NEMOURS ET SON AVENIR COMMERCIAL

PAR OCTAVE LLABADOR

Licencié en droit

Courtier maritime assermenté

Oran Imprimerie typographique du Libéral Rue du Foundouk – 1909

NEMOURS, VUE DE BRIGANDVILLE

Qui ne connaît aujourd’hui Nemours, cette gentille et coquette cité algérienne qui fut jadis la «Djemaâ-Ghazaouât» des Arabes, ce « Nid d’Aigle » dont Alexandre Dumas dans son Véloce fait une description si pittoresque et qui tend aujourd’hui à devenir, par son mouvement d’affaires, un des centres commerciaux les plus importants de l’Algérie, et par son climat idéalement tempéré, le séjour recherché des hiverneurs et des estivants !

Il ne faut pas perdre de vue, et un simple coup d’œil jeté sur la carte de l’Algérie et du Maroc le prouve jusqu’à l’évidence, que Nemours est le port naturel et indiqué de toute la région marocaine que commande Oudjda, les grandes plaines des Triffas et des Angads, si riches et si fertiles, et les gisements miniers de Ghar-Rouban et des Beni-Snassen.

Par la riante vallée de l’Oued Gazouanah peuvent arriver ici sans encombre les produits de toute la région de la Moulouya, qui va jusqu’à Fez. Nemours, désormais a fait ses preuves comme ville commerciale, Après être restée si longtemps méconnue et abandonnée à son triste sort, cette ville, d’une incontestable vitalité, semble vouloir entrer dans une voie nouvelle de prospérité, profitable à tous.

C’est qu’en effet, depuis quelques années, des événements importants ont sensiblement changé la face des choses, et ont aidé puissamment ce mouvement d’expansion et ce nouvel essor de notre cité.

La prise d’Oudjda au commencement de 1907 et l’insurrection des Beni-Snassen en Novembre de la même année, qui s’est heureusement terminée par l’occupation militaire de toute la vallée de la Moulouya (rive droite) et la création de centres commerciaux importants à Martimprey, Si Mohamed ou Berkane, Aïn-Sfa et Tafoural ont ouvert de nouveaux débouchés à notre industrie et à notre commerce.

Aussi nos importations et nos exportations, pendant ces dernières années, ont augmenté dans des proportions absolument remarquables.

Pour en juger, nous ne pouvons mieux faire que de citer des chiffres officiels et par conséquent indiscutables.

En 1900, les entrées et les sorties du port de Nemours étaient de 892 navires jaugeant 10.455 tonneaux ; En 1907, elles ont atteint 618 navires jaugeant 256.499 tonneaux. Il y a dix ans, en 1898, il n’y avait eu que 30 navires jaugeant 96.747 tonneaux. Le mouvement global des importations et des exportations fut en 1900, de 10.430 tonnes. En 1907, il s’éleva à 271.184 tonnes.

La moyenne des recettes de notre bureau des Douanes, jusqu’en 1900, n’a pas dépassé 15.000 francs. Elle s’est graduellement élevée à plus de 65.000 francs en 1907.

Notre transit sur le Maroc a subi la même progression. 

En 1905, on a plombé au bureau de Nemours 9.110 colis ; en 1906, 10.301 ; en 1907, 18.600 et enfin en 1908, 31.027 colis !

Ces chiffres sont évidemment plus éloquents que toutes les dissertations possibles sur ce point, et démontrent surabondamment la progression constante et l’accroissement très sensible subis par notre trafic, De plus, comme nous le disions plus haut, la pénétration française le long de la frontière marocaine, suite de la dernière insurrection, ouvre de nouveaux débouchés à nos produits, et un courant commercial très intense se crée dans la partie Nord du territoire des Beni-Snassen, par le point dit «Camp de Martimprey», où s’élève, avec une rapidité surprenante, un centre plein de vie et d’avenir. 

Le transit sur Martimprey, ouvert au commerce depuis le mois de Janvier 1908, tend à prendre chaque jour plus d’extension ; toutes les denrées destinées à l’alimentation de la région comprise entre la plaine des Triffas, le Nord du massif des Beni-Snassen et la Moulouya passent nécessairement par ce point qui devient de ce fait un centre commercial important.

D’autre part, les opérations de transit direct de Nemours sur Oudjda, sans rupture de chargement à Marnia, ont eu également pour résultat d’augmenter notablement le chiffre de notre trafic, à tel point que notre Municipalité, toujours soucieuse de ses intérêts, insista auprès des Autorités compétentes et obtint que le personnel réduit du service des Douanes, débordé et mis dans l’impossibilité d’assurer un service aussi chargé, fut immédiatement renforcé.

Notre commerce d’importation et de transit sur le Maroc, déjà en bonne voie de développement, tend donc à s’accroître chaque jour davantage. Pour ce qui est des exportations, nous constatons la même progression ascendante dans le chiffre de notre trafic.

En 1905, Nemours exporta 7.852 tonnes de marchandises diverses ; en 1906, 9.106 tonnes ; en 1907, 13.001 tonnes ; et enfin en 1908, 16.788 tonnes ! C’est que, outre le développement considérable qu’ont pris les affaires dans notre région, nos terres de culture sont de jour en jour mieux mises en valeur, et accusent chaque année un rendement de plus en plus satisfaisant. 

Malheureusement, il n’existe pas encore, à proprement parler, de vignobles dans notre pays. Seuls, de rares propriétaires possèdent quelques hectares de vigne dont le produit suffit à peine à leur consommation personnelle. Le reste consiste en raisins de treille qui se mangent frais,

La raison de cette indifférence générale pour ce genre de culture ne réside pas dans la mauvaise qualité de nos terrains, mais plutôt clans la situation réellement déplorable où, jusqu’à ce jour (maintenant tout va changer puisqu’on nous construit un port et un chemin de fer !) nous nous sommes trouvés manquant totalement de voies faciles de communications, de moyens sûrs d’embarquement et d’abri contre les mauvais temps, pour amener les vins à quai et les embarquer.

Il est vrai aussi que le nombre des colons européens habitant notre région est très restreint et que les indigènes, livrés à eux-mêmes, se désintéressent généralement de la culture de la vigne, pour s’adonner entièrement à celle des céréales qui forment la base de leur alimentation.

C’est pourquoi aussi, dans notre région essentiellement agricole, les céréales constituent le plus gros appoint de notre commerce d’exportation. En 1907, notamment, la récolte ici, a été particulièrement abondante, surtout en blés.

Nous avons embarqué environ dix mille tonnes de blés tendres et divers et 3.000 tonnes d’orges, sans compter 2.000 tonnes d’orges ou moins que les indigènes ont conservées, en réserve, dans leurs « silos », pour leur consommation personnelle.

Si en 1908, nous n’avions pas constaté une aussi grande abondance de céréales c’est parce que l’insurrection des Béni Snassen, fin 1907, et les opérations militaires dans ce pays, pendant 4 mois, ont empêché bon nombre d’indigènes de semer en temps opportun, comme les années précédentes.

