Avant tout propos, il faut souligner le caractère essentiellement privé de l’entreprise mise en place par Louis Say et qui en fait, sans aucun doute, un cas unique dans les annales de la colonisation algérienne. Même s’il était un propagandiste de l’expansion coloniale, il n’en était pas moins un grand défenseur de l’Algérie.
Louis Jean-Baptiste Say, né un 30 janvier 1852 à Nantes, descendant d’une lignée d’économistes et d’industriels nantais, n’a pas découvert le site du Kiss par hasard, car s’il l’avait déjà exploré en 1886, il ne s’y installa qu’en juillet 1900. Il faut savoir que Louis Say n’était pas seulement Enseigne de Vaisseau, il fut aussi explorateur. Il fit partie de la désastreuse mission Flatters au Hoggar en 1880.
A en croire Jean Hess, médecin, journaliste et explorateur, l’idée de construire un port à cet endroit remonte à 1764 lorsque le Bailli de Suffren, vice-amiral, voulut établir une liaison maritime avec les Iles Zaffarines. Mais c’est finalement Say qui, sans autorisation aucune, entreprit la construction de son port en 1904.
Au départ, Louis Say voulait s’établir à Cap de l’Eau, au Maroc, de l’autre côté de la rive du Kiss. Mais Lyautey, qui avait des vues sur le Maroc, lui refusa l’autorisation de s’installer et de créer une route commerciale allant jusqu’à Fès. Durant plusieurs années, il chercha vainement en France et surtout à Paris, les appuis financiers qui lui étaient indispensables pour la concrétisation de son projet. Finalement, ne recevant aucune aide, il finit par quitter la France à la fin du mois de juin 1900, bien décidé à passer à l’action.
Pour réaliser l’œuvre constructive qu’il s’était assignée sur les bords du Kiss, il fallait nécessairement à Louis Say d’importants capitaux.
En 1900, sa mère lui donna la possibilité de commencer ses achats de terrains en lui fournissant les fonds indispensables. De son vivant, elle le gratifia de petites subventions qui s’avérèrent insuffisantes, puisqu’il fut dans l’obligation d’emprunter au Crédit Foncier les sommes nécessaires pour continuer les travaux entrepris.
Après le décès de ses deux frères et de sa mère, Louis Say fut mis en possession d’une fortune en France qui, en terres et en argent liquide, représentait près de 3 MF, somme énorme à l’époque (539 MF en 1948). Il vendit tous ses biens au fur et à mesure de ses besoins.
Lorsque Louis Say vint planter sa tente sur la plage du Kiss en juillet 1900, il y trouva cinq pêcheurs rifains originaires de la tribu de Boqqoya. Il n’est pas inutile de rappeler que la tribu d’où ils étaient issus fut pratiquement massacrée par les soldats du Sultan Moulay Abdelazziz, au printemps 1898, parce qu’une quarantaine de Boqqoya s’étaient enrôlés dans le régiment des Tirailleurs de la Province d’Oran.
Les chefs et les notables Boqqoya qui avaient été convoqués par l’envoyé du Sultan, le Chérif Moulay Boubeker, furent sauvagement attaqués pendant la nuit dans les tentes où ils dormaient. Une cinquantaine d’entre eux furent massacrés, une centaine environ emprisonnées et incarcérées, d’abord à Tanger puis à Mogador. Seul un petit nombre réussit à s’enfuir à la faveur de la nuit.
Le lendemain, la tribu elle-même fut en partie razziée par les sbires du Sultan qui, renforcés par les tribus voisines, n’épargnèrent ni les femmes ni les enfants. De nombreux rescapés, parmi lesquels se trouvaient les familles des tirailleurs, se réfugièrent sur la grève de Hajrat Badès.
Environ trois cent personnes prirent passage sur le paquebot français Emir, lequel fit route sur Oran. Ces réfugiés, parmi lesquels on ne comptait qu’une cinquantaine d’hommes, furent débarqués à Oran le 18 juin 1898 et furent installés par les autorités françaises à la Porte du Santon, près du fortin.
