Ils comprennent les monuments commémoratifs des combats de Sidi Brahim (septembre 1845) et de Bab El Assa (novembre 1907) – Monuments commémoratifs du combat de Sidi-Brahim.
a) MONUMENTS COMMEMORATIFS DE LA BATAILLE DE SIDI BRAHIM
Ces monuments marquent les phases successives de cette tragique odyssée. Ils comprennent : la Colonne Montagnac (combat du Kerkour), La Qoubba de Sidi-Brahim (héroïque défense du Marabout) et le Tombeau des Braves (dernier carré des survivants de Sidi-Brahim).
La Colonne Montagnac : sur lesommet d’un monticule connu sous le nom de Rokbat Mezzoudj, un des contreforts de la petite chaîne du Guerbous, à 6 km W. de Sidi Brahim, sur le lieu même où s’est accomplie la dernière phase de la lutte qui a vu tomber Montagnac au milieu de ses soldats (Canal), s’élève le monument funéraire appelé communément : Colonne de Montagnac.
« En février 1846, la Colonne Cavaignac ensevelit les restes des soldats de Montagnac dans un ossuaire et en 1847, la Colonne Cotte éleva à la hâte, sur cet emplacement, un massif en maçonnerie. Ce massif fut remplacé en 1853, grâce au 4ème bataillon des chasseurs à pied, par un monument qu’on appela dès lors Colonne Montagnac. C’était une pyramide de 5 m de haut, portée sur un piédestal quadrangulaire haut de 2m50 auprès duquel on avait accès par trois marches. Il portait sur chacune de ses faces une inscription :
Face Est : Sid Brahim, 23 septembre 1845
Face Nord : Lieutenant-colonel de Montagnac, commandant supérieur
Face Ouest : 3ème bataillon de chasseurs à pied, Froment-Coste, commandant
Face Sud : 2ème Hussards, Gentil de Saint Alphonse, capitaine-commandant
Ce monument fut à peu près complètement détruit par la foudre dans la nuit du 17 au 18 mars 1888, mais il a été réédifié depuis tel qu’il était avant l’accident ». (Azan Sidi Brahim, Paris, 1905 p. 771)
La Qoubba de Sidi Brahim (à 10 km S.W. de Nemours). Ce mausolée, à dôme hémisphérique, mesure environ 4 mètres de côté. L’intérieur est actuellement garni d’une sorte de catafalque recouvert de tapis, de foulards multicolores et d’étendards religieux. D’après M. Guin, ancien interprète principal de la division d’Oran, elle renfermerait les restes de Sidi Brahim El Bedaï, saint homme originaire des Bédéa, un des groupes venus d’Espagne lors de la grande expatriation.
A l’origine, cette Qoubba était entourée d’un mur de pierres sèches, de forme carrée, n’ayant guère plus d’un mètre de hauteur.
Comme on le sait, c’est là que la compagnie de carabiniers du capitaine de Géreaux, du 8ème bataillon de chasseurs à pied, assaillie par les cavaliers d’Abd el Kader, dut se réfugier et soutenir un siège héroïque après la défaite et la mort de Montagnac (combat du Kerkour).
Sur l’une des faces de la Qoubba, on peut lire sur plaque l’inscription suivante :
Sidi Brahim 1845
Hommage du 8ème bataillon de chasseurs
à ses héroïques camardes
Délégation 24 décembre 1898
Cette plaque commémorative fut posée par une délégation du 8ème bataillon de chasseurs venue d’Oran, où elle avait assisté, le 18 décembre 1898, à l’inauguration du monument élevé sur la place d’Armes, à la mémoire des soldats morts à Sidi Brahim.
La Qoubba, classée monument historique par arrêté du 21 février 1911, est aujourd’hui entourée d’une grille de fer placée en 1913, aux frais et par les soins de la Commune mixte de Nédroma.
L’entrée s’ouvre entre deux piliers de maçonnerie. Chaque pilier est décoré d’une sorte d’écu (orné de diverses armes) sur lequel on lit :
A la gloire du
8ème bataillons de chasseurs à pied
Sidi Brahim
23-26 septembre 1845
Un crédit de 11.000 frs fut demandé en 1929 par l’architecte des monuments historiques d’Oran pour réparation du mur de clôture et intérieur des bâtiments. « Restauration désastreuse car le vieux mur de pierres sèches a été démoli et remplacé par un mur à l’européenne, aux joints solidement cimentés ».
LE TOMBEAU DES BRAVES : le premier monument qui marqua pendant plus de cinquante ans l’emplacement où furent ensevelis, le 11 octobre 1845, les restes des carabiniers retrouvés par la Colonne de Lamoricière, était situé dans l’ancien cimetière de Nemours, sur le versant ouest du plateau de Sidi Amar.
C’était un massif de maçonneries en moellons bruts enduits au ciment d’une hauteur totale de 1m70, sur lequel on pouvait lire, autrefois, sur les faces Est et Ouest, une inscription à demi-effacée :
Septembre 1845
De Montagnac lieutenant-colonel
Les phases opposées auraient porté, d’après le capitaine A. Pernot, les noms des officiers du 8ème bataillon et du 2ème hussards tués le 23 septembre 1845, conformément à la décision royale du 17 octobre 1845. (Pernot (A), combats de Sidi Brahim p.45).
Exhumation et translation des ossements des carabiniers dans le « Tombeau des Braves » – Le mercredi 24 mai 1899, les ossements de ces carabiniers durent être exhumés et transférés, au milieu d’une foule immense, dans l’ossuaire du Tombeau des Braves, bâti en1846 par les soldats du génie au pied du village de Oulad Ziri, à 1.800 m de Nemours, sur l’emplacement même où étaient courageusement tombés les derniers survivants de Sidi Brahim.
Le mausolée mesure 6m90 de large sur 4 mètres de haut. Sur une dalle rectangulaire en marbre blanc, scellée dans le pignon, est gravée l’inscription suivante :
« A la mémoire de soldats de la compagnie de carabiniers du 8ème Bataillon de chasseurs d’Orléans et de leurs officiers : MM Géraud, capitaine ; Chapedelaine, lieutenant ; et Rogazetti, chirurgien-major, massacrés dans ce ravin par les Arabes des environs le 26 septembre 1845 ». (les noms sont mal orthographiés : il faut lire de Géreaux, de Chappedelaine, Rosaguti).
Dans le soubassement, sur une plaque de marbre noir, de 3 m de long sur 0m50 de hauteur, est gravée en lettres d’or, l’épitaphe suivante :
« Derniers débris de la Colonne Montagnac et réfugiés au nombre de 79 dans le marabout de Sidi Brahim, ils avaient juré de mourir plutôt que de se rendre. Pendant 3 jours, sans vivres et sans eau, ils repoussèrent les attaques d’Abd el Kader. Puis ayant brûlé leur dernière cartouche, ils se firent jour à travers les Arabes qui les bloquaient. Arrivés à 2 km de Nemours, ils furent assaillis par les Ouled Ziri Tous succombèrent à l’exception de neuf qui purent se réfugier dans la ville ». A l’intérieur du mausolée, on peut lire :
Le 8ème Bataillon de chasseurs
Aux héros de Sidi Brahim
18 Déc. 1898
En réalité, quinze chasseurs et un hussard purent se faire jour jusqu’à la porte de la ville. Deux d’entre eux expirèrent en arrivant de sorte qu’il ne revint à Nemours que 14 hommes, dont le caporal Lavayssière.
En 1898, ce mausolée était encore entouré d’une grille de bois peint, bordé sur tout son pourtour de hauts cyprès. (Canal (J.), Les villes d’Algérie : Nemours (Djemmâa-Ghazaouât). Aujourd’hui, une grille en fer entoure cet ossuaire. Le Tombeau des Braves a été classé monument historique par arrêté ministériel du 21 février 1911.
Avant la construction du « Tombeau des Braves », il existait, au même endroit, un tumulus en maçonnerie surmonté d’une simple croix de bois noir. Alexandre Dumas, qui se trouvait à Nemours le 27 novembre 1846, nous le décrit « comme une espèce de tumulus romain ombragé par des touffes de figuiers et vers lequel on pouvait s’avancer par un chemin dont le pavé formait encadrement ». Il l’appelle le « Tombeau du capitaine de Géreaux ». « Ce tombeau, ou plutôt cet ossuaire, qui enferme, écrivait-il, les restes de Géreaux et de ses compagnons, leur a été élevé par la piété de la garnison de Djemmâa-Ghazaouât ». (Dumas (A.), Le Véloce, ou Tanger, Alger et Tunis, Paris 1849, p. 361)
Nous avons eu la bonne fortune de retrouver le croquis de ce premier monument dû au talent du peintre Louis Boulanger. Nous le reproduisons ci-après avec un extrait d’une lettre inédite d’Alexandre Dumas au Duc d’Orléans, extrait publié en 1935 par le courrier royal (numéro du 10 août).
Ci-dessous, photos d’archives montrant la récupération des cercueils.
LE PALMIER D’ABD EL KADER (à 17 km de Nemours). C’est sous ce palmier qu’Abd el Kader rencontra le général Cavaignac et le colonel Cousin de Montauban à la place du général Lamoricière et qu’ensemble, ils se rendirent à Djemmâa-Ghazaouât où ils retrouvèrent ce dernier et le duc d’Aumale.
« C’est sur le terrain même de sa plus grande victoire, écrivait Azan, que deux ans plus tard, l’Emir Abd el Kader, devait venir se soumettre à la France. Le 23 décembre 1847, il se présentait au bivouac du colonel de Montauban établi près du Marabout de Sidi Brahim, en faisant halte près du palmier isolé qui a conservé son nom. Il rencontrait ensuite Lamoricière et Cavaignac et faisait route avec eux sur Djemmâa-Ghazaouât, qui déjà s’appelait Nemours. C’est dans ce petit port qu’il renouvelait sa soumission au duc d’Aumale, devant la maison même du commandant Montagnac était parti ». (Azan (P.) Sidi Brahim, in Terre d’Afrique illustrée, n° 128, Noël 1928, p 16.)
Ce palmier est aujourd’hui entouré d’une grille et gardé par un habitant. On peut lire, sur une pierre de la base 23 Déc. 1847
NB : L’Emir Abd el Kader ne s’est jamais soumis et n’a jamais fait sa soumission à quiconque. Il avait demandé la cessation des combats sous conditions. Ses conditions avaient été acceptées, mais encore une fois les Français ont trahi leur parole donnée et l’Emir, sa famille et toute sa suite se retrouvèrent prisonniers pendant cinq longues années jusqu’à leur libération par Napoléon III. Mais l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs…
La maison de Montagnac : (Pavillon du Commandant d’Armes situé derrière l’église).
C’est dans le petit jardin attenant à cette maison qui fut celle du Lieutenant-Colonel de Montagnac, qu’Abd el Kader se présenta, le 24 décembre 1847, au duc d’Aumale et lui offrit son cheval, n’en ayant plus l’utilité. On rapporte aussi que l’Emir passa sa dernière nuit dans le pavillon avant son départ en captivité (23 ou 24 décembre 1847). Mais s’il est exact que l’Emir fut introduit dans l’une des chambres du pavillon du commandant d’Armes, il paraît peu vraisemblable, par contre, qu’il y passa sa dernière nuit. E. Pellissier de Reynaud (Annales algériennes, tome III, p.304) rapporte en effet qu’après sa présentation publique et officielle au Duc d’Aumale, au cours de laquelle il lui offrit une jument noire, « Abd el Kader retourna à pied dans sa tente ».
Le 26 septembre 1945 fut inaugurée officiellement, au cours des cérémonies émouvantes qui marquèrent le Centenaire du Combat de Sidi Brahim, la plaque de marbre scellée sur la façade de l’immuble et portant l’inscription suivante :
« Le Lieutenant-Colonel Lucien de Montagnac du 15ème Léger, Créaeur et organisateur du poste de Djemmâa-Ghazaouât, situé sur l’emplacement actuelle de Nemours, fit construire cette maison comme poste de commandant et l’occupa des premiers jours d’avril du 21 septembre 1845 avant de partir pour l’expédition au cours de laquelle il fut glorieusement tué ».
« Plaque inaugurée le 29-9-1945
Pour le centenaire de Sidi Brahim »
b) MONUMENTS COMMEMORATIFS DE LA BATAILLE DE BAB EL ASSA
Il commémore le tragique épisode du combat de Bab el Assa qui se déroula le 27 novembre 1907 et au cours duquel le lieutenant Blondin de Saint hilaire, le sergent Poggi et 12 soldats de la 16ème compagnie du 2ème tirailleurs de la garnison de Nemours trouvèrent une mort héroïque en luttant contre les hordes marocaines de la frontière qui menaçaient Nemours.
Dû au statuaire Fulconis, ancien élève de l’École des beaux-Arts de Paris, ce monument repréente un tirailleur au premier temps de la charge. Il fut terminé en septembre 1909 et inauguré officiellement le 9 novembre de la même année en présence des autorités civiles et militaires de la région. Le général Lyautey, alors chef de la division d’Oran et le général Muteau de la subdivision de Tlemcen, assistaient à l’inauguration. Sur le socle de ce monument on peut lire :
Honneur et Patrie
Aux Héros de Bab el Assa
27 novembre 1907
A la base de ce monument, sur une plaque de marbre, est gravée l’inscription suivante :
« Érigé en 1909 par un comité d’initiative
sous la présidence et la direction de M. Georges Llabador »
Chaque année, ce monument est l’objet de pieux pèlerinages de la part des autorités civiles et militaires.
A Bab el Assa, qui se trouve à 3 km500 de la frontière marocaine et à 30 km de Nemours, sur la route de Lalla-Maghnia à Port Say, où se déroula le combat, on peut voir dans une petite vallée, à 1.500 environ au sud de l’usine de crin végétal, une colonne en pierres de taille de 3m,80 de hauteur est élevée à la mémoire du lieutenant Blondin de Saint Hilaire, à l’endroit même où il succomba avec le sergent-fourrier Poggi et ses 12 tirailleurs.
Ces derniers tués au combat du 27 novembre, et les deux légionnaires de la 2ème compagnie du 1er Etranger, tués au combat du 29 novembre 1907, reposent dans un petit cimetière situé près de l’usine de crin végétal, sur une petite colline, à droite de la route se dirigeant vers Port Say.
A l’intérieur de ce cimetière s’élève un monument représentant une qoubba en miniature. Sur sa face Sud est gravée l’inscription suivante :
Près de ce monument reposent douze tirailleurs
De la 16ème Cie du 2ème régiment
Tués à l’ennemi le 27 novembre 1907
Près des tombes des deux légionnaires existe également un petit mausolée sur lequel on peut lire :
CONFERENCE A BOURGES LE 24 MAI 2013PARZohra MALDJI
«L’Emir Abdelkader a montré que la religion n’excluait pas la science, que la science n’excluait pas l’humanisme, que la foi n’excluait pas le spiritualisme»
Raconter la vie de l’Emir Abdelkader est une véritable gageure tant elle est riche et bien remplie. Ses actes et actions si nombreux, ses multiples batailles, ses victoires comme ses défaites, tout aussi retentissantes, son combat contre l’ignorance et pour le savoir, sa défense pour son pays qu’il voulait uni, grand, libre et indépendant, en un mot souverain, sa foi indéniable, sa parole jamais prise en défaut, les vertus de corps, d’esprit et d’âme qu’il prônait jamais oubliées ni reniées démontrent bien qu’il était non seulement un homme hors du commun mais aussi un personnage plein de noblesse et de majesté.
Chef guerrier indomptable, grand chasseur et cavalier émérite, prince altruiste et juste, il incarnait la puissance, la force et l’autorité. Sa remarquable intelligence, sa grande sagesse, sa culture et son immense savoir ainsi que son humilité devant son Créateur ont fait de lui un homme complet et parfait, mais qui restait toujours à l’écoute des plus humbles.