En dehors des céréales, qui constituent la principale ressource de notre pays, il existe dans la région de Nedromah-Nemours une industrie prospère, de plus en plus florissante, mais dont les marchés français ne profitent malheureusement pas assez : je veux parler du crin végétal. On compte en effet deux usines de fabrication à Nedromah, trois à Nemours, une à Sidi-Bou Djenane, une à Bab-El-Assa et enfin une dernière qui s’installe, en ce moment, à la colonne de Sidi-Brahim, produisant globalement une moyenne de 20 à 25.000 quintaux de crin par an.

Tout ce crin est en majeure partie acheté par des négociants d’Oran qui le font embarquer ici sur des navires étrangers à destination de la Belgique, de l’Angleterre ou de l’Allemagne. On vend ce crin à l’Étranger parce que les prix offerts sont plus rémunérateurs que ceux des marchés français, et on charge sur des navires étrangers parce que leur fret est plus réduit que celui des Compagnies Françaises.

Notre territoire est également riche en marbres de toutes sortes : des blancs, des jaunes, des roses ainsi que des onyx verts et roses translucides qui sont peu ou mal exploités par suite des difficultés que présente leur embarquement sur une rade aussi inhospitalière que la nôtre. 

Pour les mêmes raisons, on laisse dormir une foule de riches gisements miniers, qui constitueraient pourtant une réelle richesse pour notre région entière, s’ils étalent mis en valeur. Quelques prospecteurs hardis et tenaces ont bien fait des efforts très louables et dignes d’un meilleur sort pour attirer l’attention des capitalistes sur les gisements de Nemours et de ses environs, mais ils ne sont pas toujours parvenus à les y intéresser.

Seule la « Société minière des Djebel Maaziz et Masser » a donné une certaine extension à l’exploitation de ses minerais de zinc mais au prix d’énormes sacrifices. Elle mérite, à ce titre, d’être plus connue et mieux appréciée. Elle fut constituée en 1902 en capital de 3 millions de francs. Elle exploite les concessions de Maaziz et de Masser, situées sur la route de Nemours à Marnia, à 30 kilomètres environ de la mer. Les « Mines de Maaziz», dont la concession fit l’objet d’un décret du Président de la République,  en date du 23 Juillet 1875, étaient connues depuis bien longtemps.

La Société « Ghar-Rouban » y avait fait de nombreuses recherches de 1852 à 1859. En 1859, l’établissement fut saccagé de fond en comble par les Arabes, et les travaux, repris ensuite, furent abandonnés pendant une dizaine d’années.

En 1869, les travaux recommencèrent sous la direction de M. Gazié, et ce, jusqu’en 1885.

Les recherches en profondeur qui eurent lieu dans la suite, démontrèrent que le gisement avait une réelle valeur. La grande quantité de minerai tout venant, sortant de la mine, ne permettait pas une préparation manuelle économique.

La Société se vit obligée d’installer des ateliers mécaniques. Le problème offrait de très grandes difficultés par suite du peu de ressources de la région et du manque total de main d’œuvre appropriée ; cependant la population ouvrière ne fit que croître et atteignit, en1906, le chiffre de 500.

L’incendie des laveries, en octobre 1907, modifia quelque peu le programme de la Société, et un appel de fonds fut rendu nécessaire. La puissante « Société de la Vieille Montagne » entra dans l’affaire. La construction d’une nouvelle laverie en fer fut décidée et mise immédiatement en exécution. Cette nouvelle installation sera entièrement automatique et capable de fournir annuellement 15.000 tonnes de minerais marchands qui viendront nécessairement s’embarquer à Nemours.

Le « Gisement de Masser » est aussi intéressant que celui de Maaziz. Les premières reconnaissances remontent à 1883 ; mais les travaux de recherches ne furent poursuivis avec suite qu’en 1886, époque à laquelle la mine passa entre les mains de M. Pitcavin qui en obtint la concession en 1890. Un décret du Président de la République, en date du 15 août 1902, a autorisé la réunion des deux concessions de Maaziz et de Masser. Le gîte de Masser offre de très grandes espérances ; la production y est actuellement très variable, par suite de l’absence de tout atelier de préparation. Un câble aérien de Masser à Maaziz est mis à l’étude et permettra d’envoyer le minerai à laver à Maaziz ainsi que toutes les fournitures nécessaires à l’exploitation. Le minerai fini reviendrait à Masser par la même voie,

En ce dernier lieu, serait créée une station de chargement et de déchargement d’où partiraient cinq camions automobiles, transportant à Nemours, lieu d’embarquement, toute la production de Maaziz et de Masser…,

Cette Société est donc, ce nous semble, très intéressante puisqu’elle fait de grosses dépenses et de louables efforts pour donner le plus grand essor possible à son exploitation et il est certainement très regrettable que le chemin de fer qui va être construit entre Nedromah et Nemours ne puisse desservir ce centre minier qui, par son trafic, 15.000 à 20.000 tonnes au moins, aurait constitué, pour lui, un très sérieux appoint.

Quoiqu’il en soit, si la voie ferrée nouvelle n’en profitera pas, notre futur port, dont les travaux ont d ‘ailleurs commencés, recueillera tout le bénéfice de cette production minière dont Nemours sera forcément le port de sortie.

Nous ne terminerons pas cet exposé général aussi exact et aussi complet que possible des principaux éléments de prospérité de Nemours et de ses environs, sans parler des autres branches du commerce et de l’industrie exploitées ici et appelées à se développer en même temps que notre outillage maritime, vraiment trop rudimentaire.

Citons tout d’abord l’installation récente d’une fabrique de salaison de sardines et anchois, créée il y a trois ans à peine, dans des conditions particulièrement pénibles et difficiles, par deux de nos concitoyens, actifs et remuants, MM. Pitzini et Corro. Cette usine est déjà en pleine voie de prospérité, grâce aux efforts persévérants de ses propriétaires à qui nous souhaitons une réussite complète. D’ailleurs le chiffre sans cesse grandissant de leurs exportations indique suffisamment que si, au début, la tentative très louable de ces Messieurs fut un essai quelque peu timide, aujourd’hui l’entreprise revêt absolument le caractère d’une véritable industrie, intelligemment organisée, produisant et vendant chaque année, en France et à l’Étranger, plusieurs milliers de quintaux-de poissons salés, embarqués sur des navires français et étrangers.

La région de Nemours est également grande productrice de caroubes, achetées par les négociants de notre place qui les revendent quelquefois sur le marché de Marseille, mais le plus souvent les expédient en Angleterre ou en Allemagne où les prix offerts sont généralement plus rémunérateurs. C’est ainsi que nous embarquons annuellement 25.000 à 30.000 quintaux de caroubes pour différentes destinations.

L’alfa a été et est encore une spécialité de notre territoire. Plusieurs chantiers sont installés, chaque année à l’époque voulue, pour acheter et emballer 10.000 à 16.000 quintaux, presque toujours acheminés sur l’Angleterre.