Après avoir vécu une année à Oran, les réfugiés, formés de fellahs et de marins, décidèrent de rentrer chez eux. Les fellahs, qui avaient reçu des terres dans les Beni-Snous, reprirent le chemin de leur tribu d’origine. Aux marins qui se fixèrent aux Béni-Mengouch, le Gouvernement Général leur avait donné trois barques pour leur permettre de pratiquer la pêche et, le cas échéant, de commercer avec les Iles Zaffarines.
Aux autres marins, qui préférèrent demeurer sur la plage du Kiss, le Bureau arabe de Lalla-Maghnia, leur avait fourni deux embarcations : le Marie et le Marsouin, que, par la suite, Louis Say leur racheta.
Composée en 1900 des nommés : Allouche, Larbi, Ferreco, Botahar et Molino, cette rude équipe de pêcheurs, ne tarda guère à entrer au service de Louis Say. En 1902, pour mieux les retenir auprès de lui, Louis Say leur fit bâtir un village entouré d’une enceinte crénelée sur le promontoire d’El Kelaa dominant la mer.
Une fois convenablement installés, les Boqqoya firent alors venir leurs familles et leurs amis, de sorte que la petite agglomération, qui comptait plus de cent Rifains en 1904, put fournir la majeure partie de la main-d‘œuvre nécessaire à la construction des premières jetées de Port-Say. Marins intrépides et cavaliers à l’occasion, les Boqqoya accompagnaient toujours Louis Say dans ses expéditions.
Après une excursion à l’embouchure du fleuve de la Moulouya, le 14 juillet 1900, Louis Say plante sa tente sur le petit promontoire d’El Kelaa qui domine à l’Est la plage du Kiss. Puis, ensuite, au pied de ce promontoire, il battit en guise d’habitation provisoire, une modeste hutte.
Fort de ses relations avec les tribus marocaines des Béni-Iznassen et des Kebdana, il entreprit aussitôt d’explorer la contrée. En étudiant la configuration de cette partie du littoral, Louis Say se rendit bien vite compte que la vaste plaine pouvait convenir à l’établissement d’un centre commercial.
Il prit donc les mesures nécessaires pour acquérir toutes les terres et la plage du Kiss. A Nemours, il acheta par-devers notaires tout l’espace compris entre les derniers contreforts du Cap Milona, de Chaïb Rasso et de la rivière Kiss.
Le domaine acquis renferme les plages du Chelih ou Moscarda, le promontoire d’El Kelaa, les collines d’argile et toute la plaine qui va jusqu’à l’Oued Kiss. Sa propriété est bornée par la mer et par les derniers chaînons de Chaïb Rasso.
Comme on l’a vu plus haut, le Bailli de Suffren aurait déjà préconisé la création d’un établissement s’appuyant sur les Iles Zaffarines et servant de débouché à une entreprise de colonisation.
En 1845, le Maréchal Bugeaud avait songé, un temps, à utiliser le mouillage de l’oued Kiss, pour établir une base afin de pouvoir châtier les tribus marocaines qui venaient en aide à l’Emir Abdelkader. Mais il abandonna cette idée au profit de Djemmâa-Ghazaouât, à cause de l’envasement perpétuel, fort peu commode pour l’amarrage des navires.
Jugeant à son tour que cette partie du littoral était propice, en raison de sa situation géographique, à la création d’un centre maritime, Louis Say décida de construire une petite crique artificielle pour son futur port.
Vers la fin de l’année 1902, Louis Say sollicita l’autorisation d’entreprendre, à ses frais, les travaux d’un petit port-abri. Impatient d’améliorer les opérations maritimes, il faisait commencer la construction de la jetée Ouest le 1er février 1903 sans attendre l’autorisation officielle qui ne lui sera accordée que le 3 septembre 1912 !
Commencés en 1904, les travaux de la jetée Ouest qui ne furent jamais achevés, se poursuivirent jusqu’en 1911 sans l’approbation des pouvoirs publics. Louis Say fut même condamné en correctionnelle à 16 francs d’amende pour faute d’autorisation. Il fut plusieurs fois verbalisé par les Ponts et Chaussées.
Pour éviter l’ensablement et maintenir des fonds de 3 mètres au moins, des essais de dragage furent effectués durant l’année 1912 sous la direction de M. Bourmancé-Say, qui était le fils adoptif de Louis Say.