Mais comme le dit si bien Bruno Etienne dans son livre « Abd el Kader » : «Aucun interdit ne pèse sur d’autres lectures possibles de la vie de l’Emir qui est assez riche pour faire l’objet de plusieurs interprétations : celui-ci se satisfera de sa résistance aux Français, celui-là en fera le créateur de l’Etat moderne ; ses ennemis seront honorés de sa grandeur, ses amis de son humanité ; un autre goûtera les joies de sa mystique, tandis que sa modernité surprendra tel autre ; même le capitaliste y trouvera son compte avec l’affaire Suez ; et si sa poésie est quelque peu désuète, je suis sûr que tous les cavaliers l’admireront. Dieu, lui, reconnaîtra les siens… ».
Mais qui était donc l’Emir ? Tout d’abord, il faut savoir qu’il venait d’une famille de grande noblesse. Il était de filiation maraboutique car son grand-père, Mustapha, était le cheikh fondateur de la Tariqa Qadiriyya, un ordre soufi.
L’Emir Abd-el-Kader est né dans l’Ouest algérien dans le petit village de la Guetna, près de Mascara, le 6 septembre 1808. Il est le troisième enfant de Mahieddine, chef de la confrérie de la Quadiriyya, qui a lui-même combattu les troupes françaises dès leurs premières incursions dans l’Ouest algérien en 1830.
Tout jeune enfant, Abdelkader fait déjà preuve d’une intelligence précoce et d’une grande maturité et dès l’âge de cinq ans entreprend l’apprentissage du Coran. Il apprend les sciences religieuses, la langue et la littérature arabe, les mathématiques, l’astronomie, l’histoire et la philosophie. Platon, Aristote, Al-Ghazali, Ibn Rushd et Ibn Khaldun lui sont familiers, tout comme Averroès et Avicenne, et bien entendu le grand Ibn Arabî. Par ailleurs, il possédait une phénoménale mémoire.
« Mais, comme le dit l’Emir lui-même, peu importe ma généalogie à un moment où elle n’a plus que l’importance d’un fardeau : il ne suffit pas de demander quelle est l’origine d’un homme, il faut au contraire interroger sa vie, ses actes, son courage, ses qualités pour savoir qui il est et ce qu’il en est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure. »
Dès 1830, Abd-el-Kader manifesta son engagement, aux côtés de son père d’abord, puis en lui succédant à la tête des tribus de la région d’Oran et de Mascara, qui refusaient de se soumettre aux Français. Abd-el-Kader, qui a à peine 22 ans, participe à la résistance populaire et se distingue par sa bravoure et d’audace au cours des combats livrés sur les remparts de la ville d’Oran lors du premier accrochage avec les Français
Après la chute d’Oran en 1831, les cheikhs et les ulémas décidèrent de désigner un chef pour la conduite de la résistance à l’occupation étrangère. Leur choix se porta sur Cheikh Mahieddine, mais trouvant la tâche trop lourde, il déclina l’offre en raison de son âge avancé. Mais, devant l’insistance de l’assemblée il proposa plutôt son fils Abdelkader, ce qui déplut à plusieurs tribus qui voyaient d’un très mauvais œil ce jeune Sultan, âgé tout juste de 24 ans, à qui pourtant ils firent allégeance, et ce par deux fois.
Il obtiendra le titre de «Commandeur des croyants », lors de la première « Moubayaa » (allégeance) qui eut lieu dans la plaine des Ghriss (près de Mascara), le 27 novembre 1832, sous l’arbre de Dardara, suivie d’un deuxième plébiscite général, le 4 février 1833. Ce qui lui confèrera un pouvoir temporel et une autorité spirituelle. Par ses talents d’orateur, son énergie et son charisme, il affirmera d’emblée son autorité.
Il devra se battre autant contre les Français que contre certains chefs de tribus qui lui étaient hostiles : al-Ghomari, le cheikh des Angad, cherche même à faire nommer un autre sultan par les Ouled Sidi Cheikh et les Sahariens, avec l’appui de Kaddour ben Mokhfi, des Borjia et des tribus du Cheliff ; le vieux Mustapha ben Ismaîl le trahira sur ses arrières à Tlemcen et la puissante confrérie de la Tidjania s’opposera à lui ; d’autres tribus encore firent allégeance à la France pour ne pas se rallier à l’Emir.
1832-1840 – ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE ET PREMIÈRES VICTOIRES
L’Emir prit en charge la lourde responsabilité de la guerre sainte, de défense de la population et de la terre d’Islam alors qu’il était en pleine jeunesse. Très vite, il soumet sa région, l’Ouest de l’Algérie, à l’exception des villes d’Oran et Tlemcen, ottomanes, et des villes côtières de Mostaganem, Mazagran et Béjaïa, aux mains des Français.
Stratège militaire, il lance l’appel au Djihad et dirige la résistance à partir de Mascara sa capitale. Il défait les troupes françaises et, le 26 février 1834, oblige le général Desmichels à signer un traité qui reconnaît son autorité.
Face à ce jeune guerrier, intelligent et audacieux, au prestige rapidement établi, les Français tentèrent d’abord de ruser. Le général Desmichels pensait faire de l’Emir un allié qui sécuriserait l’arrière du pays et unifierait les tribus rebelles et, moyennant un accord avec lui, les conquérants pourraient à leur tour établir leur protectorat, ce qui, en quelque sorte amènerait l’Emir à être leur vassal…
De son côté, Abd-el-Kader avait momentanément avantage à la paix, le temps d’unifier et d’organiser ses troupes. Le général et l’Emir se mirent donc d’accord pour signer ce qu’on appela par la suite le « Traité Desmichels« .
REPRISE DES HOSTILITÉS
Décidé sans l’avis du gouvernement français, l’accord signé le 26 février 1834 avec le général Desmichels reconnaissait à Abd-el-Kader le titre de Commandeur des croyants et sa souveraineté sur le Beylik d’Oran, à l’exception des villes d’Oran, d’Arzew et de Mostaganem. En fait, ce traité était gros de malentendus, les deux versions, française et algérienne, étant contradictoires.
Les conquérants n’y voyaient qu’un armistice provisoire ; Abd-el-Kader le considérait comme la reconnaissance de sa souveraineté, au-delà même de la province d’Oran. Les hostilités reprirent donc sans beaucoup tarder entre les Français et l’Emir. Le gouverneur Clauzel lança deux expéditions successives sur les terres d’Abd-el-Kader, qui évita le combat et réoccupa le terrain.
BATAILLE D’EL MACTA – 28 JUIN 1835
Le général Desmichels, dont la politique est contestée à Paris, est remplacé par le général Trézel, moins conciliant. C’est la Convention du Figuier, signée le 16 juin 1835 entre les Douaïrs et les Zmalas, tribus hostiles à l’Emir, d’une part et le général Trézel d’autre part, qui est le prélude au déclenchement des hostilités.
Le 28 juin 1835, Abd-el-Kader, alors âgé seulement de 27 ans, affrontera, en une mémorable bataille, celle d’El-Macta, les troupes du général Trézel. Usant d’une tactique militaire d’un style nouveau et révolutionnaire, défiant toutes les stratégies usuellement admises à l’époque, l’Emir infligera aux envahisseurs une cinglante défaite.
En apprenant que l’Emir regroupait son armée près de la plaine du Sig (2.000 cavaliers et 800 fantassins), Trézel allait commettre une erreur telle qu’on n’en connaît peu dans l’histoire des guerres. Le général sortit d’Oran le 26 juin 1835 à la tête d’une colonne de 2.800 hommes d’infanterie en plus d’un régiment de chasseurs d’Afrique lourdement équipés, aura à affronter l’avant-garde de l’Emir dans la dense forêt de Moulay Ismaïl en une attaque frontale et sur les flancs, aussi soudaine qu’efficace (tactique dite de l’étau par la tenaille) de la part du détachement de reconnaissance des troupes de l’Emir.
Ce qui ne devait être qu’une mission de reconnaissance sera en réalité un véritable cauchemar pour la colonne française qui, ébranlée, allait sombrer dans la confusion la plus totale. L’attaque semblait se relâcher et au lieu de revenir vers Oran (distante de quelques 40 km), les troupes de Trézel reprennent leur marche en avant pour atteindre les rives du Sig vers le coucher du soleil où ils bivouaqueront. Deuxième erreur stratégique de la part de Trézel.
L’Emir coupera cette nuit-là les lignes de communications ennemies avec Oran ce qui empêchera Trézel de tenter une percée et l’obligera à prendre la direction du port d’Arzew. Troisième erreur tactique. Couper droit à travers une région presque impraticable était difficile à entreprendre. Il ne restait à Trézel que de contourner les Monts Hamiyyane pour ensuite déboucher dans la plaine d’Arzew par le défilé de l’Oued Habra qui prendra à cet endroit le nom d’El-Megta’â.
Comprenant cela, l’Emir enverra 1.000 fantassins en croupe derrière 1.000 cavaliers occuper les pentes du défilé grâce à son génie militaire qu’il apprît « in situ » et non dans les académies militaires de renom. L’étau en place, la tenaille pouvait entrer en action et diriger les troupes françaises vers les marécages. Le piège avait réussi. La colonne Trézel était décimée.
Le bilan était lourd des deux côtés : d’après les rapports militaires de l’époque découverts récemment, les pertes françaises étaient évaluées à près de 1.000 morts et quelques 1.500 blessés. L’Emir fera en outre de nombreux prisonniers. La bataille d’El-Megta’â avec celle de Sidi Brahim ou la défaite française à Constantine, entre autres événements marquants la grande épopée du fondateur de l’Etat moderne algérien, seront pour les envahisseurs français parmi les épisodes les plus douloureux des guerres d’Afrique.
Après cette bataille, Trézel est remplacé par un autre illustre général, le général d’Arlanges, alors que le maréchal Clauzel succède au général comte Drouet d’Erlon. Cette valse de généraux prouve l’ampleur du désastre du côté français qui commença dans la forêt de Moulay Ismaïl (500 morts du côté français) pour se terminer dans les fameux marécages d’El-Macta.
Après l’offensive coloniale contre Mascara et Tlemcen en 1836, l’Emir déplace sa capitale à Tagdempt.
TRAITÉ DE LA TAFNA AVEC LE GÉNÉRAL BUGEAUD
C’est alors que Paris envoya le général Bugeaud en Algérie. D’emblée, il s’y fit une réputation, en remportant une victoire sur les hommes de l’Emir, au bord de l’Oued Sikkak le 6 juillet 1836, avant de regagner la France. Clauzel, toujours gouverneur général, décida alors de lancer une expédition à l’Est, sur Constantine. Ce fut un échec désastreux, qui provoqua son remplacement par le général Damrémont.
Général Bugeaud
Rappelé en Algérie, Bugeaud fut chargé de la négociation avec Abd-el-Kader. Il improvisa une diplomatie toute personnelle, concrétisée par un nouvel accord signé à la Tafna, le 30 mai 1837. Bugeaud céda des concessions territoriales jugées exorbitantes par les Français, mais il y gagna quelques avantages personnels, et notamment la jolie prime de 180.000 francs destinée à l’entretien des chemins vicinaux de la Dordogne, dont il était député.
Ce traité de la Tafna fut sujet, une fois encore, aux interprétations contradictoires entre les deux parties quant aux limites territoriales qui étaient assignées à Abd-el-Kader, mais il donnait aux Français le répit nécessaire pour s’emparer de Constantine, ce qui fut fait lors d’une nouvelle expédition en octobre 1837.
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CRÉATION D’UN ÉTAT
Lors de ses voyages – en 1826/1828 – en Egypte, Syrie et Arabie Saoudite, en compagnie de son père, Abdelkader a pris conscience de l’inexistence d’un Etat algérien quand il a vu ce que donnaient un pouvoir central et un seul dirigeant et cela suscita en lui le désir de créer un pays unifié, et tous ses combats et son acharnement n’auraient qu’un seul but : création d’un Etat digne de ce nom. Il s’était rendu compte que son pays était instable et désuni car toutes les tribus qui en faisaient le tissu ne pouvaient être le noyau d’un véritable Etat.
De par leurs dissensions, leurs disputes endémiques, leurs querelles intestines, les razzias qu’elles se faisaient, les combats qu’elles menaient entre elles, les tribus étaient plus un danger qu’une garantie de paix et de sécurité. Effectivement, certaines tribus lui avaient fait allégeance, mais dans leur esprit retors, l’Emir était jeune et il pourrait avoir le titre de Sultan ou de Commandeur des croyants, sans que cela change quoi que ce soit à leur mode de vie.
Ce qui ne fut pas le cas, loin de là. Ils s’aperçurent bien vite que l’Emir n’avait nullement l’intention de continuer à vivre à leur façon et qu’il ne serait plus question de pillages et de razzias, et pour bien montrer aux chefs de tribus qui se sont opposés à lui de quoi il était capable, il a tout simplement tranché la tête de leurs fils aînés. Après cela, ils n’osèrent plus se révolter et durent lui payer tribut pour l’aider dans son effort de guerre.
D’ailleurs, par trois fois Mustapha Ben Ismaël, chef des Douaïrs, qui gardait Tlemcen pour les Ottomans, Bénaouda Mazari, chef des Zmalas,et Kadour ben el Morsly, chef des Beni Aâmer, tribus hostiles, se sont ligués contre l’Emir et l’ont combattu traîtreusement et férocement. Le plus acharné fut Mustapha Ben Ismaël qui gardait Tlemcen pour les Ottomans. Au dernier combat, l’Emir eut de la chance de s’en sortir, mais tout juste. Il dut aussi se battre contre une secte de fanatiques qui se révolta contre lui, ayant à sa tête d’importants personnages dont, entre autres, son propre frère, Sidi Mustapha, ancien caïd des Flittas.
Par trois fois, ces tribus renégates demandèrent allégeance au général Desmichels, lui indiquant qu’ils se faisaient fort de capturer l’Emir. Mais à chaque fois, le général Desmichels préféra prendre fait et cause pour l’Emir plutôt que pour les tribus parce qu’il avait conscience qu’avoir un seul interlocuteur fiable et valable comme l’Emir était bien plus sûr que d’avoir affaire à ceux qu’il considérait plutôt comme des trublions inconstants et versatiles. Donc sans aucune garantie.
En ce qui concerne les tribus, je vais ouvrir une parenthèse et faire un parallèle. La France était partagée, au Moyen-âge, en provinces, duchés et comtés, dont les seigneurs se faisaient tout le temps la guerre, chacun lorgnant le territoire de son voisin.
Et c’est Louis XI qui unifia le pays en rattachant au domaine royal par des moyens parfois violents, par la ruse, par des marchandages ou par des alliances, la Bourgogne, le Maine, l’Anjou, la Provence ou encore les Flandres, etc.
Louis XIV aussi avait compris que seul un pouvoir central lui donnerait barre sur l’aristocratie, ce d’autant plus qu’il n’avait jamais oublié l’humiliation subie du fait de la Fronde. Et c’est ainsi qu’en créant Versailles, il a obligé les aristocrates à vivre sous ses yeux et selon son bon vouloir, car tout noble qui ne se montrait pas à Versailles, n’existait plus.
Mais revenons à l’Emir. Lui qui aurait préféré de loin passer son temps à lire, à écrire, à s’instruire, à enseigner, à méditer et à prier, a été obligé de prendre les armes à la place des livres et du calame. Abd-el-Kader profita de l’accalmie intervenue entre lui et les Français pour affirmer son pouvoir aux yeux de tous et s’attela à la fondation d’un Etat capable de réaliser l’unité de la Nation et de chasser l’envahisseur. Il rassemble sous sa bannière les tribus de l’Oranie, du Sud, de l’Est et de Kabylie qui se placent sous la direction de son Etat qui contrôle désormais les deux tiers de l’Algérie.