Enfin, Nemours qui est encore à ce dernier point de vue, une sorte de pôle attractif de toute la région Nord-Ouest de la frontière algéro-marocaine, exporte annuellement 500.000 œufs environ, 8 à 10.000 volailles, plusieurs milliers de quintaux de laine brute, de peaux sèches de bœufs, chèvres et moutons, et de notables quantités de fruits frais. Pour ce dernier article, et pour les primeurs en général, il est vraiment malheureux que l’inhospitalité de notre rade et l’état rudimentaire de nos moyens d’embarquement n’aient pas permis de donner à cette production une plus grande et plus lucrative extension.

Disons aussi que Nemours est encore un des points de l’Algérie où se cultivent le plus d’amandes douces et amères. Les années favorables où la récolte est abondante, il se charge ici pour Marseille des quantités très notables de cet article recherché

Nemours est donc incontestablement un pays de ressources, possédant des richesses naturelles très importantes qu’on ne peut malheureusement pas exploiter et développer autant qu’elles pourraient et devraient l’être, parce que le manque de chemins d’accès et de voies de communication en ont fait, jusqu’à ce jour, un point isolé, nettement séparé du reste de l’Algérie, et aussi parce que l’insécurité de sa rade, l’imperfection de son outillage maritime et le défaut d’abri contre les mauvais temps ont toujours rendu les opérations de débarquement et d’embarquement particulièrement difficiles, coûteuses et aléatoires.

Cependant, malgré ces gros inconvénients, malgré les difficultés matérielles de toutes sortes qui ont entravé et retardé l’essor de notre commerce, malgré l’indifférence des pouvoirs publics qui, jusqu’à ce jour, n’avaient absolument rien fait pour aider les initiatives privées à favoriser le développement de notre commerce et de notre industrie, pourtant si vivaces, malgré les hostilités sourdes ou avouées et les résistances inexplicables sinon « inexpliquées » auxquelles on s’est heurté, Nemours, ville active et remuante, a travaillé, Nemours a marché dans la voie du progrès, Nemours s’est affirmée un centre commercial important, ayant un trafic déjà remarquable, et appelé à se développer beaucoup plus encore, le jour où des routes praticables et une voie ferrée rendront les communications avec Nedromah, Marnia et la frontière marocaine, plus rapides, plus faciles, plus économiques. Il reste à ce point de vue beaucoup à faire d’ailleurs dans notre région. 

Il est certain que, pour drainer l’arrière-pays autour de Nemours vers notre port, il y aurait lieu d’utiliser sans retard ce qui existe presque déjà, c’est-à-dire faire un bon empierrement de la route qui relie le Kiss à Martimprey et à Nemours par Bab-El-Assa et dont l’état actuel laisse beaucoup à désirer. De cette façon le marché d’Adjroud que domine le poste de surveillance français, pourrait envoyer plus facilement et plus économiquement ses produits et denrées à Nemours.

Il y aurait également un réel intérêt à aménager et améliorer la piste muletière qui relie ce marché à Nemours par celui de l’Oued Kouarda. Le marché d’Adjroud est en somme l’étape entre la basse Moulouya et Nemours ; à l’heure actuelle tout ou presque tout ce qui sort d’Adjroud se dirige soit sur Nédromah, soit sur Marnia. De plus, un service bi-hebdomadaire de véhicules entre le marché d’Adjroud et Nemours, avec arrêt à Martimprey, contribuerait au développement du mouvement commercial et servirait les intérêts des marchés des deux localités.

Nous avons en effet ici l’avantage de posséder une route empierrée et carrossable Jusqu’à Martimprey ; notre intérêt est que le tronçon de Martimprey au Kiss le soit également et le plus tôt possible. Quant au chemin muletier par Kouarda, les premières pluies vont le rendre impraticable. Pourquoi les communes de Nédromah et de Nemours qui ont intérêt à ce qu’il soit entretenu ne feraient-elles pas exécuter par les indigènes, après les labours, les travaux de première urgence, afin de l’empêcher dans certaines parties de se transformer en bourbier, et éviter du même coup un ralentissement dans les transports, toujours préjudiciable aux intérêts des trafiquants ?

Il est hors de doute que plus il y aura de voies de communication vers Nemours, plus l’accès en sera rendu facile et plus s’affirmera la « fonction régionale » de notre port, c’est à-dire la faculté même d’attirer les ressources de son arrière-pays.

Dans le voisinage immédiat de Nemours le pays est si accidenté qu’il y a encore bien des obstacles à vaincre pour rendre les affaires faciles et économiques, c’est donc par la qualité des voies d’accès, que l’on arrivera à les surmonter en même temps qu’à étendre notre « hinterland », au-delà même de toute prévision.

Ce jour-là, nous aurons justifié amplement aux yeux des Pouvoirs Publics, si parcimonieux à notre égard, des deniers de l’État, les sacrifices réellement importants qu’ils auront fait pour la prospérité et l’avenir de notre région, si longtemps frappée d’ostracisme.

C’est ce que nos dévoués représentants à la Chambre au Sénat et au Conseil Général, MM. Etienne, Saint-Germain et L. Fouque se sont employés à démontrer aux autorités compétentes et c’est ce qu’on semble avoir fini par comprendre.

Aujourd’hui, grâce à la bienveillance de tous, notre voix parait avoir été entendue et des travaux importants ont été projetés, décidés, pour rendre meilleures nos communications par terre, et pour assurer nos opérations sur mer. Une ligne ferrée va nous relier à Marnia, Tlemcen et le reste de l’Algérie, et, un port-abri, dont les travaux sont d’ailleurs entamés, va nous permettre d’opérer par tous les temps.

La question du Chemin de fer de Nemours à Marnia est vieille d’un quart de siècle. Déjà en 1882-1883, on parlait de l’établissement d’une ligne de voie étroite reliant Nemours à Marnia par Nedromah. Depuis, les corps élus de la région de Nemours et Marnia soulevèrent la question à plusieurs reprises mais en insistant beaucoup trop mollement pour obtenir satisfaction.

Plus tard en 1888, un ingénieur belge, des plus distingués, M. Golesloot, s’intéressa à l’affaire, vint l’étudier sur place et après l’avoir déclarée parfaitement réalisable, présenta un projet complet de voie ferrée de Nemours à Marnia.

Pour des raisons qui n’entrent pas dans le cadre de notre étude, on ne donna pas suite à ses propositions.

Il fallut attendre 1907 pour que, grâce aux démarches présentées de nos éminents représentants et aussi à la bienveillance des autorités, la question de notre chemin de fer fut prise en sérieuse considération.

La concession en fut accordée à ce même M. Galealoot qui s’intéressait à cette affaire et la travaillait depuis 20 ans.

Dans sa séance du 30 octobre 1097, l’assemblée départementale d’Oran décida de soumettre aux enquêtes réglementaires l’avant-projet de la ligne principale de Nemours-Bou Djenan-Marnia et celui de l’embranchement de Nédromah, imposé également au demandeur, en vue de desservir directement ce dernier centre. L’enquête prescrite eût lieu du 30 octobre au 24 Décembre 1907.

Elle donna lieu à trois observations principales : la plus importante est celle des habitants de Nédromah, qui réclament l’adoption du tracé direct ; une autre émane de la « Société des Mines de Maaziz et Masser » qui se déclare incompétente sur le choix des tracés, mais signale que celui qu’on préconise ne sera pas d’une grande utilité pour elle ; il y a enfin une dernière déclaration de M. Dubois, directeur des Mines du Filaoucen (commune de Nédromah), disant que le chemin de fer passant par Nédromah est le seul qui réponde aux nécessités de ses exploitations minières.