L’outillage nécessaire avait été préparé dès l’année 1900. Mais en raison des frais élevés qu’ils occasionnèrent et qui effrayèrent Louis Say, ces utiles dragages ne purent malheureusement se poursuivre. Et il semble bien qu’à partir de cette époque, Louis Say, faute de capitaux solides, se soit trouvé quelque peu gêné pour rendre le petit port utilisable.
Ce port qu’il a commencé à construire malgré l’opposition des Ponts et Chaussées de Nemours, placé près de l’embouchure d’un fleuve qui alluvionne beaucoup, était voué à l’ensablement. Cet échec est dû aussi à la résolution prise par la France de placer sur l’Atlantique ses bases de pénétration au Maroc.
Mais Say resta attaché jusqu’à son dernier souffle à la grande idée de sa vie : construire un port tant pour le commerce que pour la marine.
L’Administration le persécute, le commerce le boude, la navigation ne se laisse pas tenter par les jetées construites à ses propres frais, la marine de guerre se moque de ses redoutes en bois bâties sur les hauteurs pour protéger une hypothétique station de torpilleurs. Louis Say ne se décourage pas pour autant, continue d’engloutir sa fortune personnelle, ne songe pas à partir et s’obstine dans son projet.
Pour contrer l’influence du port du Kiss dans le transport des marchandises, les Nemouriens firent approuver le prolongement du petit quai Ouest, sur une longueur de 25m80, l’installation d’une grue de 3 tonnes et la réfection du perré existant sur le front de mer.
La construction d’une crique artificielle et l’ouverture d’un bureau de Douane à Adjeroud-Kiss par décret du 25 octobre 1903, ne pouvaient laisser les Nemouriens indifférents et apathiques.
Se rendant parfaitement compte de l’insuffisance des aménagements de leur port, ils obtinrent la réunion d’une commission nautique le 22 mai 1905. Jugeant que le moment était venu de doter Nemours d’un port-abri, elle approuva le projet présenté par les Ponts et Chaussées, projet comportant une jetée Nord, une jetée Ouest et un brise-lames. Les travaux commencèrent le 19 décembre 1907.
Cette décision sonna la condamnation de Port Say, car Louis Say ne pouvait lutter avec les millions de l’Etat engagés dans la construction du port de Nemours. Et c’est ainsi qu’après sa mort, Port Say se dépeuple et le trafic se porte vers Nemours.
En fait, logiquement, c’est Port Say qui aurait dû jouer ce rôle capital dans le mouvement économique de cette région, car, géographiquement, c’est le point de la côte méditerranéenne le mieux situé. Mais un tel avantage ne suffit pas, car il y a d’autres facteurs importants qui interviennent et que l’on ne peut négliger.
C’est ainsi qu’en raison des grosses difficultés techniques résultant de la faiblesse des fonds et de leur rapide ensablement par les apports constants de la Moulaya et de l’oued Kiss, la construction d’un port de commerce devant la plage de Port Say, ouverte à tous les vents, aurait été extrêmement difficile et aurait nécessité des travaux d’entretien extrêmement onéreux.
Tout travail de port serait destiné à un envahissement rapide par l’alluvionnement. Ces mêmes difficultés feront renoncer, plus tard, à la construction d’un port à Saïdia.
Et c’est ainsi, qu’en présence des mauvaises conditions nautiques du mouillage, il fallait nécessairement tourner les yeux vers la côte de l’Oranie et y rechercher un port susceptible de remplacer Port Say. Et c’est en juillet 1928, lors de la conférence nord-africaine à Rabat, que Nemours fut choisi officiellement comme débouché indispensable de tout le Maroc oriental.
Seul, en dépit de tout et de tous, ce Breton de la mer, qui voulut faire naître, en terre algérienne, sur les bords pittoresques de l’oued Kiss, un port de commerce devant servir de débouché aux immenses plaines du Maroc oriental, se résigne à accepter le sort du Breton jardinier. Il fait des jardins potagers, plante des pépinières, ensemence des champs de céréales, assèche un marais pour en faire un square d’agrément. Il fait fleurir des géraniums rosat pour les distillateurs de parfums. Dans ses montagnes paissent des vaches bretonnes.