Homme d’Etat, il organise le territoire en Khalifats (Mascara, Médéa, Miliana, Tlemcen, les Ziban, Medjana), disposant de 59.000 combattants. Au cours de cette période, il lance un vaste programme de développement urbain, économique et administratif, bat monnaie et ouvre de nombreux ateliers industriels dont les fabriques d’armement, ainsi que des écoles.
L’Emir a effectivement construit sur des bases solides un Etat-Nation moderne avec tous ses symboles de souveraineté, à savoir :
– Un Drapeau : Ce drapeau était vert de part et d’autre et blanc au centre avec une main ouverte autour de laquelle on pouvait lire à droite « Nasr Min Allah Oua Feth Qarib » (la victoire vient de Dieu et la délivrance est proche) et à gauche « Nasr-ed-dine Abd-el-Qader Ben Mouhieddine » (celui qui fait triompher la religion : Abd-el-Kader fils de Mouhieddine).
– Un Sceau : Le Sceau de l’Emir était constitué de deux cercles concentriques autour d’une étoile à six branches faisant penser à celle de Sidna Daoud (David) ; mais en fait, l’étoile représente le Sceau de Salomon et non l’étoile de David comme on pourrait le croire. Le sceau de Salomon était un symbole très populaire et fréquemment employé dans l’art musulman médiéval.
Dans le grand cercle, était écrit ceci : « Celui qui aura, par l’intervention du prophète, l’assistance protectrice de Dieu, si les lions le rencontrent, ils fuiront dans leurs tanières« .
Dans le petit cercle l’on peut lire ceci : « Billah (par Dieu), El Qader (Le Puissant), El Moutine (Le Solide), Moulana (Notre Maître), Amir El Mouminine (Chef des croyants), El Mansour (Le Victorieux)« . Ensuite à l’intérieur des branches sont cités les noms d’Allah, Mohammed, et celui des califes : Abou Bekr, Omar, Othmane et Ali. Au centre du sceau, il y avait Abd-el-Qader Ben Mouhieddine -1248 (1832).
Dans le drapeau et le sceau de l’émir, on retrouvera une partie de la symbolique utilisée par Barberousse dans son pavillon (couleurs, main, sceau de Salomon, citation, les noms des quatre califes
– Une Monnaie nationale : La Frappe d’une monnaie nationale par cet homme extraordinaire a donné plus de grandeur dans l’affirmation de l’Etat qu’a créé l’Emir. Cette monnaie prouve que l’Emir a non seulement unifié le pays mais qu’il a aussi entamé la modernisation de l’Etat qu’il tente de créer.
Pour assurer l’unité de la nation autour d’un Etat moderne et empêcher les Français de gagner à eux des chefs de tribus, l’Emir comprit qu’il fallait imposer l’unité et profiter du répit pour construire l’Etat moderne support de la nation et moyen de résistance.
Les objectifs de l’Emir (qui devait régner sur les 2/3 de l’Algérie) étaient basés sur la volonté de la nation, l’incarnation du djihad et l’organisation de l’Etat. Certains concepts doivent être définis simplement pour mieux comprendre le génie de l’Emir : si l’Etat est défini comme une entité politique constituée d’un territoire délimité par des frontières, d’une population et d’un pouvoir institutionnalisé, eh bien l’Emir avait bien créé cet Etat. Les deux traités signés avec la France (celui dit « Desmichels » le 26 février 1834 et celui dit de « la Tafna » le 30 mai 1837) ont bien délimité ce territoire à plus des 2/3 de celui constitué par la Régence.
L’Etat spécifiquement Algérien fut fondé sur une base populaire, ce qui est conforme à la tradition Musulmane pour qui le consensus, « El Djmâa », est le fondement de la légitimité.
Cette base populaire était composée d’un ensemble de tribus arabo-berbères que l’Emir s’était efforcé d’unifier autour d’un Pouvoir central ou « Diwane » institué par l’Emir siégeant au début soit à Mascara soit à Médéa. Titulaire donc de la souveraineté, l’Emir personnifiait juridiquement la Nation définie comme une « grande communauté humaine« , installée sur un même territoire et qui possède une unité historique, linguistique, culturelle et économique.
VIOLATION DU TRAITÉ DE LA TAFNA
Le nouveau gouverneur Valée entreprit une expédition sur Hamza, territoire contesté ; le 28 octobre 1839, une colonne française menée par le duc d’Orléans, fils du roi Louis-Philippe, franchit le défilé des Portes de Fer à Sétif. Suite à cette intrusion sur son territoire, l’Emir dénonça la violation du traité de la Tafna, et le 18 novembre 1839 se décida à proclamer la guerre sainte.
Il lança alors ses cavaliers sur la zone de colonisation européenne de la Mitidja, provoquant le ralliement des Algériens travaillant au service des colons. Mais une partie de la population algérienne, éprouvée par la répression mais aussi par la sécheresse et le choléra, renonça à la résistance.
L’Emir Abd-el-Kader tint bon face aux épreuves. Il réprima les séditions et massacra comme il convient les tribus qui le lâchaient. Soucieux d’éviter un combat frontal avec les Français, il harcèle ceux-ci et les surprend en misant sur sa mobilité. Parcourant le pays à marches forcées, il n’est jamais là où on le croit. Pour le ravitaillement de ses hommes et de ses chevaux, l’Emir s’assure partout des réserves, des silos et des greniers bien remplis.
1840-1847 – GUERRE TOTALE DE BUGEAUD
Bugeaud fut nommé gouverneur général de l’Algérie le 29 décembre 1840, avec les pleins pouvoirs – le terme d’Algérie était devenu officiel depuis octobre 1838.
Il avait compris qu’on ne pourrait venir à bout d’Abd-el-Kader qu’en lui empruntant ses propres armes, et d’abord la vivacité dans le déplacement et l’exécution. Cette guerre ne devait pas être menée par les armées régulières, trop lourdes et statiques.
A la mobilité d’Abd-el-Kader, il tenta de répondre par une capacité d’intervention reposant sur la formation de colonnes de 6 à 7.000 hommes, légèrement équipées. Cela nécessita un renforcement considérable des effectifs français, qui dépassèrent 100.000 hommes en 1846.
La guerre totale décrétée, Bugeaud la livra sans pitié ni scrupules, harcelant son ennemi sans relâche, détruisant les silos dissimulés qui servaient de réserve à son adversaire, s’acharnant contre les récoltes, faisant enfumer des populations entières, hommes, femmes et enfants, dans des grottes, assumant explicitement le terme de « barbare » et bravant les critiques de la presse et de l’opposition.
L’HUMANISME DE L’EMIR
A la sauvagerie de la guerre totale décrétée par l’armée française, Abd-el-Kader opposait un comportement humaniste qui étonnait ses propres ennemis.
Par exemple, en pleine guerre de conquête, il négocia les échanges de prisonniers avec Mgr Dupuch, évêque d’Alger, dans des conditions qui lui valurent de durables amitiés. Il rédigea un traité à cet effet, bien avant les conventions de Genève ! Ce règlement militaire, interdisant la torture et la mise à mort des captifs ennemis, a été formalisé dans une charte, elle-même approuvée par une large assemblée des chefs et des représentants des structures de l’Etat algérien de l’époque.
Ce règlement imposait le respect des besoins spirituels des prisonniers en autorisant l’envoi de prêtres dans les camps. Ce décret récompensait pécuniairement tout soldat qui amènerait un prisonnier ennemi sain et sauf quelle que soit sa confession. Plus encore, il menaçait celui qui violerait cette règle de la sanction la plus sévère.
Le comportement chevaleresque, la grandeur morale et l’humanité de l’Emir sont reconnus par ses ennemis. Il institua un règlement humanitaire pour ses prisonniers, dont sa mère s’occupait avec une très grande sollicitude.
Alors que l’Emir Abd-el-Kader faisait preuve de compassion, que dire des exactions de l’armée française à la même époque : populations exterminées, récoltes et habitations brûlées, arbres abattus, animaux massacrés, puits et silos comblés…, avec le dessein de soumettre la population algérienne à la famine.
LA SMALA
La nouvelle tactique de Bugeaud obligea Abd-el-Kader à accroître encore sa mobilité. Dans la Smala de Tagdempt se trouvait une bibliothèque dotée d’un fonds documentaire très riche, premier édifice réalisé par Abd-el-Kader. Le général Bugeaud détruira cette Smala et brûlera tous les ouvrages contenus dans cette bibliothèque. Tagdempt fut incendiée et pillée et toutes ses villes tombèrent les unes après les autres.
Abd-el-Kader conçut alors une nouvelle Smala, capitale mobile, avec deux objectifs : montrer sa puissance par sa présence massive aux tribus sur leur propre terrain et les habituer à la migration, renouant ainsi avec leur ancienne tradition.
Un ordre implacable régnait dans l’organisation spatiale de cette ville nomade, ce qui garantissait la vitesse de son installation et de son déménagement. Elle était conçue comme une série de cercles emboîtés selon un agencement à la fois militaire et cosmogonique, d’inspiration soufie.
Elle permettait de mettre à l’abri les familles des combattants et les blessés pendant que les cavaliers allaient très loin combattre les Français, mais aussi les membres et les biens des tribus qui se plaçaient sous la protection de l’Emir. Cela explique le très grand nombre d’occupants, ordinairement entre 20 et 30.000 personnes, mais qui a pu atteindre 60.000, selon Abd-el-Kader lui-même. La Smala est essentiellement peuplée de femmes, d’enfants et de serviteurs.
Le 16 mai 1843, après une traque de plusieurs jours et profitant de ce qu’Abd-el-Kader patrouille à quelque distance avec ses hommes, le duc d’Aumale, cinquième fils du roi Louis-Philippe, à la tête de 600 cavaliers, surgit au cœur de la Smala désarmée et s’en empare près du puits de Taguine, au Sud-Ouest de Boghar. Cette prise ne le fut pas par hasard, le duc fut mené par l’un des chefs de tribus hostiles à l’Emir, l’Agha Ahmed Ben Ferhat, qui vint informer le prince de la présence inattendue de la Smala à cette même source et de l’absence d’Abdelkader qui était parti en patrouille à quelque distance avec ses hommes.
Le butin est énorme, incluant les manuscrits de l’Emir. Il s’empara de sa tente, fit prisonniers nombre de ses parents, dispersa ses manuscrits et pilla ses trésors. Le massacre fut inévitable malgré la résistance des Hachem grâce à qui la mère, la femme et les enfants d’Abdelkader parvinrent toutefois à échapper au carnage avec d’autres personnes.
L’ISOLEMENT ET L’ABANDON DE SOUTIEN
Bugeaud, devenu Maréchal de France, afin de mieux isoler l’Emir qui, harcelé, se réfugia au Maroc avec son dernier carré de fidèles, décida de neutraliser le sultan du Maroc, afin qu’il retire son appui à l’Emir. Le traité de Tanger, signé le 10 septembre 1844 après la victoire des Français sur les Marocains à la bataille d’Isly, porta un coup très dur à Abd-el-Kader, mis hors la loi par son ancien protecteur.
En effet, il y aura un recul des forces de l’Emir notamment après la perte de ses bases arrières au Maroc, et après que le sultan marocain eut resserré l’étau autour de lui, prétextant son engagement à respecter les termes du traité de Tanger et ordonné à ses troupes de pourchasser l’Emir et ses partisans, y compris les tribus qui s’étaient réfugiées au Maroc pour fuir la répression de l’armée d’occupation.
Le changement intervenu dans le rapport de forces sur les plans interne et régional a eu des conséquences négatives sur le cours de la résistance de l’Emir. Il n’était pas seulement contraint de lutter contre les Français mais de se préoccuper également de ceux qui avaient une vision à court terme ; sans parler des drames qui se succédèrent notamment après que les Français eurent adopté la politique de la terre brûlée.
Désavoué par le gouvernement au sujet de la campagne qu’il avait entreprise sans autorisation en Kabylie (Bugeaud avait commencé à créer des villages comme en France avec ceux qu’il appelait les soldats-laboureurs), le maréchal sera destitué et remettra sa démission avant d’être rappelé en France, le 5 juin 1847, alors qu’il avait tant rêvé de vaincre et de capturer l’Emir.
Le duc d’Aumale lui succéda comme gouverneur de l’Algérie et fut chargé de poursuivre la lutte. La fin de l’aide marocaine coûtait beaucoup à Abd-el-Kader. Le sultan Abd-er-Rahman était désormais un instrument aux mains des Français.
Devant la poussée d’un ennemi disposant de moyens colossaux, l’Emir concède Médéa, Tagdempt, Saïda et Tlemcen et, malgré quelques percées dans la Mitidja, et le Chlef, il recule vers le Dahra. Il reprend cependant l’offensive dans l’Ouarsenis, en Kabylie et dans le Sud (Djebel Amour), contrecarré dans ses projets par le Sultan du Maroc qui lance contre lui ses troupes.
Bien qu’affaibli par le retrait de confiance de quelques tribus, Abd-el-Kader gagnera quand même la bataille du Djebel Kerkour et de Sidi Brahim en septembre 1845 lors de laquelle il combattit et vainquit les troupes du Lieutenant-colonel de Montagnac.
Mais durant les dernières années de résistance, la plupart des tribus engagées dans le combat furent pratiquement massacrées. C’est ainsi qu’acculé, il demandera la cessation des combats à ses conditions et rencontrera le 23 décembre 1847, au lieudit le Palmier, le général Cavaignac et au colonel Cousin Montauban. Puis un peu plus tard, il remit son sabre au général de Lamoricière et offrit a jument au duc d’Aumale, qui le reçut à Djemâa-Ghazaouet où il passa sa dernière nuit.
Le général Lamoricière reçut l’épée de l’Emir contre la promesse formelle qu’il serait conduit avec sa suite soit à Alexandrie, soit à Saint-Jean d’Acre. Le duc d’Aumale avait confirmé la parole du général.
Abdelkader, qui était un homme de foi, un guerrier lucide, un combattant hors pair et un fin stratège, avait compris qu’il était arrivé à la limite de ses forces et de sa capacité à combattre un ennemi devenu bien trop puissant.
Après avoir consulté les ulémas, il avait donc décidé de renoncer à une guerre qui devenait de plus en plus meurtrière et de plus en plus nocive. Il avait abandonné le combat sous certaines conditions. Mais on lui répondit en le mettant en prison. Il s’ensuivit juste après sa reddition, désolation, razzias de toutes sortes, enfumades et exterminations.
Il ne faut pas perdre de vue qu’en 16 ans de guerre, l’Emir a eu à affronter 5 princes, plus de 140 généraux et 16 ministres de la Guerre. Sans oublier les 18 colonnes infernales du général Pellissier, instigateur de l’enfumade des grottes du Daha où périrent des milliers de morts civils et militaires. Pour le récompenser, le général Bugeaud le nomma général de brigade puis général de division. Malgré toutes les atrocités qu’il avait commises, il termina Maréchal de France. Rien que ça !
C’est ainsi que les espoirs de l’Emir furent déçus et, comme pour les autres traités qu’ils avaient signés, les Français ne respectèrent pas non plus leurs engagements. Abd-el-Kader aurait plutôt souhaité mourir au champ d’honneur que de subir ce sort infâme et indigne et exprima ses regrets par ces mots : « Si nous avions su que les choses se dérouleraient ainsi, nous aurions poursuivi le combat jusqu’à la mort« .
Avant de terminer, je voudrais dire un mot sur la mère de l’Emir, Lalla Zohra, une femme admirable et exceptionnelle. L’Emir a beaucoup appris de sa mère qui, avec amour et tendresse, a joué un rôle prépondérant dans sa vie. Elle fut sa conseillère et son inspiratrice. Femme très instruite et religieuse, elle donnera à ses enfants une instruction des plus poussées, et particulièrement à Abdelkader qui était très attentif à ses conseils et lui soumettait ses soucis et ses angoisses.