On se trouvait donc en présence de deux tracés pour le chemin de fer d’intérêt local projeté entre Marnia et Nemours ; le premier passant par Nédromah et le col de Sidi-Berrich ; le second contournant par l’Ouest le Massif de Maaziz et passant par Sidi-Bou Djenan.

En raison de l’importance des intérêts en jeu et de l’insistance de Nedromah en faveur du tracé le desservant directement, une Commission spéciale, composée des ingénieurs du Contrôle, d’un Commissaire du Gouvernement et des délégués des Communes intéressées, fut chargée d’examiner les résultats de l’enquête ordonnée et de se prononcer sur l’adoption de l’un ou de l’autre des deux tracés,

En dépit des arguments d’ordre technique, et économique, développés par les partisans du projet Marnia-Nedromah-Nemours, la Commission spéciale, après une très vive discussion, finit par se rallier à l’opinion du rapporteur qui se prononçait très nettement en faveur du projet Galeslooti Marnia-Sidi-Bou-Djenan- Nemours.

Les motifs qu’on invoqua et les avantages qu’on fît valoir pour justifier cette préférence sont les suivants : 

Le tracé Marnia-Nemours par Sidi-Bou-Djenan est plus court de 7 à 20 kilomètres que l’un ou l’autre des tracés par Nédromah, et sa construction sera beaucoup plus facile, tant en raison des formes et de la nature du terrain parcouru, que de la différence d’altitude des cols traversés. Le col de Sidi-Berrich est en effet à l’altitude de 669 mètres, tandis que celui de Bou-Djenan n’est qu’à 500.

Au point de vue militaire et stratégique, les derniers événements de la frontière ont fait suffisamment ressortir combien une communication directe entre Marnia, et Sidi-Bou-Djenan est indispensable pour assurer le ravitaillement et les mouvements de troupes sur Martimprey, le Kiss et les postes établis en territoire marocain.

Du reste, déclare la Commission, en manière de conclusion, si on ne considère véritablement que les intérêts généraux en jeu, la ligne, passant par Bou-Djenan offre sur celle passant par Nédromah des avantages économiques et financiers considérables.

Seule la ligne Marnia-Bou-Djenan-Nemours, dit le rapporteur, permettra la mise en valeur rapide de la riche plaine des Triffas, l’accroissement des marchés de la Frontière et le développement des transactions entre cette ligne et l’Oranie.

Il sera d’ailleurs facile de faire participer le centre de Nédromah à tous ces avantages, en le reliant à la ligne projetée par un embranchement facile à construire. D’autre part, le tracé direct par Bou-Djenan ne coûterait que 4.600.000 francs, d’après les évaluations même du concessionnaire, tandis que la ligne par Nédromah reviendrait à un minimum de 6.500,000 francs, soit deux millions de plus ; elle traverserait en outre des terrains argileux, ce qui nécessiterait des travaux d’assainissement, toujours imprévus et des dépenses d’entretien considérables.

Dans ces conditions, la Commission déclare que le Conseil général ne peut engager le Département dans des dépenses nouvelles qui ne répondraient pas au but à atteindre et se prononce en faveur de l’adoption du tracé par Bou-Djenan, présenté par M. Galesloot, avec embranchement de Nédromah à la ligne projetée.

Voilà, brièvement résumées, les raisons d’ordre technique, économique et financier qui ont fait prévaloir, aux yeux de la Commission et de l’Assemblée départementale, le tracé direct Marnia – Bou-Djenan – Nemours. 

Mais notre impartialité nous fait un devoir d’indiquer également la thèse présentée pour l’adoption du projet Marnia – Maaziz et Nemours.

M. Si M’Hamed Ben Rahal, dans un rapport remarquable, lu à la séance du Conseil général du 28 Janvier 1908, a brillamment développé, au sein de cette assemblée, les arguments des partisans du chemin de fer par Nédromah, dont il est le représentant au Conseil général.

Les mines de Maaziz ont déjà fait connaître que, du moment que la ligne ne les dessert pas directement elles ne lui donneront pas un centime de trafic.

De même Nedromah déclare que si la voie passe à plusieurs lieues de ses murs il lui est impossible, malgré l’embranchement, de l’utiliser.

Or, le contingent que les Mines et Nédromah apporteraient à la ligne projetée serait de 150.000 francs au bas mot ; c’est exactement le montant des intérêts que le Département et l’État Algérien garantissent au concessionnaire, en regard des 4 millions que la ligne doit coûter.

Si donc on consentait à faire un sacrifice pour obtenir ce contingent énorme, la garantie pour ces quatre millions deviendrait purement morale. Et ce sacrifice consiste à faire passer la ligne par Nédromah et à proximité des Mines, chose reconnue parfaitement possible, sauf le surcroit de dépenses qu’entraînerait cette modification mais qui serait largement compensé par le gros appoint du trafic des Mines, et de Nédromah.

Les études sérieuses et approfondies faites en ce sens par les ingénieurs des mines de Maaziz et Masser sont concluantes sur ce point.

Certes leur opinion ne saurait contrebalancer celle des Ponts-et-Chaussées mais on ne peut, en toute impartialité, refuser à leurs études — faites en vue de demander la concession de la ligne — le crédit qu’elles méritent. Elles ont été faites par des gens compétents qui, habitant les lieux, ont eu tout le temps et tous les éléments voulus, pour arriver à une conclusion aussi proche que possible de la réalité.

« Donc la question, pour le Conseil général, s’écrie M. Ben Rahal, se ramènerait à ceci : Vaut-il mieux faire une ligne de quatre millions qui négligerait bénévolement 150.000 francs de recettes annuelles sûres, ou une ligne de six millions, qui, sans rien sacrifier du trafic qu’elle est appelée à faire, encaisserait à coup sûr 150.000 francs par an de plus ? On ne doit avoir, dans la circonstance, qu’un souci : desservir la plus grande somme d’intérêts possible avec le minimum de garantie

Nédromah est, en effet, une ville de six mille habitants, pleine de vie et d’avenir, chef-lieu d’une commune de plus de trente mille urnes, et ses mines, en pleine prospérité, peuvent donner un mouvement de 40.000 tonnes par an. Pourquoi négliger cette région et ce trafic si aucune difficulté sérieuse ne s’oppose à ce qu’ils soient desservis ?

Sans Nédromah et ses mines, la ligne de Marnia à Nemours peut offrir des aléas nombreux. Avec Nédromah, Maaziz, Aïn-Kébira et les nombreux gisements miniers, qui n’attendent que le rail pour agir, l’affaire devient très bonne et les risques pour le département sont nuls.