Et comme cette tâche est au-dessus des forces d’un seul homme, il appâte les bonnes volontés avec des prospectus rayonnants d’espérance. Des colons viennent, qui mettent en valeur la plaine de Berkane, puis les bonnes terres à blé, à vigne et à légumes du Maroc oriental. Port Say, débouché de cette petite France nouvelle. Voilà le dernier rêve, moins grandiose que le premier, certes, mais il en poursuivra la réalisation jusqu’à ce qu’il meure à la tâche.
Car Port Say agonise aussitôt après la disparition de son fondateur. Il ne lui reste plus que l’espoir de devenir une station balnéaire, un lieu de repos, au lieu de la trépidante métropole qu’avait rêvée le hardi Nantais.
Dans ce coin déshérité de la frontière, il a coulé beaucoup de sueur et un peu de sang. Il ne reste plus qu’une belle histoire, que je vais vous conter.
CREATION DE PORT SAY
Dès le mois d’avril 1901, Louis Say bâtissait un immeuble tout en rez-de-chaussée pouvant loger les ouvriers spécialisés et les visiteurs, qu’il nomma la Posada.
En 1902, Louis Say faisait édifier, un peu à l’Ouest de la Posada, un bâtiment extérieurement de style mauresque, renfermant une grande pièce, servant de salle à manger, appelé le Colonial Club, par humour.
Pour parer au plus urgent, Louis Say fit l’acquisition de quelques types de baraques démontables destinées à loger quelques-uns des premiers habitants et artisans. Ainsi, un petit village ne tarde guère à s’étendre à côté de son habitation et Louis Say déploie une prodigieuse activité, car tout reste à faire dans ce coin sauvage et inculte.
Coiffé d’une casquette blanche, il va et vient à travers les chantiers, parmi les ouvriers qui creusent, nivèlent, construisent des maisons, plantent des arbres ouvrent des chemins et aménagent des sources sous son regard vigilant. En l’espace de six années, un coquet village européen, tapi à l’Est de la plage, avait surgi. C’est ainsi que Port Say fut fondé.
LES CONFLITS
Mécontentement des habitants de Nemours. L’installation de nouveaux colons à Berkane et ses environs leur firent craindre la perte de leurs propres commerces.
Devant les visées qui risquaient de compromettre sérieusement l’avenir de leur port, les Nemouriens firent appel à leurs représentants au Parlement et au Sénat et, grâce à cet appui, un courant politique et administratif ne devait pas tarder à se manifester en faveur de Nemours. De là, les tracasseries administratives et les diverses embûches dont eût à souffrir Louis Say.
L’installation définitive de Louis Say sur la plage du Kiss et l’annonce de la réouverture possible des marchés de la frontière, interdits au commerce depuis 1887 pour cause d’insécurité due aux bandes de pillards marocains, firent naître beaucoup d’appréhension parmi les négociants et commerçants de Nemours.
En effet, ils craignaient que ces embarquements au Kiss et que ces installations de chantiers sur ce point, s’ils étaient autorisés, auraient des conséquences désastreuses pour la ville de Nemours et que ce serait la ruine complète, non seulement de la région de Nemours, mais aussi de celle de Maghnia.
LES ATTAQUES
Alors que le 27 novembre 1907, des contingents marocains attaquaient l’usine de crin de Bab el Assa, où furent tués un lieutenant, un sergent et douze soldats de la 16ème compagnie du 2ème tirailleurs de la garnison de Nemours (voir monument zouaves BAB érigé à Nemours en 1909 – O.L). Ce même jour, d’autres contingents évoluant vers le Kiss, attaquèrent Port Say à 10h du matin. A plusieurs reprises, ils renouvelèrent leur tentative.
Ces attaques échouèrent grâce à la bravoure de Sidi El H adj Allal, chef militaire de la garnison marocaine de Saïdia qui, se portant au-devant des pillards, les empêcha de passer la rivière. De son côté, le capitaine Pétrement, commandant le Camp des Caroubiers, se porta aussi au secours de Port Say. Vidant le Camp des Caroubiers de tout son armement et de ses approvisionnements, qu’il fit transporter dans la nuit au village des Boqqoya, il le transforma en véritable casemate inaccessible aux Béni-Znassen.