Pour conclure, comme au début, je terminerai par une citation de Bruno Etienne : «L’émir Abd el-Kader, al-Insan al-kamil, l’homme accompli (de son vrai nom Abd al-Qadir Ibn Muhy al-Din al-Hassani al-Jazaïri), héros positif, résistant, créateur de l’Etat algérien, fin politique, cavalier exceptionnel, homme de lettres et poète, humaniste avant la lettre, savant musulman tolérant, homme moderne et parfait dans sa voie traditionnelle, initiateur du dialogue islamo-chrétien, montre le chemin de la réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée. »
Bibliographie :
Abdelkader – Isthme des isthmes (Barzakh al-Barazikh) de Bruno Etienne
La Vie d’Abd el Kader – Charles-Henry Churchill
ABD-EL-KADER, sa vie politique et militaire – Alexandre Bellemare
TRAITE SIGNE ENTRE ABDELKADER ET DESMICHELSLE 26 FEVRIER 1834.
Article 1– A dater de ce jour, les hostilités entre les Arabes et les Français cesseront. Le Général commandant les troupes françaises et l’Emir ne négligeront rien pour faire régner l’union et l’amitié qui doivent exister entre deux peuples que Dieu à destinés à vivre sous la même domination, et, à cet effet, des représentants de l’Emir résideront à Oran, Mostaganem et Arzew ; de même que pour prévenir toute collusion entre les Français et les Arabes, des officiers français résideront à Mascara. Article 2 – La religion et les usages musulmans seront respectés et protégés. Article 3– Les prisonniers seront immédiatement rendus de part et d’autre. Article 4 – La liberté du commerce sera pleine et entière.Article 5– Les militaires de l’armée françaises qui abandonnent leurs drapeaux seront ramenés par les Arabes ; de même les malfaiteurs arabes, qui, pour se soustraire à un châtiment mérité, fuiraient leurs tribus et viendraient chercher refuge auprès des Français seront immédiatement remis aux représentants de l’Emir résidant dans les trois villes maritimes occupées par les Français. Article 6– Tout Européen qui serait dans le cas de voyager dans l’intérieur sera muni d’un passeport visé par le représentant de l’Emirà Oran et approuvé par le Général Commandant. Fait en double expédition à Oran le 26 février 1834.Le Général Commandant, Baron Desmichels. Au-dessous de la colonne contenant le texte Arabe se trouve le cachet d’Abd-el-Kader.
ARTICLES SECRETS NON COMMUNIQUES AU ROI DE FRANCE
Article 1– Les Arabes auront la possibilité de vendre et d’acheter de la poudre, des armes, du soufre, enfin tout ce qui concerne la guerre. Article 2 – Le commerce de la Mersa (Arzew) sera sous le gouvernement du Prince des croyants, comme par le passé, et pour toutes les affaires. Les cargaisons ne se feront pas autre part que dans ce port. Quant à Mostaganem et à Oran, ils ne recevront que les marchandises nécessaires au besoin de ses habitants, et personne ne pourra s’y opposer. Ceux qui désirent charger des marchandises devront se rendre à la Mersa. Article 3 – Le Général nous rendra tous les déserteurs et les fera enchaîner. Il ne recevra pas non plus les criminels. Le Général commandant à Alger n’aura pas de pouvoir sur les musulmans qui viendront près de lui avec le consentement de leurs chefs. Article 4 – On ne pourra empêcher un musulman de retourner chez lui quand il le voudra.
TRAITE DE LA TAFNA – 30 MAI 1837
Le traité qui suit a été convenu, entre le lieutenant-général Bugeaud et l’Emir Abd el Kader.
Article 1: L’Emir Abd el Kader reconnaît la souveraineté de la France.
Article 2: La France se réserve, dans la province d’Oran, Mostaganem, Mazagran, et leurs territoires, Oran Arzew, et un territoire, limité comme suit : A l’Est par la rivière Macta, et les marais dont elle sort ; au Sud, par une ligne partant des marais précités, passant par les rives sud du lac, et se prolongeant jusqu’à l’oued Maleh dans la direction de Sidi Saïd ; et de cette rivière jusqu’à la mer, appartiendra aux Français.
Dans la province d’Alger, Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja – limités à l’Est par l’oued Khadra, en aval ; au Sud par la crête de la première chaîne du petit Atlas, jusqu’à la Chiffa jusqu’au saillant de Mazagran, et de là par une ligne directe jusqu’à la mer, y compris Coleah et son territoire – seront français.
Article 3: L’Emir aura l’administration de la province d’Oran, de celle du Titteri, et de cette partie de la province d’Alger qui n’est pas comprise, à l’Est, à l’intérieur des limites indiquées par l’article 2. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la régence.
Article 4: L’Emir n’aura aucune autorité sur les Musulmans qui désirent résider sur le territoire réservé à la France ; mais ceux-ci seront libres d’aller résider sur le territoire sous l’administration de l’Emir ; de la même façon, les habitants vivant sous l’administration de l’Emir pourront s’établir sur le territoire français.
Article 5: Les Arabes habitant sur le territoire français jouiront du libre exercice de leur religion. Ils pourront construire des mosquées, et accomplir leurs devoirs religieux en tous points, sous l’autorité de leurs chefs spirituels.
Article 6: L’Emir livrera à l’armée française 30.000 mesures de blés, 30.000 mesures d’orge et 5.000 bœufs.
Article 7: L’Emir aura la faculté d’acheter en France, la poudre, le souffre, et les armes qu’il demandera.
Article 8: Les Kolouglis désirant rester à Tlemcen, ou ailleurs, y auront la libre possession de leurs propriétés, et seront traités comme des citoyens. Ceux qui désirent se retirer dans le territoire français, pourront vendre ou louer librement leurs propriétés.
Article 9: La France cède à l’Emir, Rachgoun, Tlemcen, sa citadelle, et tous les canons qui s’y trouvaient primitivement. L’Emir s’engage à convoyer jusqu’à Oran tous les bagages, aussi bien que les munitions de guerre, appartenant à la garnison de Tlemcen.
Article 10: Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français. Ils pourront réciproquement aller s’établir sur chacun de leurs territoires.
Article 11: Les Français seront respectés parmi les Arabes, comme les Arabes parmi les Français. Les fermes et les propriétés que les français ont acquises, ou pourront acquérir, sur le territoire Arabe, leur seront garanties : ils en jouiront librement, et l’Emir s’engage à les indemniser pour tous les dommages que les Arabes pourront leur causer.
Article 12: Les criminels, sur les deux territoires, seront réciproquement livrés.
Article 13: L’Emir s’engage à ne remettre aucun point de la côte à aucune puissance étrangère, quelle qu’elle soit, sans l’autorisation de la France.
Article 14: Le commerce de la Régence ne passera que par les ports français.
Article 15: La France maintiendra des agents auprès de l’Emir, et dans les villes sous sa juridiction, pour servir d’intermédiaires aux sujets français, dans tous les différends commerciaux qu’ils pourront avoir avec les Arabes. L’Emir aura le même privilège dans les villes et ports français. La Tafna, le 30 mai 1837,
Le Lieutenant-Général commandant à Oran
(Le sceau de l’Emir sous le texte arabe,
Le sceau du général Bugeaud sous le texte français)
الجينرال الحاكم جيوش الڢرنصيص في بلاد وهران وأمير المومنين السيد الحاج عبد الفادر بن محي الدين رضيوا ڢي الشروط الاتيه ادناه
شرط اول من اليوم وصاعدا يبطل الطراد بين الڢرنصيص والعرب. الجنيرال حاكم جيوش الڢرنصيص وامير المومنين عبد الفادر كل واحد من ناحيته يعمل جهده لكى تحصل المودة والعهد الذى يلزم ان تكون بين شعبين اللذين مقدر عليهم من عند الله ان يميشوا تحت حكم واحد. ولاجل هذا امير المومنين لازم يرسل من عنده ثلاثة فناصل واحد لوهران واحد لارزيو وواحد لمستغانم. والجينرال كذلك يرسل من عنده فناصل لمعسكر بيش ما يكون النزاع بين الڢرنصيص والعرب
TRAITÉ DE DÉLIMITATION CONCLU LE 18 MARS 1845 ENTRE LA FRANCE ET LE MAROC
Louanges à Dieu l’unique ! Il n’y a de durable que le royaume de Dieu !
Traité conclu entre les Plénipotentiaires de l’Empereur des Français et des possessions de l’Empire d’Algérie et de l’Empereur du Maroc, de Suez et Fez et des possessions de l’Empire d’Occident.
Les deux Empereurs, animés d’un égal désir de consolider la paix heureusement rétablie entre eux, et voulant, pour cela, régler de manière définitive l’exécution de l’article 5 du Traité du 10 septembre de l’an de grâce 1844 (24 cha’ban de l’an 1260 de l’hégire) ont nommé pour leurs Commissaires Plénipotentiaires à l’effet de procéder à la fixation exacte et définitive de la limite de souveraineté entre les deux pays, savoir:
L’Empereur des Français, le sieur Aristide-Isidore, comte de la Rue, Maréchal de camp dans ses armées, commandeur de l’Ordre Impérial de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre d’Isabelle la Catholique et chevalier de deuxième classe de l’ordre de Saint Ferdinand d’Espagne.
L’Empereur du Maroc, le Sid Ahmida-Ben-Ali-el-Sudjâaï, gouverneur d’une des provinces de l’Empire.
Lesquels, après s’être réciproquement communiqués leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants dans le but du mutuel avantage des deux pays et d’ajouter aux liens d’amitié qui les unissent :
Art. 1. – Les deux Plénipotentiaires sont convenus que les limites qui existaient autrefois entre le Maroc et la Turquie resteront les mêmes entre l’Algérie et le Maroc. Aucun des deux Empires ne dépassera la limite de l’autre; aucun d’eux n’élèvera à l’avenir de nouvelles constructions sur le tracé de la limite ; elle ne sera pas désignée par des pierres. Elle restera, en un mot, telle qu’elle existait entre les deux pays avant la conquête de l’Empire d’Algérie par les Français.
Art. 2. – Les Plénipotentiaires ont tracé la limite au moyen des lieux par lesquels elle passe et touchant lesquels ils sont tombés d’accord, en sorte que cette limite est devenue aussi claire et aussi évidente que le serait une ligne tracée. Ce qui est à l’Est de cette limite appartient à l’Algérie- Tout ce qui est à l’ouest appartient au Maroc.
Art. 3. – La désignation du commencement de la limite et des lieux par lesquels elle passe est ainsi qu’il suit : Cette ligne commence à l’embouchure de l’oued (c’est à-dire cours d’eau) Adjeroud dans la mer, elle remonte avec ce cours d’eau jusqu’au gué où il prend le nom de Kiss ; puis elle remonte encore le même cours d’eau jusqu’à la source qui est nommée Ras-el-Aïoun, et qui se retrouve au pied de trois collines portant le nom de Menasseb-Kis, lesquelles, par leur situation à l’ouest de l’oued, appartiennent à l’Algérie.
De Ras-el Aïoun, cette même ligne remonte sur la crête des montagnes avoisinantes jusqu’à ce qu’elle arrive à Drâ-el-Doum ; puis elle descend dans la plaine nommée El-Aoudj. De là, elle se dirige à peu près en ligne droite sur Haouch-Sidi-Aïèd. Toutefois, le Haouch lui-même reste à cinq cents coudées (250 mètres) environ, du côté de l’Est, dans la limite algérienne.
De Haouch-Sidi Aïèd, elle va sur Djerf-el-Baroud, situé sur l’oued Bou-Naïm ; de là elle arrive à Kerkour-Sidi-Hamza ; de Kerkour-Sidi-Hamza à Zoudj-el-Beghal ; puis longeant à l’Est le pays des Ouled-Ali-ben-Talha jusqu’à Sidi-Zahir, qui est sur le territoire algérien, elle remonte la grande route jusqu’à Aïn-Takbalet, qui se trouve entre l’oued Bou-Erda et les deux oliviers nommés el-Toumiet qui sont sur le territoire marocain.
De Aïn-Tak-balet, elle remonte avec l’oued Roubban jusqu’à Ras-Asfour ; elle suit au-delà le Kef en laissant à l’Est le marabout Sidi-Abd-Allah-Ben-Mohammed el-Hamlili ; puis, après s’être dirigée vers l’ouest, en suivant le col de El-Mechêmiche, elle va en ligne droite jusqu’au marabout de Sidi-Aïssa, qui est la fin de la plaine de Missiouin. Ce marabout et ses dépendances sont sur le territoire algérien.
De là, elle court vers le Sud, jusqu’à Koudiet-el-Debbagh, colline située sur la limite extrême du Tell (c’est-à-dire le pays cultivé). De là, elle prend la direction Sud jusqu’à Kheneg-el-Hada, d’où elle marche sur Tenïet-el-Sassi, col dont la jouissance appartient aux deux Empires.
Pour établir plus nettement la délimitation à partir de la mer jusqu’au commencement du désert, il ne faut point omettre de faire mention et du terrain qui touche immédiatement à l’Est la ligne sus-désignée, et du nom des tribus qui y sont établies.
A partir de la mer, les premiers territoires et tribus sont ceux de Beni-Mengouche-Tahta et de Aâttïa. Ces deux tribus se composent de sujets marocains qui sont venus habiter sur le territoire de l’Algérie, par suite de graves dissentiments soulevés entre eux et leurs frères du Maroc. Ils s’en séparèrent à la suite de ces dissensions et vinrent chercher un refuge sur la terre qu’ils occupent aujourd’hui et dont ils n’ont pas cessé jusqu’à présent d’obtenir la jouissance du souverain de l’Algérie, moyennant une rente annuelle.
Mais les commissaires plénipotentiaires de l’Empereur des Français, voulant donner au représentant de l’Empereur du Maroc une preuve de la générosité française et des dispositions à resserrer l’amitié et à entretenir les bonnes relations entre les deux Etats, ont consenti au représentant marocain, à titre de don d’hospitalité, la remise de cette redevance annuelle (cinq cents francs pour chacune des deux tribus), de sorte que les deux tribus susnommées n’auront rien à payer, à aucun titre que ce soit, au Gouvernement d’Alger, tant que la paix et la bonne intelligence dureront entre les deux Empereurs des Français et du Maroc.
Après le territoire des Aattia vient celui de Messirda, des Achâche, des Ouled-Mellouk, des Beni-Bou-Saïd, des Beni-Senous et des Ouled-el-Nahr. Ces six dernières tribus font partie de celles qui sont sous la dénomination de l’Empire d’Alger.
II est également nécessaire de mentionner le territoire qui touche immédiatement à l’Ouest la ligne sus-désignée, et de nommer les tribus qui habitent sur ce territoire, à portée de la mer. Le premier territoire et les premières tribus sont ceux des Ouled-Mansour-Rel-Trifa, ceux des Beni-Iznéssen, des Mezaouir, des Ouled-Ahmed-ben-Brahim, des Ouled-el-Abbès, des Ouled-Ali-ben-Talha, des Ouled-Azouz, des Beni-Bou_Hamdoun, des Beni-Hamlil et des Beni-Mathar-Rel-Ras-el-Aïn. Toutes ces tribus dépendent de l’Empire du Maroc.
Art. 4. – Dans le Sahara (désert), il n’y a pas de limite territoriale à établir entre les deux pays, puisque la terre ne se laboure pas et qu’elle sert seulement de pacage aux Arabes des deux Empires qui viennent y camper pour y trouver les pâturages et les eaux qui leur sont nécessaires. Les deux souverains exerceront de la manière qu’ils l’entendront toute la plénitude de leurs droits sur leurs sujets respectifs dans le Sahara. Et, toutefois, si l’un des deux souverains avait à procéder contre ses sujets, au moment où ces derniers seraient mêlés avec ceux de l’autre Etat, il procédera comme il l’entendra sur les siens, mais il s’abstiendra envers les sujets de l’autre gouvernement.