On pourrait, jusqu’à un certain point, penser qu’en adoptant ce projet on occasionnerait un retard à la prompte solution de l’affaire. Il n’en est rien. De nouvelles études ne sont pas nécessaires. Le tracé proposé par Nédromah se rapproche sensiblement de celui déjà étudié par les Ponts-et-Chaussées qui n’y ont relevé aucune difficulté sérieuse ni essentielle et l’ont déclaré possible,

D’ailleurs aucune opposition n’est à craindre de la part de Nemours ou de Marnia dont la seule crainte est un retard possible pouvant entraîner un échec. Or, de retard il ne saurait y en avoir puisque le projet est déjà suffisamment étudié et qu’il est reconnu possible et pratique.

Sans cette crainte, il n’est pas douteux que Marnia et Nemours seraient enchantés de voir desservir Nédromah directement et ils ne peuvent évidemment que regretter profondément de voir le tracé projeté s’en écarter, vu que les intérêts de ces trois communes sont étroitement liés et solidaires. Quoiqu’il en soit, malgré tout le talent de M. Ben Rahal et l’excellence de ses arguments, le Conseil général, dans sa séance du 27 Janvier 1908, adopta les conclusions du rapport de la commission nettement favorable au projet Marnia-Sidi Boudjenan-Nemours, c’est-à-dire au projet Galesloot.

Ce projet, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée départementale, est un travail très complet et très étudié par son auteur qui y a consacré une partie de son existence. A ce seul titre, il mérite déjà d’être mieux connu et mieux apprécié. Pour bien d’autres raisons qu’il serait trop long d’exposer ici, nous croyons intéressant et utile d’en indiquer les grandes lignes.

La ligne d’intérêt local de Nemours à Marnia par Sidi-Bou-Djenan à voie de 1m055m, a son origine à Nemours dans la plaine du champ de manœuvres. De ce point, la ligne suit la rive gauche de l’oued Gazouanah jusqu’à l’oued Taïma qu’elle traverse, en suivant sa vallée jusqu’à l’oued Zlamet. De là, en côtoyant ce cours d’eau, elle atteint Sidi-Bou-Djenan, d’où elle se dirige vers le barrage de la Mouïlah qu’elle franchit et va, en s’infléchissent, rejoindre la route de Relizane au Maroc qu’elle longe parallèlement, pour aller aboutir à Marnia, à proximité du Bordj. Cette ligne aura un développement de 54 kilomètres environ. Au kilomètre 7.270 mesuré du point du départ de Nemours, se détache un embranchement de même écartement qui doit desservir Nédromah.

La longueur de cet embranchement sera de dix kilomètres et aboutira au pied même de cette ville. La distance totale de Nédromah à Nemours, par la voie ferrée, sera de 17 kilomètres 270 mètres, tandis que, par la route actuelle, la distance est de 18 kilomètres. Sur tout le parcours il est prévu divers arrêts du train et notamment au « Tombeau des Braves », à l’embranchement de Nédromah, en desservant les villages de Tient et de Sidi Brahim ; à Sidi Bou Djenan ; au barrage de la Moulouya ; au kilomètre 51, c’est-à-dire au point de jonction avec la route de Relizane au Maroc, et enfin à Marnia où la ligne ira se raccorder directement avec celle de l’Ouest-Algérien, afin de rendre facile le transbordement des voyageurs et des marchandises. ; il est à remarquer que le coût du transport des marchandises, alors même qu’on appliquerait le tarif  maximum de 10 centimes par tonne et par kilomètre, serait de 5 fr. 40 les mille kms de Marnia à Nemours et vice-versa. Il faut également souhaiter que, dans un avenir plus ou moins rapproché, un embranchement pourra partir de Sidi-Bou-Djenan pour se diriger vers Oudjda qui se trouverait ainsi relié à Nemours, son port naturel, par une ligne ferrée qui n’aura pas plus de 60 kilomètres de longueur. D’ailleurs on peut, d’ores et déjà, considérer cette ligne d’intérêt local de Nemours à Marnia comme le premier tronçon de la ligne d’intérêt général Nemours-Marnia-Sebdou-El Aricha, classée en deuxième urgence par les Délégations financières. Il ne nous appartient évidemment pas de discuter ici l’importance stratégique de la ligne Marnia-Nemours, ligne qui, d’après les projets avoués du gouvernement général, doit-être, un jour, reliée à Bedeau par Berguent et El-Aricha.

Mais qu’il nous soit permis tout au moins, en nous plaçant au point de vue régional, d’insister un peu sur son importance économique. Le chemin de fer Marnia-Nemours, quel que soit le tracé adopté, traversera un pays riche et fertile dont le moindre défaut est d’être complètement dépourvu de voies de communication. C’est là, quoiqu’on en dise, la vraie raison, la seule, du marasme économique et industriel de notre région. Il n’est pas douteux, en effet, que le jour où le rail y fera son apparition, la situation changera et s’améliorera considérablement sous tous les rapports. Les vastes et belles plaines d’Oujda, des Triffas et de Nédromah ne seront plus d’immenses espaces à peine défrichés ; elles seront entièrement mises en valeur et donneront leur maximum de rendement ; de nouveaux centres de colonisation y seront forcément créés et y prospéreront pour le grand profit du chemin de fer. Tout le secteur compris entre Marnia, Oudjda, la Moulouya et Nemours deviendra, tout naturellement, le tributaire de notre voie ferrée, tant au point de vue importations qu’au point de vue exportations. Les moutons, chevaux, mulets, bestiaux et tous les produits de l’élevage marocain achetés en si grand nombre, chaque semaine, sur l’important marché de Marnia, accomplissent aujourd’hui un trajet de plus de 200 kilomètres pour se rendre à Oran où ils s’embarquent. Une fois le chemin de fer et notre port construits, ils n’auront plus que 54 kilomètres à faire pour gagner leur port d’embarquement naturel, c’est-à-dire Nemours. 

En un mot, le rail constituera dans notre région un précieux agent de développement industriel et commercial, un merveilleux instrument d’expansion, et contribuera, dans la plus large mesure, à l’essor du trafic de notre port appelé à prendre une grande extension et sur lequel on fonde, avec raison, les plus belles espérances.

J’en arrive à l’ouvrage, le plus important et certainement le plus intéressant pour l’avenir de notre région, c’est-à-dire à la construction de notre port, débouché naturel et nécessaire de tout le Maroc oriental. Ici, les avis sont encore partagés et l’ont été de tous temps, ainsi que nous allons le voir. La question du port de Nemours, vieille d’un demi-siècle, a été agitée à maintes reprises, sans jamais aboutir à une solution favorable, grâce à l’ostracisme draconien dont fut sans cesse frappée notre rade qui n’est certainement pas plus inhospitalière que tant d’autres de la côte algérienne devenues depuis des ports.

D’ailleurs, un historique, aussi bref que possible, des différentes phases par lesquelles est passée cette question, prouvera suffisamment combien est vrai le dicton populaire ; « Autres temps….. autres….. opinions ! ». 

Nemours est construite sur les terres d’alluvions de l’Oued Gazouanah et du torrent de Touent, devant une plage orientée de l’E.N.E. à l’O.S.O. La ville est située au fond d’une baie que limitent à l’Est le plateau de Touent élevé de 120 à 130 mètres ; à l’Ouest, par une pointe rocheuse haute de 80 mètres environ prolongée jusqu’à 30 mètres vers le large et par deux petites roches : les Deux Sœurs» et deux grand rochers : les « Deux Frères », connus déjà du temps des Romains sous le nom de « Ad Fratres ».