Une autre attaque eut lieu la nuit du 29 novembre par la plage mais elle échoua du fait de l’arrivée d’une troupe qui revenait à Port Say avec des munitions débarquées par un contre-torpilleur à l’embouchure du Kiss. Les Marocains tirent sur cette petite troupe, tuent un artilleur et blessent sept autres et repassent ensuite au Maroc.
Après tous ces évènements, le général Lyautey, ayant châtié les agresseurs, entreprit la conquête de tout le massif des Béni-Znassen et l’occupation d’Oujda.
LA VIE A PORT SAY
En dehors de ces relations amicales avec leurs voisins marocains, la chasse et la pêche constituaient leurs distractions favorites. La région étant très giboyeuse, les gens venaient de fort loin pour chasser le perdreau, le lièvre et même le sanglier, qui n’était pas rare dans les massifs de Chaïb Rasso, à l’Est de Port Say.
Dans le hammam, de pur style mauresque, se rencontraient les ouvriers musulmans, discutant affaires en buvant du thé ou du café. Au premier étage, se trouvaient les salles réservées des Pachas, des Caïds et des tolbas. A l’arrière du bâtiment, une porte dérobée permettait aux femmes, qui arrivaient par divers sentiers, d’entrer au hammam sans être obligées de passer devant le café. Le mercredi de chaque semaine était le jour qui leur était spécialement réservé.
En fin de journée, les ouvriers se retrouvaient pour la plupart dans la luxueuse salle du Grand Hôtel où, dans ces lieux animés, ils savouraient anisette ou absinthe, tout en disputant, cartes espagnoles en mains, des parties de Brisca ou Ronda.
La fête nationale du 14 juillet était marquée par de nombreuses réjouissances : différentes courses sur mer ou sur terre, jeux divers, bals, etc. et, à la fin de l’année, un magnifique arbre de Noël garni faisait la joie des enfants.
Louis Say, qui a de l’énergie à dépenser, aime cette existence de pionnier. Sa belle fortune lui permet de tenir table ouverte : amis, journalistes, artistes, hommes d’affaires, officiers en tournée d’inspection, dignitaires ou fonctionnaires chérifiens, tous sont toujours chaleureusement accueillis.
Tous ceux qui vécurent dans ce petit cadre maritime à une période quelconque de leur existence, ont toujours conservé de la vie calme et paisible qu’ils menèrent, un excellent et ineffable souvenir.
LES BELLES ANNEES DE PORT SAY
Pour assurer l’existence et favoriser le développement de la cité, Louis Say la dota généreusement de tous les services publics indispensables aux habitants.
La Douane : en raison de l’importance des transactions commerciales qui s’opéraient au Kiss. En 1904, Louis Say fit édifier une caserne pouvant loger 15 douaniers et affecta à Port Say un receveur qui assurait le service.
La Poste : C’était un paysan du petit village des Bedaa, Abdelkader Bel Hadj, qui était chargé d’aller apporter le courrier à Nemours. Le 14 septembre 1905, la Poste que Louis Say avait installée dès le mois de novembre 1903, dans une pièce qu’il louait à l’inspecteur des Postes, fut transformée en Bureau d’Etat et fonctionna régulièrement avec un facteur-receveur. Deux mulets faisaient le va-et-vient entre Lalla Maghnia et Port Say. La ligne téléphonique reliant ces deux localités fut installée le 25 octobre 1904 et les appareils, système Morse, le 1er janvier 1907, tout cela aux frais de Louis Say.
L’école primaire : une petite école fut installée par Louis Say à partir de 1905, dans un des baraquements démontables dont il avait fait l’acquisition, tout comme les tables, les livres, etc. Institutrice : Melle Jondet. C’est en 1910 que le Gouvernement Général fit construire le bâtiment de l’école qui existe encore de nos jours, ou du moins ses ruines…
L’Hôtel du Maroc Oriental : construit en 1903 par Louis Say pour loger les visiteurs, cet immeuble possédait un garage pour les automobiles. Des chevaux de selle et des voitures étaient mis à la disposition des excursionnistes, des cavaliers arabes leur servant de guide.
