LA DOMINATION TURQUE : DJEMÂA-GHAZAOUÂT

Sous la domination turque, le nom de Djemâa-Ghazaouât, qui signifie « la réunion des pirates », désignait la bourgade de Taount devenue, comme Oran et Honaïn, un nid de forbans et d’écumeurs de mers, bien connus dans l’Histoire sous le nom de « pirates barbaresques ».

A cette époque, sur l’emplacement occupé actuellement par les constructions urbaines, s’étendaient des jardins et des vergers. L’oued Taount, aujourd’hui détourné, coulait au pied même de la falaise est, en bas et le long du quartier de « Brigandville », bâti sur le flanc de la montagne de Taount.

Vers l’ouest de la vaste plage, l’oued Ghazouanah, beaucoup plus important que le premier, se jetait dans la mer par un estuaire assez large, devant lequel les grosses mers formaient une barre qui ne se rompait que sous la violence du courant.

D’après la tradition, la mer qui se confondait aux moments des crues avec le torrent de Touent, arrivait jusqu’au lavoir public, désigné plus communément sous le nom de « bassin », à proximité de la porte dite de Touent (Taount).

Il y avait donc, à cet endroit, une petite crique naturelle où les eaux étaient constamment calmes. C’est dans cette petite crique, complètement dissimulée à la vue des navigateurs passant au large de la côte, que les pirates amarraient leurs rapides felouques à deux mâts légèrement inclinés en avant et pouvant se déplacer aussi bien à la voile qu’à l’aviron.

Perchée sur la montagne de Taount qui dominait la mer et la crique, les vigies scrutaient l’horizon. On peut encore y voir les traces d’une petite tour de vigie de forme carrée.

La population de Taount était hétérogène. Elle se composait de Berbères, d’Arabes, de Maures andalous chassés d’Espagne, de Turcs, de renégats, etc… Elle n’hésitait pas à allumer de grands feux à la nuit tombante pour faire échouer les navires et s’emparer de leur cargaison. Si d’aventure, il y avait des femmes à bord, ils les emmenaient à Taount pour en faire leurs esclaves ou leurs épouses.

De ce mélange est sortie une génération d’un type particulier, remarqué pour la première fois par le lieutenant-colonel de Montagnac, en 1844, lorsque les Français vinrent s’installer sur ce point du littoral de la province d’Oran.

« Les hommes y sont plus proprement vêtus que ne le sont ordinairement les Arabes, écrivait-il à son oncle, et les femmes ont dans leur mise plus de coquetterie que les autres. Elles arrangent assez bien leurs cheveux ; on retrouve chez elles le type espagnol et italien. Ce ramassis de masures informes, dit-il, en parlant du village de Taount qui domine la baie, est un nid de forbans qui fournissait d’audacieux pirates qui se sont enrichis en écumant la Méditerranée.

« Ils ont dû aussi, dans leurs expéditions, enlever quelques femmes, surtout des Espagnoles et des Italiennes : de là, cette différence dans le type et cette recherche dans la mise que l’on ne trouve pas chez les femmes arabes ». (Lieutenant-colonel de Montagnac. Lettres d’un soldat, Djemmâa-Ghazaoûat, le 6 septembre 1844, à M. Bernard de Montagnac).

En 1925, le regretté Doumergue écrivait dans « Le bulletin de la Société de Géographie et d’Archéologie d’Oran, tome XLV : Contributions au préhistorique de la province d’Oran, note 1 : « Fait curieux, les Berbères de Nemours, généralement blonds, ont beaucoup plus que ceux des autres régions, le faciès européen. Si les fillettes et les jeunes femmes étaient habillées à l’européenne, il serait bien difficile de reconnaître leur origine berbère ». 

Après l’occupation turque de Tlemcen, la région de Nédroma-Nemours, (dont les gens d’après Gramaye, étaient alliés aux Matghara et ne payaient qu’un faible tribut) fut en butte aux convoitises des Chorfas du Maroc.