Vers le milieu de la plage débouche l’Oued Gazouanah qui charrie des sables siliceux, à assez gros éléments. 

Déjà, en 1857, M. l’ingénieur hydrographe Lleussou, chargé d’étudier les conditions nautiques des principales rades d’Algérie, disait dans son rapport que la baie de Nemours, faisant face au N. N. O., n’offre pas d’abri et que la belle plage qui la borne est saine, facile à accoster par mer calme, mais difficilement abordable par la moindre houle du large. Située à l’exposition directe de tous les vents dangereux, elle a 1400 mètres d’ouverture sur 300 de profondeur et présente, par conséquent un emplacement défavorable pour fonder un port. Raison de plus, disaient à ce moment déjà les autorités locales, pour nous protéger, par un travail quelconque, contre les mauvais temps.

Vers la même époque, le Génie militaire fit construire dans l’Est de la plage, enraciné à la montagne, un débarcadère en charpente de 48 mètres, mais établi dans des conditions telles, qu’en 1858 il fut emporté par une tempête et ne fut pas rétabli.

De 1861 à 1866, pour mettre la ville à l’abri de la mer qui l’avait plusieurs fois envahie, on établit un plan incliné perreyé de 175 mètres de long, prolongé de 270 mètres par une digue en enrochements. Entre la digue et le perré on créa un petit épi de gros rochers. 

En 1868, on fit un tout petit pas en avant ; on alla jusqu’à construire une sorte de quai, au pied de la falaise qui limite la plage à l’Est et un chemin d’accès reliant ce quai à la ville. Un peu plus tard, en 1875, cet embryon de quai fut abrité par un embryon de jetée de 40 mètres de long, enraciné à la falaise, à une quinzaine de mètres de son extrémité. Mais ces petites améliorations ne pouvaient évidemment pas suffire à assurer les communications des navires qui fréquentaient la rade avec la terre. Ses « Instructions nautiques » publiées en 1879, M. l’amiral Mouchez, frappé par les nombreux inconvénients de notre rade, signale également la fâcheuse situation de la plage sur laquelle est bâtie la ville de Nemours pour laquelle il ne paraît pas éprouver une bien vive sympathie : « Elle est, dit-il, complètement exposée à la mer et au mauvais temps de N.-E. La moindre houle la rend presque inabordable et en hiver, les communications entre la terre et la route sont souvent impossibles. Quand règnent les vents d’Ouest qui, même modérés, rendent le débarcadère inabordable, on peut, parfois très difficilement, débarquer, à l’abri de la pointe du Phare, à l’extrémité Ouest de la plage. Les fonds sont trop grands devant Nemours et la côte trop défavorablement orientée pour qu’on ne puisse jamais songer à y créer un port ; mais on pourrait tout au moins essayer d’améliorer sa situation en faisant deux petites jetées de 200 mètres, par les fonds de 6 à 8 mètres, l’une portant de la pointe du débarcadère, l’autre partant des rochers des «Deux Sœurs» où de la pointe de l’Ouest, de manière à obtenir, quelle que soit la direction du vent, une des deux extrémités de la baie, toujours abritée, pour l’accostage des embarcations. 

« Il serait indispensable de laisser une ouverture entre la côte et le commencement de la jetée pour laisser passage au courant et empêcher l’ensablement qui, sans cela, serait inévitable. Ces deux jetées de dimensions assez réduites seraient peu coûteuses, assureraient presque en tout temps les communications de la terre avec la mer et « suffiraient même pour abriter les caboteurs qui fréquentent ce port. »

Ainsi donc l’amiral Mouchez (une autorité pourtant !) qu’on ne saurait taxer de faiblesse pour notre ville, reconnaît lui-même la nécessité de travaux d’aménagements de la rade pour l’amélioration des opérations maritimes, travaux qui furent longtemps mais en vain, réclamés par les Municipalités qui se sont succédé.  Cependant, en présence de l’insistance des représentants de la région et des vœux émis par le Conseil municipal de Nemours, d’abord pour le prolongement ensuite pour la suppression de l’embryon de jetée Est, on finit, le 23 Janvier 1881, par réunir une commission nautique chargée d’étudier les travaux déjà exécutés et de se prononcer sur le point de savoir s’il y avait lieu de les continuer ou de les modifier, suivant les désiderata successifs de l’édilité nemourienne.

La Commission, après un examen très approfondi de la situation, reconnut que le bout de jetée Est, construit en 1875, constituait une véritable hérésie nautique et ne devait pas être prolongé. Elle présenta alors, comme une sorte de panacée à tous les maux dont souffrait notre rade, un projet de port, fermé, au Nord, par une jetée courbe, enracinée à l’extrémité de la falaise Est, et, à l’Ouest, par un épi perpendiculaire à la plage.

C’est paraît-il, la vieille crainte de l’amiral Mouchez, l’ensablement du port, crainte basée sur une simple hypothèse et que les études faites depuis ont fait disparaître, qui empêcha les Pouvoirs publics de donner suite à ce projet.

Cependant, il devenait chaque jour plus indispensable de faire quelque chose ici pour faciliter les opérations commerciales, trop souvent impossibles et aider ainsi au développement de notre trafic chaque jour plus important. Sous la pression de nombreuses démarches, faites à cette époque par nos représentants, le Service des travaux maritimes donna le jour, en 1883, à un projet qui était purement et simplement une réduction, singulièrement atrophiée, du projet de 1881.

On n’hésita pas, en 1884, à nommer une Commission nautique pour examiner ce projet qui consistait dans l’établissement d’un quai débarcadère protégé par une jetée reliant à la côte 1’« Ilot des Sœurs » et desservi par un chemin d’accès, franchissant à gué l’oued Gazouanah.

Cette Commission, tout bien pesé, décréta (et avec elle l’ingénieur en chef d’Oran) que la construction d’un port-abri à Nemours donnerait des résultats fort incertains, même au prix de sacrifices que l’importance de la localité ne justifierait pas. C’était tout bonnement, pour ce malheureux projet un enterrement de 1èreclasse avec les honneurs d’une oraison funèbre digue d’un meilleur sort. 

Malheureusement pour la Commission, son opinion, très respectable d’ailleurs mais quelque peu fantaisiste, était en contradiction formelle avec les chiffres statistiques accusant, de 1873 à 1881, un accroissement très sensible du trafic de notre port la moyenne du mouvement commercial qui, de 1873 à 1879, était de 9,486 tonnes, était passé, de 1877 à 1884, à 11,340 tonnes ! 

Mais la Commission nautique ne s’arrêta pas à un aussi petit détail. 