Le Lavoir : construit également par Louis Say en 1905, le lavoir à eau courante était utilisé par les habitants du centre.
Le Bain Maure : commencé en septembre 1905 par un vieux maçon de Figuig, nommé Ben Aïssa, cet établissement fut complété et terminé par Louis Say en 1906 et inauguré le 2 janvier 1907. Il possédait un premier étage aves salles réservées, une grande salle populaire à colonnades, un café et un restaurant.
Le Camp du Caroubier : camp militaire organisé à l’entrée de Port Say par le Général Servière le 18 mars 1905. Louis Say dépensa 17.000 francs pour son aménagement.
Le Bureau Arabe : annexe de celui de Lalla Maghnia, fut installé au Camp du Caroubier le 15 janvier 1907 par le colonel Reibell, commandant supérieur du Cercle de Lalla Maghnia.
Le Dispensaire : créé par Louis Say fonctionnait à ses frais.
AGRICULTURE ET ELEVAGE
Malgré le caractère essentiellement commercial du petit centre maritime, l’agriculture et l’élevage furent loin d’être négligés par Louis Say. En effet, dès son installation à Ajroud-Kiss, il se préoccupa sérieusement d’intensifier la culture des céréales et de créer, dans son vaste domaine, des jardins potagers, des pépinières, un jardin public, etc. …
Muni d’une noria, l’un des deux puits primitivement creusés, pourvoyait non seulement aux besoins des constructions et de l’alimentation, mais encore à l’arrosage, en toutes saisons, des fleurs du potager de deux hectares, des pépinières et des nombreuses plantations d’arbres qui existaient déjà à la fin de l’année 1901. A cette époque, la culture des céréales (orge, blé dur et tendre), entreprise par les paysans donna un excellent rendement.
Les Marocains eux-mêmes venaient à Port Say pour faire réparer des socs de charrues. Venant de Nemours et après avoir acheté tout son matériel à la maison Eyriès, Triniatario Martinez, s’était installé comme forgeron à Port Say.
Louis Say fit venir de Nemours, un chef-jardinier, Joseph Escovar, et aidé d’ouvriers agricoles et maraîchers, il entreprit de défricher des hectares de bonnes terres. Il y aménagea un jardin potager dans lequel on planta aussi des eucalyptus et des bananiers.L’année suivante, ce fut la mise en état d’une pépinière qui absorba l’activité des défricheurs. On y planta des eucalyptus, des palmiers, des oliviers et, près de la rivière, des peupliers. Puis ce fut autour de l’insalubre marais, situé à l’ouest de la source du village, à être desséché. Une fois cela fait, des tamaris furent plantés et on créa le Square central.
Malgré le caractère essentiellement commercial du petit centre maritime, l’agriculture et l’élevage furent loin d’être négligés par Louis Say. En effet, dès son installation à Ajroud-Kiss, il se préoccupa sérieusement d’intensifier la culture des céréales et de créer, dans son vaste domaine, des jardins potagers, des pépinières, un jardin public, etc. …
Muni d’une noria, l’un des deux puits primitivement creusés, pourvoyait non seulement aux besoins des constructions et de l’alimentation, mais encore à l’arrosage, en toutes saisons, des fleurs du potager de deux hectares, des pépinières et des nombreuses plantations d’arbres qui existaient déjà à la fin de l’année 1901. A cette époque, la culture des céréales (orge, blé dur et tendre), entreprise par les paysans donna un excellent rendement.
Les Marocains eux-mêmes venaient à Port Say pour faire réparer des socs de charrues. Venant de Nemours et après avoir acheté tout son matériel à la maison Eyriès, Triniatario Martinez, s’était installé comme forgeron à Port Say.
Louis Say fit venir de Nemours, un chef-jardinier, Joseph Escovar, et aidé d’ouvriers agricoles et maraîchers, il entreprit de défricher des hectares de bonnes terres. Il y aménagea un jardin potager dans lequel on planta aussi des eucalyptus et des bananiers.L’année suivante, ce fut la mise en état d’une pépinière qui absorba l’activité des défricheurs. On y planta des eucalyptus, des palmiers, des oliviers et, près de la rivière, des peupliers. Puis ce fut autour de l’insalubre marais, situé à l’ouest de la source du village, à être desséché. Une fois cela fait, des tamaris furent plantés et on créa le Square central.