Ceux des Arabes qui dépendent de l’Empire du Maroc, sont : les M’béïa, les Beni Guil, les Hamian-Djenba, les Eumour-Sahara et les Ouled-Sidi-Cheikh-el-Gharaba.
Ceux des Arabes qui dépendent de l’Algérie sont : les Ouled-Sidi-el-Cheikh-el Cheraga, et tous les Hamian, excepté les Hamian-Djenba-susnommés.
Art.5.- Cet article est relatif à la désignation des kessours (villages du désert) des deux Empires. Les deux souverains suivront, à ce sujet l’ancienne coutume établie par le temps, et accorderont, par considération l’un pour l’autre, égards et bienveillance aux habitants de ces kessours.
Les kessours qui appartiennent au Maroc sont ceux de Yiche et de Figuigue. Les kessours qui appartiennent à l’Algérie sont : Aïn-Safra, S’fissifa. Assla, Tiout, Chellala, El-Abiad et Bou-Semghoune.
Art. 6.- Quant au pays qui est au sud des kessours des deux gouvernements, comme il n’y a pas d’eau, qu’il est inhabitable et que c’est le désert proprement dit, la délimitation en serait superflue.
Art. 7. – Tout individu qui se réfugiera d’un Etat dans l’autre ne sera pas rendu au gouvernement qu’il aura quitté par celui auprès duquel il se sera réfugié, tant qu’il voudra y rester.
S’il voulait, au contraire, retourner sur le territoire de son gouvernement, les autorités du lieu où il se sera réfugié ne pourront apporter la moindre entrave à son départ. S’il veut rester, il se conformera aux lois du pays, et il trouvera protection et garantie pour sa personne et ses biens. Par cette clause les deux souverains ont voulu se donner une marque de leur mutuelle considération. Il est bien entendu que le présent article ne concerne en rien les tribus, l’Empire auquel elles appartiennent étant suffisamment établi dans les articles qui précèdent.
Il est notoire aussi que El-Hadj-Abd-el-Kader et tous ses partisans ne jouiront pas du bénéfice de cette Convention, attendu que ce serait porter atteinte à l’article 4 du traité du 10 septembre de l’an 1844, tandis que l’intention formelle des hautes parties contractantes est de continuer à donner force et vigueur à cette stipulation émanée de la volonté des deux souverains, et dont l’accomplissement affirmera l’amitié et assurera pour toujours la paix et les bons rapports entre les deux Etats.
Le présent traité, dressé en deux exemplaires, sera soumis à la ratification et au scelle des deux Empereurs, pour être ensuite fidèlement exécuté.
L’échange de ratification aura lieu à Tanger, sitôt que faire se pourra.
En foi de quoi, les Commissaires Plénipotentiaires susnommés ont apposé au bas de chacun des exemplaires leurs signatures et leurs cachets.
Fait sur le territoire français voisin des limites, le 18 mars 1845 (9 de rabï’-el-ouel, 1260 de l’hégire). Puisse Dieu améliorer cet état des choses dans le présent et dans le futur !
De tout temps, et ce depuis l’antiquité, la baie de Nemours, par sa situation privilégiée, a attiré navigateurs et envahisseurs. La position géographique de cette baie enserrée entre deux hautes falaises permettait aux navires à faible tirant d’eau de trouver un havre sûr. Beaucoup prétendent que sans doute que les Phéniciens, les Grecs et les Romains y auraient trouvé refuge et établi un comptoir et le nommant AD FRATRES, symbolisant ainsi les deux rochers devenus célèbres depuis sous cette dénomination, et qui tels des gardiens séculaires, dressent leur haute silhouette à l’entrée du port.
Mais il n’y aucune trace attestant de cette occupation. La petite bourgade de Taount ou Twent, plus tard appelée Lalla Ghazwana, était une petite cité berbère qui existe depuis au moins le 8ème siècle selon Ibn Khaldoun qui mentionne cette cité dans son « Histoire des Berbères ». (cf. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, traduction de Slane, tome III, pp140-141).
Pour s’en rendre compte, il suffit de voir qu’il n’y aucun vestige romain même et surtout à Taount, car les Romains utilisaient de la pierre taillée pour leurs constructions et à Taount on n’en trouve nulle trace, à l’inverse de Siga par exemple, où l’on trouve pierres brutes et pierres taillées qui prouvent la présence tant des Berbères que des Romains. Il n’y a ni borne ni larges routes attestant que les Romains y avaient vécu à une certaine époque, alors qu’ils avaient installé un comptoir à Honaïne qui se trouve à une trentaine de kilomètres de Nemours.
Cependant, les géographes et les archéologues n’ont pas toujours été d’accord sur l’emplacement de cette station. Il faut attribuer cette incertitude du début à l’absence complète d’inscriptions, de vestiges, de bornes militaires de l’ancienne grande voie du littoral et aussi aux distances souvent inexactes données par « L’Itinéraire », le seul document mentionnant Ad Fratres.
Al Bakrî, parlant de Taount la décrivait ainsi : « Elle couronne une colline que la mer entoure de trois côtés. On y arrive par le côté oriental, mais l’accès en est très difficile, l’on ne saurait espérer effectuer la conquête d’une telle place. Elle est occupée par une tribu berbère nommée les Béni-Mansour. Une mine d’antimoine se trouve dans cette colline ». « Les habitants possèdent des jardins et une grande quantité d’arbres ; une partie des figues que l’on récolte à Taount est desséchée au soleil pour être envoyée dans les pays voisins ».
Mais ce qu’il faut savoir c’est que Al Bakrî, géographe hispano-arabe bien connu, était un sédentaire et n’a jamais voyagé. Il recevait tous ls voyageurs et compilait ainsi leurs histoires. Aussi n’est-il pas étonnant que certaines de ses assertions soient fausses ou erronées. Taount était bâtie sur le haut d’une falaise qui possédait un sol pierreux et où ne poussaient que des lentisques, des épineux, des pins et de la lavande sauvage. Il n’y avait pas d’eau sur place puisqu’elle était amenée de l’oued qui se trouvait au pied de la colline par des conduites en poterie. Il reste encore un réservoir sur le plateau qui atteste de ce fait. Les villageois possédaient certes des jardins et des vergers mais ils les cultivaient dans la vallée.
Mais ce nom de Taount fut ensuite changé en celui de Djemmâa-Ghazaouât, que l’on peut traduire effectivement par « place, repère, réunion ou nid de forbans, de brigands, pilleurs ». Ces corsaires, flibustiers, forbans et autres écumeurs de mer étaient plus connus sous l’appellation « pirates barbaresques ».
En effet, lorsque les Turcs qui tenaient Tlemcen avaient investi Taount, dont la sultane de l’époque, nommée Lalla Ghazwana, en était la souveraine, qu’ils le transformèrent en repaire de brigands et de forbans, malgré l’opposition de Lalla Ghazwana qui refusait que sa petite cité devienne un lieu de pillage et de crime. Elle tenta de s’y opposer par les armes, mais elle succomba sous le nombre et la force des Turcs qui lui imposèrent cette situation. Malheureusement, il n’y aucun écrit attestant de l’existence de cette sultane rebelle, à part des récits oraux.
Pour attirer les navires voguant au large, surtout par mauvais temps, ces naufrageurs allumaient donc des feux sur la plage la nuit tombante où venaient s’échouer les navires, trompés par les feux, et s’emparaient de leur cargaison.
Tel un aigle dans son aire, ce village avait une position privilégiée, car sur les trois côtés, il était protégé par la falaise à pic sur lequel il était perché et de l’autre côté, il était impossible aussi de l’attaquer puisque la vue portait loin sur les collines environnantes. Ce village fut détruit sur ordre du général Bugeaud en 1847. Il permit seulement aux habitants de prendre leurs affaires et d’aller s’installer dans les villages environnants. Il ne subsiste plus que des ruines magnifiques de ce qui fût le palais des différents seigneurs, vassaux du roi de Tlemcen.
VESTIGES DE LA FORTERESSE DE TAOUNT
A l’origine, existaient aussi deux mosquées dont l’une s’appelait Djâma Bou Nour (la Mosquée de la Lumière) où l’Emir Abdelkader venait faire la prière du vendredi. L’autre mosquée aurait été fréquentée à l’origine par de pieux musulmans qui occupèrent le Ribât (monastère-forteresse). A l’emplacement de la mosquée Djâma Bou Nour et du cimetière adjacent, le génie militaire français a fait construire un fortin qui domine la baie de Nemours à l’Est. Et qui existe toujours. Pour la petite histoire, de ghazwa (pillage) est né le terme razzia (rezzou au singulier).
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Louis-Charles-Philippe-Raphaël d’Orléans, duc de Nemours (1814-1896)
C’est en l’honneur de ce prince, deuxième fils de Louis-Philippe et de la reine Amélie, que le nom de Nemours fut donné à Djemmaâ-Ghazaouât, par une ordonnance royale signée à Paris le 24 décembre 1846 et promulguée le 15 février 1847.
Louis-Philippe, Roi des Français
A tous présents et à venir, Salut
La Notre Ordonnance du 21 juillet 1845, Sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d’Etat à la Guerre, Nous avons ordonné en Ordonnance ce qui suit.
Je crée à Djemmâa-Ghazaouât, sur le littoral de la province d’Oran, subdivision de Tlemcen, une ville européenne qui prendra le nom de Nemours. Une superficie de onze hectares soixante quinze ares est affectée à l’établissement de la ville et aux concessions à y faire pour les constructions particulières.
Cette ville sera établie conformément au plan d’alignement et de distribution qui sera ultérieurement arrêté par notre Ministre Secrétaire d’Etat de la Guerre.
Si l’on devait donc attribuer officiellement une date de naissance à Nemours, ce serait bien le 24 décembre 1846, date de l’ordonnance royale qui porta création de Nemours, qu’on appelait alors « Djemmaâ Ghazaouât », « la place des pirates » du nom du village de Taount, dont on retrouve les restes sur la falaise située à l’Est.
Toutefois, en 1844, Nemours était beaucoup plus considérée comme point de débarquement, et comme entrepôt provisoire de ravitaillement des troupes opérant sur les confins du Maroc, que comme centre de colonisation. Mais étant donné l’importance de cette région, on a dû vite envisager sérieusement la possibilité d’y installer des colons, et ce bien après l’installation définitive de la France sur ce point du littoral. Notons qu’à l’époque Nemours comptait 498 habitants, un chiffre ridicule sur cette contrée de l’extrême ouest algérien considérée, à l’époque, comme paradisiaque.
Il y avait de quoi, en ce sens que dans cette vallée de l’oued Ghazouanah, il y avait de beaux jardins, des arbres fruitiers, beaucoup de vignes et de figuiers. D’ailleurs, cultures maraîchères et fruitières exotiques abondaient dans cette fraîche vallée bordée de lauriers roses, de roseaux et les bords de l’oued Ghazouanah produisaient beaucoup de fruits.
Nemours ne produisait pas seulement des tuiles, des conserves de poisson appréciées (Papa Falcone, Micelli, Pitzini, etc), des salaisons, mais encore des bananes savoureuses, des goyaves, des plaquemines. Seulement, dès ces temps anciens, il était reconnu que les terrains montagneux de la région généralement pierreux et trop calcaires étaient de fertilité médiocre mais refermant des richesses minières.
Aussi, la France, comprenant la situation maritime exceptionnelle de ce site, décidera de faire de Nemours une cité portuaire en pleine expansion grâce à ses atouts agricoles et miniers. Le Nemours que les anciens ont connu, dans les années 20, à l’époque où son port n’était que projet, la mer montait parfois jusqu’aux marches de l’hôtel de France, proche de la place publique où figurait le monument de Bab-el-Assa, élevé en mémoire des tirailleurs qui en 1859, 1907 et 1908, au cours des opérations dans les Beni-Snassene, avaient farouchement et courageusement lutté à la frontière proche, pour empêcher les insurgés marocains de s’emparer de la cité.
Autre lieu historique, la colonne Montagnac, commémorative du combat dans lequel furent surpris et taillés en pièces par Abd-el-Kader, en 1845, les 62 cavaliers et les 350 fantassins que commandait le colonel Montagnac, commandant le poste de Nemours qui s’était porté au-devant de l’Émir venant du Maroc et cherchant à pénétrer en Oranie, et lui-même y trouvant la mort le 23 septembre 1845…
Les survivants du combat du Djebel Kerkour se réfugièrent et tinrent pendant trois jours à 2 km de Nemours sur la route d’Oujda au marabout de Sidi-Brahim où ils tentèrent de gagner Nemours. Seuls 12 hommes y parvinrent, les autre étant massacrés près du village des Ouled Ziri, ce que rappelle le Tombeau des Braves élevé sur place.
C’est au lieu-dit Le Palmier au pied duquel l’émir Abd-el-Kader, traqué de toutes parts, trahi par le Maroc, fut reçu par le colonel de Montauban, le 23 décembre 1847, qui remplaça au pied levé le général Lamoricière. Peu après, il fut emmené à Djemmaâ-Ghazaouât où il rencontra le duc d’Aumale à qui l’Emir offrit son superbe étalon, sachant qu’il n’en aurait plus besoin là où il allait être emmené. Puis il le fit embarquer pour Oran sur le Solon, qu’il quitta le 24 décembre 1847, sur l’Asmodée. Il est avec son entourage, femmes, enfants, vieillards et blessés. C’est-à-dire quatre-vingt dix personnes dont sa mère, Lalla Zohra, ses trois femmes, ses enfants et ses derniers khalifats fidèles. Mais, hélas, pour l’Emir, la parole donnée par les Français fut trahie et au lieu de l’emmener à Saint Jean d’Acre ou à Damas, il fut descendu à Toulon où il fut fait prisonnier avec toute sa maisonnée !!!
Port du Sahara, le premier nom donné au port, construit de toutes mains, magnifiquement outillé, desservant tout le Maroc oriental, Nemours prit sa place dans l’économie algérienne et marocaine. L’évènement économique sera l’arrivée du premier train le 9 mars 1936 qui sera fêté comme il se doit et début 1937, le premier train de minerai en provenance d’Oujda arrivait en gare de Nemours et c’est ce même jour l’inauguration du port pourvu d’un riche outillage, d’un port moderne qui recevait en même temps la visite de la flottille de contre-torpilleurs de la Marine Nationale.
Port du Sahara était donc devenu Nemours, dont le Méditerranée-Niger déversait sur ses quais alfa, céréales, crin végétal, vins de toute la périphérie de Tlemcen et de Marnia, marbres et onyx, agrumes, primeurs, minerais divers notamment des régions minières de Berguent et de Bouarfa, moutons des hauts plateaux marocains. Trafic dont bénéficiait, du fait du monopole du pavillon, l’armement français et celui de Marseille en particulier.
PÊCHE ET COMMERCE
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que si l’Emir Abdelkader n’était pas venu combattre dans notre région, la ville de Nemours n’aurait jamais existé. En effet, Bugeaud voulait en faire un simple poste avancé pour ses soldats et pour pouvoir transiter armes et marchandises, sans plus . Mais le général Lamoricière décida de construire une petite ville identique à n’importe quelle sous-préfecture de France. Il en commença les fondations, mais le général Bugeaud ayant donné sa démission, il devenait le haut responsable du commandement sis à Oran. Il laissa ses instructions au lieutenant-colonel de Montagnac. (Voir Lettres d’un soldat de Lucien-François de Montagnac).
OranImprimerie typographique du LibéralRue du Foundouk – 1909
Qui ne connaît aujourd’hui Nemours, cette gentille et coquette cité algérienne qui fut jadis la «Djemaâ-Ghazaouât» des Arabes, ce « Nid d’Aigle » dont Alexandre Dumas dans son Véloce fait une description si pittoresque et qui tend aujourd’hui à devenir, par son mouvement d’affaires, un des centres commerciaux les plus importants de l’Algérie, et par son climat idéalement tempéré, le séjour recherché des hiverneurs et des estivants !