Elle approuva la construction de la route (ouvrage de seconde importance), et, jugeant que la jetée et le quai projetés ne sauraient produire des résultats en rapport avec les dépenses qu’ils nécessiteraient, demanda simplement l’établissement d’un débarcadère en charpente (il n’aurait pas tenu six mois !) debout à la plage vers son extrémité Ouest et le prolongement jusqu’à 100 ou 120 mètres de la jetée Est. La fameuse crainte de l’ensablement, cet épouvantait de presque toutes les Commissions nautiques l’empêcha de donner suite à ce vœu de prolongement ; et le débarcadère en charpente jugé, avec raison d’ailleurs, trop peu résistant, on imagina, en 1887, en manière de travaux de port, un quai dans la falaise et un chemin d’accès par l’oued Gazouanah, qui étaient loin de répondre aux exigences de notre trafic, sans cesse grandissant. 

Les travaux projetés en 1887 n’étaient évidemment pas de nature à donner satisfaction au commerce et n’étaient sûrement pas en rapport avec l’importance acquise par notre rade. Le mouvement commercial de Nemours, de 1873 à 1884, était en moyenne de 11.340 tonnes de marchandises, dont 3.854 à l’importation et 7.486 à l’exportation. 

Ces chiffres ont augmenté progressivement chaque année et se sont élevés, de 1897 à 1901, à 15,545 tonnes en moyenne, dont 8,852 à l’importation et 6 692 à l’exportation. Ce mouvement ascendant a atteint de 1902 le chiffre global de 39,905 tonnes, dont 7.891 à l’importation et 32,014 à l’exportation ! Depuis cette époque, par suite de l’agitation perturbatrice des affaires, qui n’a cessé de régner à la frontière, la production générale de cette région a été arrêtée, les transactions commerciales de l’Algérie avec cette partie du Maroc ont été quelque peu paralysées et ces chiffres importants sont retombés légèrement, tout en se maintenant néanmoins, dans les environs de 24 à 25,000 tonnes par an. 

En présence d’un tonnage aussi important, sur une simple rade, on se demande à quoi pouvait donc bien servir un embryon de quai, constamment battu par la mer et inutilisable, à la moindre houle et cet autre chef-d’œuvre qu’est le chemin d’accès, avec un passage à gué dans l’oued Gazouanah, absolument impraticable à la moindre crue de ce torrent ?

On se rendit bien vite compte de l’inutilité parfaite de ces travaux qui ne répondaient nullement aux besoins de l’instant et l’on s’aperçut qu’il n’était plus possible, sous peine de mort pour notre région, de rester plus longtemps dans une pareille situation.

Nemours eut alors un mouvement (oh ! un simple mouvement bientôt apaisé !) de révolte bien légitime. Elle se mit à crier un peu plus haut et un peu plus fort qu’elle, ne l’avait fait jusqu’à ce jour. Tour à tour elle implora, menaça, supplia et obtint enfin, grâce au bienveillant et puissant appui de nos dévoués représentants  (assez magnanimes pour nous pardonner notre geste d’impatience), la réunion d’une Commission nautique, le 22 mai 1905 !

Elle était chargée d’examiner, cette fois très  sérieusement, le projet complet de notre port, préalablement établi et présenté par le service des Ponts-et-Chaussées, sous la savante direction de MM. Leioutré et Platel, ingénieurs, à qui nous nous plaisons à rendre, en cette circonstance, un hommage public de reconnaissance. 

Cette Commission reconnut enfin que le port de Nemours est le port d’exportation des produits agricoles de toute la région française de Marnia et de la région marocaine d’Oudjda, que beaucoup de ces produits qui vont aujourd’hui à Oran et Melilla, se dirigeraient sur Nemours, si les opérations d’embarquement y étaient plus sûres et moins onéreuses, Elle admit parfaitement que la région de Nemours mérite de retenir l’attention, car l’accroissement constant de son commerce est une preuve irréfutable de sa vitalité.  Elle déclara même qu’il y a ici des éléments de prospérité qui contribueront, dans une large mesure, à l’essor commercial du pays. 

C’est ainsi que la création aujourd’hui décidée d’une zone irrigable de près de cinq mille hectares autour de Marnia, va faire des plaines de Marnia et d’Oudjda une des régions les plus fertiles, les plus productives et les plus riches de l’Algérie et ce, pour le plus grand profit du chemin de fer Marnia-Nemours, qui drainera toute cette production, et de notre port où viendront s’embarquer tous ces produits.

D’autre part l’achèvement prochain de routes en construction autour de Nemours, telles que la route de Nemours à Tlemcen par Hennaya, Nemours à Raschgoun et Nemours à la frontière marocaine, par Sidi-Bou-Djenan, Martimprey et Si Mohamed ou Berkane, va rendre les communications dans cette région faciles, rapides et économiques.

Enfin, le développement des mines de plomb argentifère de Ghar-Rouban et surtout des mines de blende et de calamine de Maaziz et Masser ne peut que contribuer à la prospérité générale de notre région et au développement du trafic de notre port. La Commission, après de minutieuses investigations et un examen approfondi du projet qui lui est soumis, finit par déclarer qu’on doit pouvoir tabler ici sur un tonnage moyen de 30.000 tonnes au moins pour les premières années, et elle ajoute, en manière de conclusion, que malgré les conditions nautiques défavorables de notre rade, le moment est venu de faire, pour doter Nemours d’un port-abri, les sacrifices qui avaient jusqu’ici été jugés hors de proportion avec l’importance du trafic.

Le projet d’un port-abri à Nemours, soumis à la Commission nautique de 1905, comporte un ensemble de travaux fort intéressants et, en tous cas, très suffisants pour les besoins de notre commerce. Voici les grandes lignes du programme à exécuter. 

Tout d’abord, une grande jetée Nord, partant du bout de la falaise Est qui limite la rade dans cette direction, se dirigera vers l’Ouest sur une distance de 166 mètres, puis s’infléchira un peu plus vers le sud, sur l65 mètres. Ensuite, on construira une jetée Ouest, enracinée à l’extrémité des enrochements qui se trouvent dans le prolongement de la rue de Nédromah, dirigée normalement au quai sur 240 mètres, puis s’infléchissant vers le N. E. sur une longueur de 250 mètres, de façon à laisser entrer son musoir et celui de la jetée Nord, une passe qui pourra varier de 112 à 150 mètres.

Enfin en avant de cette passe, sera établi un brise-lames d’une longueur de 340 mètres, laissant deux passes : l’une de 105 mètres à l’Est, l’autre de 150 mètres à l’Ouest.

La surface d’eau qui serait ainsi abritée par ces différents travaux, serait d’environ 16 hectares et des dragages seraient effectués périodiquement de façon à obtenir constamment une surface de 11 hectares avec des fonds de 7 mètres au moins. 

La dépense totale prévue pour l’exécution de ce projet s’élèverait approximativement à 3.300.000 francs. Il faut noter que la Municipalité de Nemours aurait l’intention de participer à ces travaux pour une somme d’environ 1 million. Après avoir présenté à propos de ce projet des observations d’ordre technique qu’il serait trop long d’examiner ici, la Commission fait remarquer, avec juste raison, que la dépense de 3.300.000 fr, qui semble devoir être un minimum, peut paraître bien élevée pour obtenir un abri de 11 hectares seulement utilisables, et que, d’autre part, aucun agrandissement de ce port ne sera possible, dans l’avenir, car si les espérances qui légitiment une pareille dépense se réalisaient, on pourrait regretter, comme il est arrivé souvent, d’avoir fait un port trop petit. En reculant dans l’Est d’une centaine de mètres, la jetée Ouest et le brise-lames il suffirait de prolonger la jetée Nord de cette longueur pour obtenir un port qui, pour une augmentation de dépense d’environ 300.000 francs, serait agrandi d’un tiers. La Commission demande donc qu’il soit tenu compte de cette observation dans la mesure où les crédits les permettront.