Ce jardin public fut planté d’arbres que Louis Say avait fait venir de Misserghin et du Jardin d’Essai d’Alger : platanes, acacias, cocotiers, palmiers et eucalyptus provenant de sa propre pépinière. Les grandes allées furent bordées de géranium rosat.
Tous ces travaux de défrichement, d’assainissement et d’embellissement entrepris à Port Say, sous l’intelligente impulsion de Louis Say, se poursuivirent sans relâche et contribuèrent dans une large mesure à la prospérité du petit centre maritime.
Au point de vue agricole, les résultats furent des plus concluants. De beaux vergers virent le jour dans le moindre creux des vallées. L’herbe étant très riche, vaches laitières, brebis et chevaux prospéraient.
LA FIN DE LOUIS J.B SAY
Au début de la guerre de 1914-1918, Louis Say, Lieutenant de Vaisseau de Réserve, avait été affecté à la direction du port d’Oran. Mais en raison de sa santé déjà chancelante, il fut dans l’obligation, quelques jours après, de se désister et de reprendre le chemin de Port Say.
Dès lors, après une période de rémission dans le calme reposant de sa résidence fleurie, sentant que sans doute toutes ces années de labeur opiniâtre, d’espoirs, de luttes acharnées avaient été vaines, ses forces commencèrent à décliner.
Le 27 août 1915, il se rendit à Bou Hanifia pour y faire une cure. Après son retour, personne dans son entourage ne pouvait prévoir que ses jours étaient comptés. Ce fut pourtant par une belle journée d’automne, le 3 octobre 1915, à 13h30, qu’il s’éteignit à la suite d’un malaise subit et inexpliqué.
Telle fut, à soixante-trois ans, la fin de cet honnête homme qui avait consacré sa fortune et les quinze meilleures années de son existence à la réalisation de projets longuement caressés.
Sa dépouille mortelle fut pieusement ensevelie au sommet du petit promontoire d’El Kelaa.
Sur une plaque de marbre noir a été gravée cette simple inscription :
ICI REPOSE
LOUIS SAY
1852 – 1915
Maintenant qu’il dort de son dernier sommeil dans le petit cimetière dominant, à l’Est, la longue plage « aux pentes si douces que les lames qui déferlent en mourant se suivent et s’étalent en nappes de mousse blanche, bleutée comme une mer d’argent » (citation de L. Say), on nous permettra bien de lui rendre le suprême hommage qui lui est dû, en transcrivant ici, en matière d’épitaphe, ces vers qu’il n’eût certainement pas désavoués et qui résument en quelque sorte sa vie entière :
– « J’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai servi, j’ai veillé.
– « Et j’ai vu bien souvent que l’on riait de ma peine.
– « Je me suis étonné d’être un objet de haine,
– « Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé. »
Victor Hugo : Les Contemplations : Veni, vidi, vixi.
PORT SAY APRES LA MORT DE SON FONDATEUR
La mort de Louis Say, le 3 octobre 1915, devait porter un coup fatal à Port Say en arrêtant net son essor, déjà paralysé par la guerre de 14/18, en raison de l’insécurité de la navigation.
Son testament, loin d’aplanir les difficultés, suscita malheureusement des rivalités d’intérêt fort préjudiciable aux possibilités de développement du petit centre et au trafic du port. Pour des raisons obscures, Louis Say avait cru bon devoir déshériter son fils adoptif, Daniel Bourmancé-Say, et léguer tous ses biens à Melle Jeanne Esther Ondet, ex-institutrice. Ce testament fut tout d’abord annulé, mais la légataire fit appel et un long procès s’ensuivit.
Les deux parties en présence se trouvèrent l’un et l’autre dans l’impossibilité de faire face aux frais d’entretien et de développement du port et de la ville, avec leurs seuls moyens financiers.
Port Say abandonnée, faute d’argent, Port Say périclite. Les maisons s’abîment, la voirie se perd, les caravanes hésitent à venir dans un port qui n’est plus entretenu.
