anchois sont encore un mets prisé, un plat gastronomique dont on ne peut se déparer, ni se séparer, tout comme ces piments conservés au vinaigre, el kalïata, ces poivrons séchés au soleil, ces figues séchées pour en faire « du harfil », et tant d’autres productions agricoles qui restent traitées et conservées d’une façon domestique. Histoire de faire un clin d’œil au passé ? Désir de manger naturel, sans ingrédients, colorants ou autres produits chimiques ?  
 
C’est un choix de saler à l’ancienne, un choix domestique qui marque la spécificité de la cité des Deux Frères, comme à Béni-Saf et dans d’autres ports algériens. 
 
Un choix de garder sur la meïda, un plat de la région qui se déguste à l’huile d’olive, en salade en toutes périodes de l’année. El houte lamrakade, el boukouroune, sala morra deviennent alors des mots magiques qui vous font dresser les oreilles et saliver, dans un lexique local où « yabraque, hout fil plat, houte makli, echouaïa, tab el houte ouala mazal, ikhasso echouïa bache itèbe, lahmou ra had ekhtaare…et d’autres » sont l’apanage des consommateurs à la fois producteurs et qui se refilent ce savoir-faire de père en fils et de familles en voisins… 
 
Rakade est aussi utilisé pour dire « conserver tout, y compris des liasses d’argent », mais là, c’est une autre façon de faire, inconnue des gens qui ont eu à  » rakade les anchois, les tomates, el kaliata « ….
 
 
Khaled SIDHOUM