Il ne faut pas perdre de vue, et un simple coup d’œil jeté sur la carte de l’Algérie et du Maroc le prouve jusqu’à l’évidence, que Nemours est le port naturel et indiqué de toute la région marocaine que commande Oudjda, les grandes plaines des Triffas et des Angads, si riches et si fertiles, et les gisements miniers de Ghar-Rouban et des Beni-Snassen.
Par la riante vallée de l’Oued Gazouanah peuvent arriver ici sans encombre les produits de toute la région de la Moulouya, qui va jusqu’à Fez. Nemours, désormais a fait ses preuves comme ville commerciale, Après être restée si longtemps méconnue et abandonnée à son triste sort, cette ville, d’une incontestable vitalité, semble vouloir entrer dans une voie nouvelle de prospérité, profitable à tous.
C’est qu’en effet, depuis quelques années, des événements importants ont sensiblement changé la face des choses, et ont aidé puissamment ce mouvement d’expansion et ce nouvel essor de notre cité.
La prise d’Oudjda au commencement de 1907 et l’insurrection des Beni-Snassen en Novembre de la même année, qui s’est heureusement terminée par l’occupation militaire de toute la vallée de la Moulouya (rive droite) et la création de centres commerciaux importants à Martimprey, Si Mohamed ou Berkane, Aïn-Sfa et Tafoural ont ouvert de nouveaux débouchés à notre industrie et à notre commerce.
Aussi nos importations et nos exportations, pendant ces dernières années, ont augmenté dans des proportions absolument remarquables.
Pour en juger, nous ne pouvons mieux faire que de citer des chiffres officiels et par conséquent indiscutables.
En 1900, les entrées et les sorties du port de Nemours étaient de 892 navires jaugeant 10.455 tonneaux ; En 1907, elles ont atteint 618 navires jaugeant 256.499 tonneaux. Il y a dix ans, en 1898, il n’y avait eu que 30 navires jaugeant 96.747 tonneaux. Le mouvement global des importations et des exportations fut en 1900, de 10.430 tonnes. En 1907, il s’éleva à 271.184 tonnes.
La moyenne des recettes de notre bureau des Douanes, jusqu’en 1900, n’a pas dépassé 15.000 francs. Elle s’est graduellement élevée à plus de 65.000 francs en 1907.
Notre transit sur le Maroc a subi la même progression.
En 1905, on a plombé au bureau de Nemours 9.110 colis ; en 1906, 10.301 ; en 1907, 18.600 et enfin en 1908, 31.027 colis !
Ces chiffres sont évidemment plus éloquents que toutes les dissertations possibles sur ce point, et démontrent surabondamment la progression constante et l’accroissement très sensible subis par notre trafic, De plus, comme nous le disions plus haut, la pénétration française le long de la frontière marocaine, suite de la dernière insurrection, ouvre de nouveaux débouchés à nos produits, et un courant commercial très intense se crée dans la partie Nord du territoire des Beni-Snassen, par le point dit «Camp de Martimprey», où s’élève, avec une rapidité surprenante, un centre plein de vie et d’avenir.
Le transit sur Martimprey, ouvert au commerce depuis le mois de Janvier 1908, tend à prendre chaque jour plus d’extension ; toutes les denrées destinées à l’alimentation de la région comprise entre la plaine des Triffas, le Nord du massif des Beni-Snassen et la Moulouya passent nécessairement par ce point qui devient de ce fait un centre commercial important.
D’autre part, les opérations de transit direct de Nemours sur Oudjda, sans rupture de chargement à Marnia, ont eu également pour résultat d’augmenter notablement le chiffre de notre trafic, à tel point que notre Municipalité, toujours soucieuse de ses intérêts, insista auprès des Autorités compétentes et obtint que le personnel réduit du service des Douanes, débordé et mis dans l’impossibilité d’assurer un service aussi chargé, fut immédiatement renforcé.
Notre commerce d’importation et de transit sur le Maroc, déjà en bonne voie de développement, tend donc à s’accroître chaque jour davantage. Pour ce qui est des exportations, nous constatons la même progression ascendante dans le chiffre de notre trafic.
En 1905, Nemours exporta 7.852 tonnes de marchandises diverses ; en 1906, 9.106 tonnes ; en 1907, 13.001 tonnes ; et enfin en 1908, 16.788 tonnes ! C’est que, outre le développement considérable qu’ont pris les affaires dans notre région, nos terres de culture sont de jour en jour mieux mises en valeur, et accusent chaque année un rendement de plus en plus satisfaisant.
Malheureusement, il n’existe pas encore, à proprement parler, de vignobles dans notre pays. Seuls, de rares propriétaires possèdent quelques hectares de vigne dont le produit suffit à peine à leur consommation personnelle. Le reste consiste en raisins de treille qui se mangent frais,
La raison de cette indifférence générale pour ce genre de culture ne réside pas dans la mauvaise qualité de nos terrains, mais plutôt clans la situation réellement déplorable où, jusqu’à ce jour (maintenant tout va changer puisqu’on nous construit un port et un chemin de fer !) nous nous sommes trouvés manquant totalement de voies faciles de communications, de moyens sûrs d’embarquement et d’abri contre les mauvais temps, pour amener les vins à quai et les embarquer.
Il est vrai aussi que le nombre des colons européens habitant notre région est très restreint et que les indigènes, livrés à eux-mêmes, se désintéressent généralement de la culture de la vigne, pour s’adonner entièrement à celle des céréales qui forment la base de leur alimentation.
C’est pourquoi aussi, dans notre région essentiellement agricole, les céréales constituent le plus gros appoint de notre commerce d’exportation. En 1907, notamment, la récolte ici, a été particulièrement abondante, surtout en blés.
Nous avons embarqué environ dix mille tonnes de blés tendres et divers et 3.000 tonnes d’orges, sans compter 2.000 tonnes d’orges ou moins que les indigènes ont conservées, en réserve, dans leurs « silos », pour leur consommation personnelle.
Si en 1908, nous n’avions pas constaté une aussi grande abondance de céréales c’est parce que l’insurrection des Béni Snassen, fin 1907, et les opérations militaires dans ce pays, pendant 4 mois, ont empêché bon nombre d’indigènes de semer en temps opportun, comme les années précédentes.
En dehors des céréales, qui constituent la principale ressource de notre pays, il existe dans la région de Nedromah-Nemours une industrie prospère, de plus en plus florissante, mais dont les marchés français ne profitent malheureusement pas assez : je veux parler du crin végétal. On compte en effet deux usines de fabrication à Nedromah, trois à Nemours, une à Sidi-Bou Djenane, une à Bab-El-Assa et enfin une dernière qui s’installe, en ce moment, à la colonne de Sidi-Brahim, produisant globalement une moyenne de 20 à 25.000 quintaux de crin par an.
Tout ce crin est en majeure partie acheté par des négociants d’Oran qui le font embarquer ici sur des navires étrangers à destination de la Belgique, de l’Angleterre ou de l’Allemagne. On vend ce crin à l’Étranger parce que les prix offerts sont plus rémunérateurs que ceux des marchés français, et on charge sur des navires étrangers parce que leur fret est plus réduit que celui des Compagnies Françaises.
Notre territoire est également riche en marbres de toutes sortes : des blancs, des jaunes, des roses ainsi que des onyx verts et roses translucides qui sont peu ou mal exploités par suite des difficultés que présente leur embarquement sur une rade aussi inhospitalière que la nôtre.
Pour les mêmes raisons, on laisse dormir une foule de riches gisements miniers, qui constitueraient pourtant une réelle richesse pour notre région entière, s’ils étalent mis en valeur. Quelques prospecteurs hardis et tenaces ont bien fait des efforts très louables et dignes d’un meilleur sort pour attirer l’attention des capitalistes sur les gisements de Nemours et de ses environs, mais ils ne sont pas toujours parvenus à les y intéresser.
Seule la « Société minière des Djebel Maaziz et Masser » a donné une certaine extension à l’exploitation de ses minerais de zinc mais au prix d’énormes sacrifices. Elle mérite, à ce titre, d’être plus connue et mieux appréciée. Elle fut constituée en 1902 en capital de 3 millions de francs. Elle exploite les concessions de Maaziz et de Masser, situées sur la route de Nemours à Marnia, à 30 kilomètres environ de la mer. Les « Mines de Maaziz», dont la concession fit l’objet d’un décret du Président de la République, en date du 23 Juillet 1875, étaient connues depuis bien longtemps.
La Société « Ghar-Rouban » y avait fait de nombreuses recherches de 1852 à 1859. En 1859, l’établissement fut saccagé de fond en comble par les Arabes, et les travaux, repris ensuite, furent abandonnés pendant une dizaine d’années.
En 1869, les travaux recommencèrent sous la direction de M. Gazié, et ce, jusqu’en 1885.
Les recherches en profondeur qui eurent lieu dans la suite, démontrèrent que le gisement avait une réelle valeur. La grande quantité de minerai tout venant, sortant de la mine, ne permettait pas une préparation manuelle économique.
La Société se vit obligée d’installer des ateliers mécaniques. Le problème offrait de très grandes difficultés par suite du peu de ressources de la région et du manque total de main d’œuvre appropriée ; cependant la population ouvrière ne fit que croître et atteignit, en1906, le chiffre de 500.
L’incendie des laveries, en octobre 1907, modifia quelque peu le programme de la Société, et un appel de fonds fut rendu nécessaire. La puissante « Société de la Vieille Montagne » entra dans l’affaire. La construction d’une nouvelle laverie en fer fut décidée et mise immédiatement en exécution. Cette nouvelle installation sera entièrement automatique et capable de fournir annuellement 15.000 tonnes de minerais marchands qui viendront nécessairement s’embarquer à Nemours.
Le « Gisement de Masser » est aussi intéressant que celui de Maaziz. Les premières reconnaissances remontent à 1883 ; mais les travaux de recherches ne furent poursuivis avec suite qu’en 1886, époque à laquelle la mine passa entre les mains de M. Pitcavin qui en obtint la concession en 1890. Un décret du Président de la République, en date du 15 août 1902, a autorisé la réunion des deux concessions de Maaziz et de Masser. Le gîte de Masser offre de très grandes espérances ; la production y est actuellement très variable, par suite de l’absence de tout atelier de préparation. Un câble aérien de Masser à Maaziz est mis à l’étude et permettra d’envoyer le minerai à laver à Maaziz ainsi que toutes les fournitures nécessaires à l’exploitation. Le minerai fini reviendrait à Masser par la même voie,
En ce dernier lieu, serait créée une station de chargement et de déchargement d’où partiraient cinq camions automobiles, transportant à Nemours, lieu d’embarquement, toute la production de Maaziz et de Masser…,
Cette Société est donc, ce nous semble, très intéressante puisqu’elle fait de grosses dépenses et de louables efforts pour donner le plus grand essor possible à son exploitation et il est certainement très regrettable que le chemin de fer qui va être construit entre Nedromah et Nemours ne puisse desservir ce centre minier qui, par son trafic, 15.000 à 20.000 tonnes au moins, aurait constitué, pour lui, un très sérieux appoint.
Quoiqu’il en soit, si la voie ferrée nouvelle n’en profitera pas, notre futur port, dont les travaux ont d ‘ailleurs commencés, recueillera tout le bénéfice de cette production minière dont Nemours sera forcément le port de sortie.
Nous ne terminerons pas cet exposé général aussi exact et aussi complet que possible des principaux éléments de prospérité de Nemours et de ses environs, sans parler des autres branches du commerce et de l’industrie exploitées ici et appelées à se développer en même temps que notre outillage maritime, vraiment trop rudimentaire.
Citons tout d’abord l’installation récente d’une fabrique de salaison de sardines et anchois, créée il y a trois ans à peine, dans des conditions particulièrement pénibles et difficiles, par deux de nos concitoyens, actifs et remuants, MM. Pitzini et Corro. Cette usine est déjà en pleine voie de prospérité, grâce aux efforts persévérants de ses propriétaires à qui nous souhaitons une réussite complète. D’ailleurs le chiffre sans cesse grandissant de leurs exportations indique suffisamment que si, au début, la tentative très louable de ces Messieurs fut un essai quelque peu timide, aujourd’hui l’entreprise revêt absolument le caractère d’une véritable industrie, intelligemment organisée, produisant et vendant chaque année, en France et à l’Étranger, plusieurs milliers de quintaux-de poissons salés, embarqués sur des navires français et étrangers.
La région de Nemours est également grande productrice de caroubes, achetées par les négociants de notre place qui les revendent quelquefois sur le marché de Marseille, mais le plus souvent les expédient en Angleterre ou en Allemagne où les prix offerts sont généralement plus rémunérateurs. C’est ainsi que nous embarquons annuellement 25.000 à 30.000 quintaux de caroubes pour différentes destinations.
L’alfa a été et est encore une spécialité de notre territoire. Plusieurs chantiers sont installés, chaque année à l’époque voulue, pour acheter et emballer 10.000 à 16.000 quintaux, presque toujours acheminés sur l’Angleterre.
Enfin, Nemours qui est encore à ce dernier point de vue, une sorte de pôle attractif de toute la région Nord-Ouest de la frontière algéro-marocaine, exporte annuellement 500.000 œufs environ, 8 à 10.000 volailles, plusieurs milliers de quintaux de laine brute, de peaux sèches de bœufs, chèvres et moutons, et de notables quantités de fruits frais. Pour ce dernier article, et pour les primeurs en général, il est vraiment malheureux que l’inhospitalité de notre rade et l’état rudimentaire de nos moyens d’embarquement n’aient pas permis de donner à cette production une plus grande et plus lucrative extension.
Disons aussi que Nemours est encore un des points de l’Algérie où se cultivent le plus d’amandes douces et amères. Les années favorables où la récolte est abondante, il se charge ici pour Marseille des quantités très notables de cet article recherché
Nemours est donc incontestablement un pays de ressources, possédant des richesses naturelles très importantes qu’on ne peut malheureusement pas exploiter et développer autant qu’elles pourraient et devraient l’être, parce que le manque de chemins d’accès et de voies de communication en ont fait, jusqu’à ce jour, un point isolé, nettement séparé du reste de l’Algérie, et aussi parce que l’insécurité de sa rade, l’imperfection de son outillage maritime et le défaut d’abri contre les mauvais temps ont toujours rendu les opérations de débarquement et d’embarquement particulièrement difficiles, coûteuses et aléatoires.
Cependant, malgré ces gros inconvénients, malgré les difficultés matérielles de toutes sortes qui ont entravé et retardé l’essor de notre commerce, malgré l’indifférence des pouvoirs publics qui, jusqu’à ce jour, n’avaient absolument rien fait pour aider les initiatives privées à favoriser le développement de notre commerce et de notre industrie, pourtant si vivaces, malgré les hostilités sourdes ou avouées et les résistances inexplicables sinon « inexpliquées » auxquelles on s’est heurté, Nemours, ville active et remuante, a travaillé, Nemours a marché dans la voie du progrès, Nemours s’est affirmée un centre commercial important, ayant un trafic déjà remarquable, et appelé à se développer beaucoup plus encore, le jour où des routes praticables et une voie ferrée rendront les communications avec Nedromah, Marnia et la frontière marocaine, plus rapides, plus faciles, plus économiques. Il reste à ce point de vue beaucoup à faire d’ailleurs dans notre région.
Il est certain que, pour drainer l’arrière-pays autour de Nemours vers notre port, il y aurait lieu d’utiliser sans retard ce qui existe presque déjà, c’est-à-dire faire un bon empierrement de la route qui relie le Kiss à Martimprey et à Nemours par Bab-El-Assa et dont l’état actuel laisse beaucoup à désirer. De cette façon le marché d’Adjroud que domine le poste de surveillance français, pourrait envoyer plus facilement et plus économiquement ses produits et denrées à Nemours.