CONSTITUTION D’UNE SOCIETE BALNEAIRE
C’est le 11 janvier 1935, que la société anonyme de la Station Balnéaire de Port Say, fut constituée pour une durée de 99 années, par MM. Louis Félix, Hyppolite Simon, Gaston Podesta, et Antoine Beuchard.
L’objet des statuts de cette société était de gérer et d’exploiter des terrains et immeubles, vente de lots, aménagement ou locations d’immeubles et de maisons, etc… Aucun de ces travaux ne fut exécuté en raison surtout des difficultés imputables à la guerre de 1939-1945. Le domaine de Port Say étant propriété privée, il était impossible à l’Administration de se substituer au lotisseur.
En 1951, devant cette singulière et pénible situation, les sociétaires de la Société Balnéaire, finirent par accepter de vendre à la Commune Mixte de Maghnia, une superficie de 70 hectares, comprenant le village de Port Say et une zone jugée nécessaire à son expansion.
Dès lors, l’Administrateur en chef de la Commune Mixte de Maghnia accepta le principe du financement de l’électrification et envisagea aussitôt, avec les seules ressources communales, une série d’améliorations urgentes et indispensables.
CONCLUSION
Le lieutenant-colonel Voinot est l’un de ceux qui ont le mieux jugé l’homme et son œuvre. Affecté au bureau de Lalla Maghnia, alors qu’il n’était que lieutenant, il connut fort bien Louis Say et formula son opinion ainsi : je cite.
« Louis Say n’a ménagé ni sa peine ni son argent et il faut admirer son œuvre. Néanmoins, tout en reconnaissant ses mérites, l’impartialité oblige à signaler ses erreurs. Louis Say avait un enthousiasme d’apôtre, mais il manquait du sens pratique des affaires ; c’était plutôt un visionnaire qu’un réalisateur.
En raison du peu de souplesse de son caractère, il n’était pas toujours facile de discuter avec lui.
En ce qui concerne le port, partie principale de l’entreprise, il n’était pas réalisable à l’emplacement choisi. Les deux jetées, construites perpendiculairement à la côte, s’ensablèrent aussitôt et les travaux n’ont jamais pu être terminés ». Fin de citation.
En effet, les conditions nautiques du mouillage ne sont pas bonnes et le véritable emplacement d’un port serait plus à l’Ouest, sous le Cap de l’Eau.
C’est d’ailleurs parce qu’il n’a pas pu s’installer à Cap de l’Eau, l’interdiction lui ayant été faite par le Gouvernement Général, que Louis Say finit par fixer sa base d’action au Kiss, position jugée par lui en 1886, comme la seule intéressante, malgré les avis contraires qui lui furent prodigués par les personnes qualifiées du pays.Mais sa décision, une fois prise, nul ne put l’en détourner, et c’est sans doute ce regrettable entêtement qui fut à l’origine de cette entreprise. S’il ne fut pas exempt de défauts et d’erreurs, celles-ci étant imputables en grande partie à la fougue de son imagination et à son entêtement, Louis Say a droit à tout le respect et à toute l’admiration de chacun pour la sincérité de son entreprise.
Il serait injuste de ne pas rendre hommage à un homme énergique et qui, malheureusement, ne fut pas récompensé de ses efforts. Bien que le 14 juillet 1908 Louis Say fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur, il n’en garda pas moins une amertume, car il aurait préféré avoir reçu une véritable aide qui lui aurait permis d’achever son rêve jusqu’au bout.
Le mot de la fin :
Un journaliste parisien, Jean du Taillis, envoyé spécial de Paris-Midi, de passage à Port Say en 1926, écrivit :
« Sur un roc qui domine la mer verte, berceuse de l’agonie de Port Say, il y a une tombe, pareille à celle de Châteaubriand, de l’officier de marine française qui, sous une croix sans nom, assiste solitaire et abandonnée, à l’agonie du port qu’il créa et que l’indifférence officielle a aussi sûrement ensablé que les apports de la Moulouya. »
Source : Port Say et son fondateur, Louis Jean-Baptiste SAY de Francis Llabador