« En 1061 hégire (1651 de J.C.), écrivait Basset, Moulay Mohammed ech Chérif, chef de la seconde dynastie des chorfas, après avoir ravagé le territoire des Béni Iznacen, s’être emparé d’Oujda, avoir soumis les Béni Snous, et les Ouled Zekri, marcha sur Nédromah et envoya des partis contre les Matghara, les Guedima, les Trârâ et les Oulhâsa ; puis il revint à Oujda. Une seconde invasion marocaine eut lieu en 1089 hégire (1678-1679), conduite par Moulay Ismaïl qui s’avança jusqu’au Chélif. Les Turks reconnurent au Maroc la Tafna pour limite. Mais cette convention ne fut pas exécutée, car une garnison turke continua de résider à Nédromah ». (René Basset – Nédromah et les Traras – Paris 191 Pointe-à-Pitre 15-16).

C’est le voyageur anglais, Thomas Shaw, chapelain de la factorerie anglaise d’Alger, qui a révélé à l’Europe, au cours de la première moitié du XVIIIème siècle, le nom de « Twunt » (Taount), dans le récit de ses « Voyages ou observations relatives à plusieurs parties de Barbarie et du Levant », ouvrage publié à Oxford en 1738, traduit en français et publié à la Haye en 1743.

Dans cette première édition française on peut lire (p. 24) : « Twunt (Taount) village frontière des Algériens sur la mer est à sept lieux à l’Est-Nord-Est de Maisearda (il s’agit de M’Sirda) et a un petit fort ».

Enfin, sous le règne du dernier Dey Hussein, la région de Nemours-Nédroma était habitée par la confédération des Suwâhliya qui faisait partie, d’après Louis Rinn, de la catégorie des alliés ou vassaux autonomes, reconnaissant la supériorité des Turcs mais payant un tribut.

« Certaines tribus alliées ou vassales écrivait Rinn, différaient par des meilleures tribus makhzène. Toutefois, elles avaient sur celles-ci l’avantage de pouvoir choisir leurs chefs, au lieu de recevoir un caïd turc pour les commander. Plusieurs, à titre d’hommage, payaient un impôt fixe (ghomara) qui, quelques fois, se réduisait à un cheval de gada et à quelques moutons, et qui, en tout état de cause était toujours moindre que les impôts hokar, achour et zekkat prélevées sur les tributs rayat. Ces confédérations et ces fiefs héréditaires, alliés ou vassaux, étaient autonomes ; les chefs élus, traditionnels ou dynastiques, avaient droit de haute et de basse justice, c’étaient autant de petits Etats ayant leurs lois et leurs organisations particulières ». (Louis Rinn, Le royaume d’Alger sous le dernier dey, Alger 1900).

Le nom de Nemours figure sur la carte en couleurs dressée par l’auteur. D’après la teinte qui s’y trouve, on peut en déduire que la situation des habitants de Djemâa-Ghazaouât a été la même que celle des habitants des Suwâhliya, des M’Sirda ; Djbâla et Achache, confédérations autonomes et payant un tribut et qui concouraient à la formation, dans la région des « Douairs et Zméla » de l’Outane de Nédroma, compris lui-même dans le Beylik-Ouahrân, dont Ouahrân, c’est-à-dire Oran, était le chef-lieu depuis 1792, après avoir été successivement à Mazouna (de 1515 à 1700) et à Mascara de 1700 à 1792.

Après l’arrivée des Français en Algérie, par le désastreux traité de la Tafna (30 mai 1837), la région de Djemâa-Ghazaouât passa officiellement sous la souveraineté de l’Emir Abd el Kâder jusqu’au moment où ce dernier rouvrit les hostilités, en novembre 1839, et proclama la guerre sainte à la suite de l’expédition française des Bibans (passage des Portes de fer), qu’il considérait comme une violation manifeste du traité qui, dès lors, fut définitivement rompu.

A la période de l’occupation restreinte allait succéder l’occupation totale décidée par la France à partir de 1841 et réalisée par Bugeaud.

Quoi qu’il en soit, la plage de Djemâa-Ghazaouât ne fut occupée par les Français qu’en septembre 1844, date à laquelle elle fut choisie par le général Lamoricière comme point de débarquement et de ravitaillement des troupes opérant sur les confins du Maroc.

LA BAIE DU TEMPS DE DJEMÂA-GHAZAOUÂT

Source : Monographie de Francis Llabador

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