Il y aurait également un réel intérêt à aménager et améliorer la piste muletière qui relie ce marché à Nemours par celui de l’Oued Kouarda. Le marché d’Adjroud est en somme l’étape entre la basse Moulouya et Nemours ; à l’heure actuelle tout ou presque tout ce qui sort d’Adjroud se dirige soit sur Nédromah, soit sur Marnia. De plus, un service bi-hebdomadaire de véhicules entre le marché d’Adjroud et Nemours, avec arrêt à Martimprey, contribuerait au développement du mouvement commercial et servirait les intérêts des marchés des deux localités.
Nous avons en effet ici l’avantage de posséder une route empierrée et carrossable Jusqu’à Martimprey ; notre intérêt est que le tronçon de Martimprey au Kiss le soit également et le plus tôt possible. Quant au chemin muletier par Kouarda, les premières pluies vont le rendre impraticable. Pourquoi les communes de Nédromah et de Nemours qui ont intérêt à ce qu’il soit entretenu ne feraient-elles pas exécuter par les indigènes, après les labours, les travaux de première urgence, afin de l’empêcher dans certaines parties de se transformer en bourbier, et éviter du même coup un ralentissement dans les transports, toujours préjudiciable aux intérêts des trafiquants ?
Il est hors de doute que plus il y aura de voies de communication vers Nemours, plus l’accès en sera rendu facile et plus s’affirmera la « fonction régionale » de notre port, c’est à-dire la faculté même d’attirer les ressources de son arrière-pays.
Dans le voisinage immédiat de Nemours le pays est si accidenté qu’il y a encore bien des obstacles à vaincre pour rendre les affaires faciles et économiques, c’est donc par la qualité des voies d’accès, que l’on arrivera à les surmonter en même temps qu’à étendre notre « hinterland », au-delà même de toute prévision.
Ce jour-là, nous aurons justifié amplement aux yeux des Pouvoirs Publics, si parcimonieux à notre égard, des deniers de l’État, les sacrifices réellement importants qu’ils auront fait pour la prospérité et l’avenir de notre région, si longtemps frappée d’ostracisme.
C’est ce que nos dévoués représentants à la Chambre au Sénat et au Conseil Général, MM. Etienne, Saint-Germain et L. Fouque se sont employés à démontrer aux autorités compétentes et c’est ce qu’on semble avoir fini par comprendre.
Aujourd’hui, grâce à la bienveillance de tous, notre voix parait avoir été entendue et des travaux importants ont été projetés, décidés, pour rendre meilleures nos communications par terre, et pour assurer nos opérations sur mer. Une ligne ferrée va nous relier à Marnia, Tlemcen et le reste de l’Algérie, et, un port-abri, dont les travaux sont d’ailleurs entamés, va nous permettre d’opérer par tous les temps.
La question du Chemin de fer de Nemours à Marnia est vieille d’un quart de siècle. Déjà en 1882-1883, on parlait de l’établissement d’une ligne de voie étroite reliant Nemours à Marnia par Nedromah. Depuis, les corps élus de la région de Nemours et Marnia soulevèrent la question à plusieurs reprises mais en insistant beaucoup trop mollement pour obtenir satisfaction.
Plus tard en 1888, un ingénieur belge, des plus distingués, M. Golesloot, s’intéressa à l’affaire, vint l’étudier sur place et après l’avoir déclarée parfaitement réalisable, présenta un projet complet de voie ferrée de Nemours à Marnia.
Pour des raisons qui n’entrent pas dans le cadre de notre étude, on ne donna pas suite à ses propositions.
Il fallut attendre 1907 pour que, grâce aux démarches présentées de nos éminents représentants et aussi à la bienveillance des autorités, la question de notre chemin de fer fut prise en sérieuse considération.
La concession en fut accordée à ce même M. Galealoot qui s’intéressait à cette affaire et la travaillait depuis 20 ans.
Dans sa séance du 30 octobre 1097, l’assemblée départementale d’Oran décida de soumettre aux enquêtes réglementaires l’avant-projet de la ligne principale de Nemours-Bou Djenan-Marnia et celui de l’embranchement de Nédromah, imposé également au demandeur, en vue de desservir directement ce dernier centre. L’enquête prescrite eût lieu du 30 octobre au 24 Décembre 1907.
Elle donna lieu à trois observations principales : la plus importante est celle des habitants de Nédromah, qui réclament l’adoption du tracé direct ; une autre émane de la « Société des Mines de Maaziz et Masser » qui se déclare incompétente sur le choix des tracés, mais signale que celui qu’on préconise ne sera pas d’une grande utilité pour elle ; il y a enfin une dernière déclaration de M. Dubois, directeur des Mines du Filaoucen (commune de Nédromah), disant que le chemin de fer passant par Nédromah est le seul qui réponde aux nécessités de ses exploitations minières.
On se trouvait donc en présence de deux tracés pour le chemin de fer d’intérêt local projeté entre Marnia et Nemours ; le premier passant par Nédromah et le col de Sidi-Berrich ; le second contournant par l’Ouest le Massif de Maaziz et passant par Sidi-Bou Djenan.
En raison de l’importance des intérêts en jeu et de l’insistance de Nedromah en faveur du tracé le desservant directement, une Commission spéciale, composée des ingénieurs du Contrôle, d’un Commissaire du Gouvernement et des délégués des Communes intéressées, fut chargée d’examiner les résultats de l’enquête ordonnée et de se prononcer sur l’adoption de l’un ou de l’autre des deux tracés,
En dépit des arguments d’ordre technique, et économique, développés par les partisans du projet Marnia-Nedromah-Nemours, la Commission spéciale, après une très vive discussion, finit par se rallier à l’opinion du rapporteur qui se prononçait très nettement en faveur du projet Galeslooti Marnia-Sidi-Bou-Djenan- Nemours.
Les motifs qu’on invoqua et les avantages qu’on fît valoir pour justifier cette préférence sont les suivants :
Le tracé Marnia-Nemours par Sidi-Bou-Djenan est plus court de 7 à 20 kilomètres que l’un ou l’autre des tracés par Nédromah, et sa construction sera beaucoup plus facile, tant en raison des formes et de la nature du terrain parcouru, que de la différence d’altitude des cols traversés. Le col de Sidi-Berrich est en effet à l’altitude de 669 mètres, tandis que celui de Bou-Djenan n’est qu’à 500.
Au point de vue militaire et stratégique, les derniers événements de la frontière ont fait suffisamment ressortir combien une communication directe entre Marnia, et Sidi-Bou-Djenan est indispensable pour assurer le ravitaillement et les mouvements de troupes sur Martimprey, le Kiss et les postes établis en territoire marocain.
Du reste, déclare la Commission, en manière de conclusion, si on ne considère véritablement que les intérêts généraux en jeu, la ligne, passant par Bou-Djenan offre sur celle passant par Nédromah des avantages économiques et financiers considérables.
Seule la ligne Marnia-Bou-Djenan-Nemours, dit le rapporteur, permettra la mise en valeur rapide de la riche plaine des Triffas, l’accroissement des marchés de la Frontière et le développement des transactions entre cette ligne et l’Oranie.
Il sera d’ailleurs facile de faire participer le centre de Nédromah à tous ces avantages, en le reliant à la ligne projetée par un embranchement facile à construire. D’autre part, le tracé direct par Bou-Djenan ne coûterait que 4.600.000 francs, d’après les évaluations même du concessionnaire, tandis que la ligne par Nédromah reviendrait à un minimum de 6.500,000 francs, soit deux millions de plus ; elle traverserait en outre des terrains argileux, ce qui nécessiterait des travaux d’assainissement, toujours imprévus et des dépenses d’entretien considérables.
Dans ces conditions, la Commission déclare que le Conseil général ne peut engager le Département dans des dépenses nouvelles qui ne répondraient pas au but à atteindre et se prononce en faveur de l’adoption du tracé par Bou-Djenan, présenté par M. Galesloot, avec embranchement de Nédromah à la ligne projetée.
Voilà, brièvement résumées, les raisons d’ordre technique, économique et financier qui ont fait prévaloir, aux yeux de la Commission et de l’Assemblée départementale, le tracé direct Marnia – Bou-Djenan – Nemours.
Mais notre impartialité nous fait un devoir d’indiquer également la thèse présentée pour l’adoption du projet Marnia – Maaziz et Nemours.
M. Si M’Hamed Ben Rahal, dans un rapport remarquable, lu à la séance du Conseil général du 28 Janvier 1908, a brillamment développé, au sein de cette assemblée, les arguments des partisans du chemin de fer par Nédromah, dont il est le représentant au Conseil général.
Les mines de Maaziz ont déjà fait connaître que, du moment que la ligne ne les dessert pas directement elles ne lui donneront pas un centime de trafic.
De même Nedromah déclare que si la voie passe à plusieurs lieues de ses murs il lui est impossible, malgré l’embranchement, de l’utiliser.
Or, le contingent que les Mines et Nédromah apporteraient à la ligne projetée serait de 150.000 francs au bas mot ; c’est exactement le montant des intérêts que le Département et l’État Algérien garantissent au concessionnaire, en regard des 4 millions que la ligne doit coûter.
Si donc on consentait à faire un sacrifice pour obtenir ce contingent énorme, la garantie pour ces quatre millions deviendrait purement morale. Et ce sacrifice consiste à faire passer la ligne par Nédromah et à proximité des Mines, chose reconnue parfaitement possible, sauf le surcroit de dépenses qu’entraînerait cette modification mais qui serait largement compensé par le gros appoint du trafic des Mines, et de Nédromah.
Les études sérieuses et approfondies faites en ce sens par les ingénieurs des mines de Maaziz et Masser sont concluantes sur ce point.
Certes leur opinion ne saurait contrebalancer celle des Ponts-et-Chaussées mais on ne peut, en toute impartialité, refuser à leurs études — faites en vue de demander la concession de la ligne — le crédit qu’elles méritent. Elles ont été faites par des gens compétents qui, habitant les lieux, ont eu tout le temps et tous les éléments voulus, pour arriver à une conclusion aussi proche que possible de la réalité.
« Donc la question, pour le Conseil général, s’écrie M. Ben Rahal, se ramènerait à ceci : Vaut-il mieux faire une ligne de quatre millions qui négligerait bénévolement 150.000 francs de recettes annuelles sûres, ou une ligne de six millions, qui, sans rien sacrifier du trafic qu’elle est appelée à faire, encaisserait à coup sûr 150.000 francs par an de plus ? On ne doit avoir, dans la circonstance, qu’un souci : desservir la plus grande somme d’intérêts possible avec le minimum de garantie.»
Nédromah est, en effet, une ville de six mille habitants, pleine de vie et d’avenir, chef-lieu d’une commune de plus de trente mille urnes, et ses mines, en pleine prospérité, peuvent donner un mouvement de 40.000 tonnes par an. Pourquoi négliger cette région et ce trafic si aucune difficulté sérieuse ne s’oppose à ce qu’ils soient desservis ?
Sans Nédromah et ses mines, la ligne de Marnia à Nemours peut offrir des aléas nombreux. Avec Nédromah, Maaziz, Aïn-Kébira et les nombreux gisements miniers, qui n’attendent que le rail pour agir, l’affaire devient très bonne et les risques pour le département sont nuls.
On pourrait, jusqu’à un certain point, penser qu’en adoptant ce projet on occasionnerait un retard à la prompte solution de l’affaire. Il n’en est rien. De nouvelles études ne sont pas nécessaires. Le tracé proposé par Nédromah se rapproche sensiblement de celui déjà étudié par les Ponts-et-Chaussées qui n’y ont relevé aucune difficulté sérieuse ni essentielle et l’ont déclaré possible,
D’ailleurs aucune opposition n’est à craindre de la part de Nemours ou de Marnia dont la seule crainte est un retard possible pouvant entraîner un échec. Or, de retard il ne saurait y en avoir puisque le projet est déjà suffisamment étudié et qu’il est reconnu possible et pratique.
Sans cette crainte, il n’est pas douteux que Marnia et Nemours seraient enchantés de voir desservir Nédromah directement et ils ne peuvent évidemment que regretter profondément de voir le tracé projeté s’en écarter, vu que les intérêts de ces trois communes sont étroitement liés et solidaires. Quoiqu’il en soit, malgré tout le talent de M. Ben Rahal et l’excellence de ses arguments, le Conseil général, dans sa séance du 27 Janvier 1908, adopta les conclusions du rapport de la commission nettement favorable au projet Marnia-Sidi Boudjenan-Nemours, c’est-à-dire au projet Galesloot.
Ce projet, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée départementale, est un travail très complet et très étudié par son auteur qui y a consacré une partie de son existence. A ce seul titre, il mérite déjà d’être mieux connu et mieux apprécié. Pour bien d’autres raisons qu’il serait trop long d’exposer ici, nous croyons intéressant et utile d’en indiquer les grandes lignes.
La ligne d’intérêt local de Nemours à Marnia par Sidi-Bou-Djenan à voie de 1m055m, a son origine à Nemours dans la plaine du champ de manœuvres. De ce point, la ligne suit la rive gauche de l’oued Gazouanah jusqu’à l’oued Taïma qu’elle traverse, en suivant sa vallée jusqu’à l’oued Zlamet. De là, en côtoyant ce cours d’eau, elle atteint Sidi-Bou-Djenan, d’où elle se dirige vers le barrage de la Mouïlah qu’elle franchit et va, en s’infléchissent, rejoindre la route de Relizane au Maroc qu’elle longe parallèlement, pour aller aboutir à Marnia, à proximité du Bordj. Cette ligne aura un développement de 54 kilomètres environ. Au kilomètre 7.270 mesuré du point du départ de Nemours, se détache un embranchement de même écartement qui doit desservir Nédromah.
La longueur de cet embranchement sera de dix kilomètres et aboutira au pied même de cette ville. La distance totale de Nédromah à Nemours, par la voie ferrée, sera de 17 kilomètres 270 mètres, tandis que, par la route actuelle, la distance est de 18 kilomètres. Sur tout le parcours il est prévu divers arrêts du train et notamment au « Tombeau des Braves », à l’embranchement de Nédromah, en desservant les villages de Tient et de Sidi Brahim ; à Sidi Bou Djenan ; au barrage de la Moulouya ; au kilomètre 51, c’est-à-dire au point de jonction avec la route de Relizane au Maroc, et enfin à Marnia où la ligne ira se raccorder directement avec celle de l’Ouest-Algérien, afin de rendre facile le transbordement des voyageurs et des marchandises. ; il est à remarquer que le coût du transport des marchandises, alors même qu’on appliquerait le tarif maximum de 10 centimes par tonne et par kilomètre, serait de 5 fr. 40 les mille kms de Marnia à Nemours et vice-versa. Il faut également souhaiter que, dans un avenir plus ou moins rapproché, un embranchement pourra partir de Sidi-Bou-Djenan pour se diriger vers Oudjda qui se trouverait ainsi relié à Nemours, son port naturel, par une ligne ferrée qui n’aura pas plus de 60 kilomètres de longueur. D’ailleurs on peut, d’ores et déjà, considérer cette ligne d’intérêt local de Nemours à Marnia comme le premier tronçon de la ligne d’intérêt général Nemours-Marnia-Sebdou-El Aricha, classée en deuxième urgence par les Délégations financières. Il ne nous appartient évidemment pas de discuter ici l’importance stratégique de la ligne Marnia-Nemours, ligne qui, d’après les projets avoués du gouvernement général, doit-être, un jour, reliée à Bedeau par Berguent et El-Aricha.