Quant à la fameuse crainte de l’ensablement du port, la Commission en fait très heureusement justice et reconnaît facilement qu’il s’est produit une diminution importante des sables apportés dans la baie par l’oued Touent, aujourd’hui complètement dérivé, et que, si un mouvement de sable se produit, il sera assez lent pour que des dragages périodiques puissent facilement assurer l’entretien dos profondeurs.

Sous le bénéfice de ces justes observations, la Commission approuve le projet présenté par le Service des Ponts et Chaussées et émet le vœu que dans le cas où les crédits disponibles le permettraient, on donne à notre port la plus grande étendue possible, 

Nemours est donc en 1905, arrivé à un tournant de son histoire, si lamentable avant cette époque. Désormais la Commission officielle, composée d’hommes compétents, reconnaît enfin l’utilité, la nécessité même, d’un port-abri à Nemours et fait, une fois pour toutes, justice des préventions aussi malveillantes que ridicules qui, depuis un demi-siècle existaient contre notre rade, laquelle, je ne cesserai de le répéter, n’est ni plus mauvaise ni plus inhospitalière, que bien d’autres rades de la côte algérienne devenues depuis des ports !

Les travaux de la Commission ont été magistralement exposés dans un remarquable rapport de M. de Vaussey, ingénieur hydrographe, membre de la Commission. C’est sur cet important document que se sont appuyés nos dévoués représentants pour demander avec beaucoup d’insistance aux Pouvoirs Publics de vouloir bien donner enfin satisfaction aux légitimes desiderata des habitants de la région, en donnant à ce projet tout au moins un commencement d’exécution. 

Les résultats des travaux de la Commission de 1905 furent soumis, pour l’examen technique, à la haute approbation du Conseil général supérieur des Ponts-et-Chaussées, à Paris. Cette éminente assemblée délégua ici son président, M. Quinette de Rochemont, accompagné de deux techniciens et du Directeur des Travaux publics du Gouverneur général. Ces Messieurs vinrent à leur tour, étudier sur place le projet qui leur était soumis, 

Nous n’entrerons pas ici dans le détail des objections qu’ils soulèvent, Tout ce que nous pouvons affirmer c’est que d’après eux, la somme de 3.300.000 francs indiquée par le projet des Ponts-et-Chaussées serait bien au-dessous de la vérité, et que c’est 6.000.000 de francs qu’il y avait lieu de prévoir pour l’exécution du projet du port à Nemours. C’est là un chiffre qui, en admettant qu’il soit exact, n’est pas fait pour nous émouvoir, quand on songe à tous ces millions qui se dépensent ailleurs pour des travaux publics de port ou autres d’une utilité tout au moins contestable !

Heureusement pour Nemours que ses dévoués représentants ne se laissèrent arrêter ni par le mauvais vouloir des uns ni par l’hostilité des autres et, grâce à leur bienveillant et puissant appui il fut décidé que les travaux du port de Nemours seraient entrepris incessamment, après l’accomplissement de quelques formalités qui précèdent toujours le commencement de travaux aussi importants.

Entre temps, les Délégations Financières votaient un crédit de deux millions pour les travaux de notre port. Cette somme, devant être prélevée sur le nouvel emprunt de 175 millions que doit émettre prochainement le Gouvernement Général de l’Algérie, en attendant, c’est sur les fonds de réserves que doit être pris le montant des ouvrages préliminaires en cours d’exécution ici, en ce moment, sous l’habile direction du distingué conducteur des Ponts-et-Chaussées, M. Roy Premorant.

Le programme actuel comprend une jetée Nord de 200 mètres de long sur 17 mètres 40 de large au couronnement, suivant une direction Est-Ouest et s’élevant à la côte 0m50 au-dessus du niveau de la mer, puis perpendiculairement à cette jetée, et partant de son milieu, on établira une jetée de 80 mètres de longueur se dirigeant vers la terre et formant ainsi avec la première un véritable petit port destiné à abriter le matériel naval de l’entreprise du port et dont le commerce local pourra profiter le cas échéant. Enfin, à l’Ouest, partant de l’arsenal d’artillerie, et laissant la Gazouanah en dehors, on- commencera l’amorce de la future jetée Ouest en attendant qu’une étude plus approfondie du régime des vents et des mouvements de la mer et des sables (toujours la fameuse peur de l’ensablement !) permette d’établir le projet définitif de notre port abri.

Quant à notre chemin de fer, qui est le corollaire nécessaire de notre port, il est en ce moment en très bonne voie. Dans sa session d’octobre 1908, le Conseil Général d’Oran, sur les vives instances de nos chers et dévoués représentants, autorisa M. le Préfet, le regretté M. de Malherbe, à signer avec M. Galesloot la convention de concession.

NEMOURS – LE CHEMIN DE FER LES ANNEES 50

Ainsi donc, une ère nouvelle de prospérité s’ouvre pour notre région si longtemps délaissée. Le câble télégraphique sous-marin, nous reliant désormais directement aux Iles Zaffarines, Melilla, l’Espagne et la côte marocaine, fonctionne admirablement bien, depuis le 14 juillet 1908, sous l’habile direction du distingué M. Pedro Benito y Sanz. Le circuit téléphonique Nemours-Marnia Tlemcen Oran est ouvert au public depuis le 8 octobre 1908 et rend d’inappréciables services à tout le monde et surtout au commerce.

Les travaux d’agrandissement du tunnel de Touent, qui doit nous protéger à tout jamais contre toute nouvelle inondation, sont à peu près terminés. Enfin, la construction de notre chemin de fer et de notre port n’est plus qu’une question de temps.

C’est donc avec la plus vive et la plus légitime satisfaction que nous constatons aujourd’hui que nos justes doléances ont été enfin entendues, et qu’on ne néglige rien pour nous doter d’un outillage économique, qui va nous permettre enfin de sortir du marasme industriel et commercial dans lequel nous nous trouvions si injustement depuis un demi-siècle.

Adressons nos plus vifs remerciements à MM. Leloutre et Platel, ingénieurs du Contrôle, chargés de l’établissement des projets de tous ces travaux importants, d’un intérêt vital pour nous, à M. Laurent Fouque, notre cher conseiller général, qui s’est employé de toute son âme à nous faire obtenir satisfaction, et à Monsieur le Gouverneur Général de l’Algérie, dont la bienveillance ne nous a jamais fait défaut. 

Rendons enfin un public et éclatant hommage de gratitude et d’affectueux dévouement à nos vénérés représentants, MM. Etienne et Saint-Germain, dont la puissante intervention et l’inlassable ténacité ont eu raison de tous les obstacles qui s’opposaient à la réalisation de nos vœux les plus chers.

OCTAVE LLABADOR.

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