Mais qu’il nous soit permis tout au moins, en nous plaçant au point de vue régional, d’insister un peu sur son importance économique. Le chemin de fer Marnia-Nemours, quel que soit le tracé adopté, traversera un pays riche et fertile dont le moindre défaut est d’être complètement dépourvu de voies de communication. C’est là, quoiqu’on en dise, la vraie raison, la seule, du marasme économique et industriel de notre région. Il n’est pas douteux, en effet, que le jour où le rail y fera son apparition, la situation changera et s’améliorera considérablement sous tous les rapports. Les vastes et belles plaines d’Oujda, des Triffas et de Nédromah ne seront plus d’immenses espaces à peine défrichés ; elles seront entièrement mises en valeur et donneront leur maximum de rendement ; de nouveaux centres de colonisation y seront forcément créés et y prospéreront pour le grand profit du chemin de fer. Tout le secteur compris entre Marnia, Oudjda, la Moulouya et Nemours deviendra, tout naturellement, le tributaire de notre voie ferrée, tant au point de vue importations qu’au point de vue exportations. Les moutons, chevaux, mulets, bestiaux et tous les produits de l’élevage marocain achetés en si grand nombre, chaque semaine, sur l’important marché de Marnia, accomplissent aujourd’hui un trajet de plus de 200 kilomètres pour se rendre à Oran où ils s’embarquent. Une fois le chemin de fer et notre port construits, ils n’auront plus que 54 kilomètres à faire pour gagner leur port d’embarquement naturel, c’est-à-dire Nemours.
En un mot, le rail constituera dans notre région un précieux agent de développement industriel et commercial, un merveilleux instrument d’expansion, et contribuera, dans la plus large mesure, à l’essor du trafic de notre port appelé à prendre une grande extension et sur lequel on fonde, avec raison, les plus belles espérances.
J’en arrive à l’ouvrage, le plus important et certainement le plus intéressant pour l’avenir de notre région, c’est-à-dire à la construction de notre port, débouché naturel et nécessaire de tout le Maroc oriental. Ici, les avis sont encore partagés et l’ont été de tous temps, ainsi que nous allons le voir. La question du port de Nemours, vieille d’un demi-siècle, a été agitée à maintes reprises, sans jamais aboutir à une solution favorable, grâce à l’ostracisme draconien dont fut sans cesse frappée notre rade qui n’est certainement pas plus inhospitalière que tant d’autres de la côte algérienne devenues depuis des ports.
D’ailleurs, un historique, aussi bref que possible, des différentes phases par lesquelles est passée cette question, prouvera suffisamment combien est vrai le dicton populaire ; « Autres temps….. autres….. opinions ! ».
Nemours est construite sur les terres d’alluvions de l’Oued Gazouanah et du torrent de Touent, devant une plage orientée de l’E.N.E. à l’O.S.O. La ville est située au fond d’une baie que limitent à l’Est le plateau de Touent élevé de 120 à 130 mètres ; à l’Ouest, par une pointe rocheuse haute de 80 mètres environ prolongée jusqu’à 30 mètres vers le large et par deux petites roches : les Deux Sœurs» et deux grand rochers : les « Deux Frères », connus déjà du temps des Romains sous le nom de « Ad Fratres ».
Vers le milieu de la plage débouche l’Oued Gazouanah qui charrie des sables siliceux, à assez gros éléments.
Déjà, en 1857, M. l’ingénieur hydrographe Lleussou, chargé d’étudier les conditions nautiques des principales rades d’Algérie, disait dans son rapport que la baie de Nemours, faisant face au N. N. O., n’offre pas d’abri et que la belle plage qui la borne est saine, facile à accoster par mer calme, mais difficilement abordable par la moindre houle du large. Située à l’exposition directe de tous les vents dangereux, elle a 1400 mètres d’ouverture sur 300 de profondeur et présente, par conséquent un emplacement défavorable pour fonder un port. Raison de plus, disaient à ce moment déjà les autorités locales, pour nous protéger, par un travail quelconque, contre les mauvais temps.
Vers la même époque, le Génie militaire fit construire dans l’Est de la plage, enraciné à la montagne, un débarcadère en charpente de 48 mètres, mais établi dans des conditions telles, qu’en 1858 il fut emporté par une tempête et ne fut pas rétabli.
De 1861 à 1866, pour mettre la ville à l’abri de la mer qui l’avait plusieurs fois envahie, on établit un plan incliné perreyé de 175 mètres de long, prolongé de 270 mètres par une digue en enrochements. Entre la digue et le perré on créa un petit épi de gros rochers.
En 1868, on fit un tout petit pas en avant ; on alla jusqu’à construire une sorte de quai, au pied de la falaise qui limite la plage à l’Est et un chemin d’accès reliant ce quai à la ville. Un peu plus tard, en 1875, cet embryon de quai fut abrité par un embryon de jetée de 40 mètres de long, enraciné à la falaise, à une quinzaine de mètres de son extrémité. Mais ces petites améliorations ne pouvaient évidemment pas suffire à assurer les communications des navires qui fréquentaient la rade avec la terre. Ses « Instructions nautiques » publiées en 1879, M. l’amiral Mouchez, frappé par les nombreux inconvénients de notre rade, signale également la fâcheuse situation de la plage sur laquelle est bâtie la ville de Nemours pour laquelle il ne paraît pas éprouver une bien vive sympathie : « Elle est, dit-il, complètement exposée à la mer et au mauvais temps de N.-E. La moindre houle la rend presque inabordable et en hiver, les communications entre la terre et la route sont souvent impossibles. Quand règnent les vents d’Ouest qui, même modérés, rendent le débarcadère inabordable, on peut, parfois très difficilement, débarquer, à l’abri de la pointe du Phare, à l’extrémité Ouest de la plage. Les fonds sont trop grands devant Nemours et la côte trop défavorablement orientée pour qu’on ne puisse jamais songer à y créer un port ; mais on pourrait tout au moins essayer d’améliorer sa situation en faisant deux petites jetées de 200 mètres, par les fonds de 6 à 8 mètres, l’une portant de la pointe du débarcadère, l’autre partant des rochers des «Deux Sœurs» où de la pointe de l’Ouest, de manière à obtenir, quelle que soit la direction du vent, une des deux extrémités de la baie, toujours abritée, pour l’accostage des embarcations.
« Il serait indispensable de laisser une ouverture entre la côte et le commencement de la jetée pour laisser passage au courant et empêcher l’ensablement qui, sans cela, serait inévitable. Ces deux jetées de dimensions assez réduites seraient peu coûteuses, assureraient presque en tout temps les communications de la terre avec la mer et « suffiraient même pour abriter les caboteurs qui fréquentent ce port. »
Ainsi donc l’amiral Mouchez (une autorité pourtant !) qu’on ne saurait taxer de faiblesse pour notre ville, reconnaît lui-même la nécessité de travaux d’aménagements de la rade pour l’amélioration des opérations maritimes, travaux qui furent longtemps mais en vain, réclamés par les Municipalités qui se sont succédé. Cependant, en présence de l’insistance des représentants de la région et des vœux émis par le Conseil municipal de Nemours, d’abord pour le prolongement ensuite pour la suppression de l’embryon de jetée Est, on finit, le 23 Janvier 1881, par réunir une commission nautique chargée d’étudier les travaux déjà exécutés et de se prononcer sur le point de savoir s’il y avait lieu de les continuer ou de les modifier, suivant les désiderata successifs de l’édilité nemourienne.
La Commission, après un examen très approfondi de la situation, reconnut que le bout de jetée Est, construit en 1875, constituait une véritable hérésie nautique et ne devait pas être prolongé. Elle présenta alors, comme une sorte de panacée à tous les maux dont souffrait notre rade, un projet de port, fermé, au Nord, par une jetée courbe, enracinée à l’extrémité de la falaise Est, et, à l’Ouest, par un épi perpendiculaire à la plage.
C’est paraît-il, la vieille crainte de l’amiral Mouchez, l’ensablement du port, crainte basée sur une simple hypothèse et que les études faites depuis ont fait disparaître, qui empêcha les Pouvoirs publics de donner suite à ce projet.
Cependant, il devenait chaque jour plus indispensable de faire quelque chose ici pour faciliter les opérations commerciales, trop souvent impossibles et aider ainsi au développement de notre trafic chaque jour plus important. Sous la pression de nombreuses démarches, faites à cette époque par nos représentants, le Service des travaux maritimes donna le jour, en 1883, à un projet qui était purement et simplement une réduction, singulièrement atrophiée, du projet de 1881.
On n’hésita pas, en 1884, à nommer une Commission nautique pour examiner ce projet qui consistait dans l’établissement d’un quai débarcadère protégé par une jetée reliant à la côte 1’« Ilot des Sœurs » et desservi par un chemin d’accès, franchissant à gué l’oued Gazouanah.
Cette Commission, tout bien pesé, décréta (et avec elle l’ingénieur en chef d’Oran) que la construction d’un port-abri à Nemours donnerait des résultats fort incertains, même au prix de sacrifices que l’importance de la localité ne justifierait pas. C’était tout bonnement, pour ce malheureux projet un enterrement de 1èreclasse avec les honneurs d’une oraison funèbre digue d’un meilleur sort.
Malheureusement pour la Commission, son opinion, très respectable d’ailleurs mais quelque peu fantaisiste, était en contradiction formelle avec les chiffres statistiques accusant, de 1873 à 1881, un accroissement très sensible du trafic de notre port la moyenne du mouvement commercial qui, de 1873 à 1879, était de 9,486 tonnes, était passé, de 1877 à 1884, à 11,340 tonnes !
Mais la Commission nautique ne s’arrêta pas à un aussi petit détail.
Elle approuva la construction de la route (ouvrage de seconde importance), et, jugeant que la jetée et le quai projetés ne sauraient produire des résultats en rapport avec les dépenses qu’ils nécessiteraient, demanda simplement l’établissement d’un débarcadère en charpente (il n’aurait pas tenu six mois !) debout à la plage vers son extrémité Ouest et le prolongement jusqu’à 100 ou 120 mètres de la jetée Est. La fameuse crainte de l’ensablement, cet épouvantait de presque toutes les Commissions nautiques l’empêcha de donner suite à ce vœu de prolongement ; et le débarcadère en charpente jugé, avec raison d’ailleurs, trop peu résistant, on imagina, en 1887, en manière de travaux de port, un quai dans la falaise et un chemin d’accès par l’oued Gazouanah, qui étaient loin de répondre aux exigences de notre trafic, sans cesse grandissant.
Les travaux projetés en 1887 n’étaient évidemment pas de nature à donner satisfaction au commerce et n’étaient sûrement pas en rapport avec l’importance acquise par notre rade. Le mouvement commercial de Nemours, de 1873 à 1884, était en moyenne de 11.340 tonnes de marchandises, dont 3.854 à l’importation et 7.486 à l’exportation.
Ces chiffres ont augmenté progressivement chaque année et se sont élevés, de 1897 à 1901, à 15,545 tonnes en moyenne, dont 8,852 à l’importation et 6 692 à l’exportation. Ce mouvement ascendant a atteint de 1902 le chiffre global de 39,905 tonnes, dont 7.891 à l’importation et 32,014 à l’exportation ! Depuis cette époque, par suite de l’agitation perturbatrice des affaires, qui n’a cessé de régner à la frontière, la production générale de cette région a été arrêtée, les transactions commerciales de l’Algérie avec cette partie du Maroc ont été quelque peu paralysées et ces chiffres importants sont retombés légèrement, tout en se maintenant néanmoins, dans les environs de 24 à 25,000 tonnes par an.
En présence d’un tonnage aussi important, sur une simple rade, on se demande à quoi pouvait donc bien servir un embryon de quai, constamment battu par la mer et inutilisable, à la moindre houle et cet autre chef-d’œuvre qu’est le chemin d’accès, avec un passage à gué dans l’oued Gazouanah, absolument impraticable à la moindre crue de ce torrent ?
On se rendit bien vite compte de l’inutilité parfaite de ces travaux qui ne répondaient nullement aux besoins de l’instant et l’on s’aperçut qu’il n’était plus possible, sous peine de mort pour notre région, de rester plus longtemps dans une pareille situation.
Nemours eut alors un mouvement (oh ! un simple mouvement bientôt apaisé !) de révolte bien légitime. Elle se mit à crier un peu plus haut et un peu plus fort qu’elle, ne l’avait fait jusqu’à ce jour. Tour à tour elle implora, menaça, supplia et obtint enfin, grâce au bienveillant et puissant appui de nos dévoués représentants (assez magnanimes pour nous pardonner notre geste d’impatience), la réunion d’une Commission nautique, le 22 mai 1905 !
Elle était chargée d’examiner, cette fois très sérieusement, le projet complet de notre port, préalablement établi et présenté par le service des Ponts-et-Chaussées, sous la savante direction de MM. Leioutré et Platel, ingénieurs, à qui nous nous plaisons à rendre, en cette circonstance, un hommage public de reconnaissance.
Cette Commission reconnut enfin que le port de Nemours est le port d’exportation des produits agricoles de toute la région française de Marnia et de la région marocaine d’Oudjda, que beaucoup de ces produits qui vont aujourd’hui à Oran et Melilla, se dirigeraient sur Nemours, si les opérations d’embarquement y étaient plus sûres et moins onéreuses, Elle admit parfaitement que la région de Nemours mérite de retenir l’attention, car l’accroissement constant de son commerce est une preuve irréfutable de sa vitalité. Elle déclara même qu’il y a ici des éléments de prospérité qui contribueront, dans une large mesure, à l’essor commercial du pays.
C’est ainsi que la création aujourd’hui décidée d’une zone irrigable de près de cinq mille hectares autour de Marnia, va faire des plaines de Marnia et d’Oudjda une des régions les plus fertiles, les plus productives et les plus riches de l’Algérie et ce, pour le plus grand profit du chemin de fer Marnia-Nemours, qui drainera toute cette production, et de notre port où viendront s’embarquer tous ces produits.
D’autre part l’achèvement prochain de routes en construction autour de Nemours, telles que la route de Nemours à Tlemcen par Hennaya, Nemours à Raschgoun et Nemours à la frontière marocaine, par Sidi-Bou-Djenan, Martimprey et Si Mohamed ou Berkane, va rendre les communications dans cette région faciles, rapides et économiques.
Enfin, le développement des mines de plomb argentifère de Ghar-Rouban et surtout des mines de blende et de calamine de Maaziz et Masser ne peut que contribuer à la prospérité générale de notre région et au développement du trafic de notre port. La Commission, après de minutieuses investigations et un examen approfondi du projet qui lui est soumis, finit par déclarer qu’on doit pouvoir tabler ici sur un tonnage moyen de 30.000 tonnes au moins pour les premières années, et elle ajoute, en manière de conclusion, que malgré les conditions nautiques défavorables de notre rade, le moment est venu de faire, pour doter Nemours d’un port-abri, les sacrifices qui avaient jusqu’ici été jugés hors de proportion avec l’importance du trafic.
Le projet d’un port-abri à Nemours, soumis à la Commission nautique de 1905, comporte un ensemble de travaux fort intéressants et, en tous cas, très suffisants pour les besoins de notre commerce. Voici les grandes lignes du programme à exécuter.
Tout d’abord, une grande jetée Nord, partant du bout de la falaise Est qui limite la rade dans cette direction, se dirigera vers l’Ouest sur une distance de 166 mètres, puis s’infléchira un peu plus vers le sud, sur l65 mètres. Ensuite, on construira une jetée Ouest, enracinée à l’extrémité des enrochements qui se trouvent dans le prolongement de la rue de Nédromah, dirigée normalement au quai sur 240 mètres, puis s’infléchissant vers le N. E. sur une longueur de 250 mètres, de façon à laisser entrer son musoir et celui de la jetée Nord, une passe qui pourra varier de 112 à 150 mètres.
Enfin en avant de cette passe, sera établi un brise-lames d’une longueur de 340 mètres, laissant deux passes : l’une de 105 mètres à l’Est, l’autre de 150 mètres à l’Ouest.
La surface d’eau qui serait ainsi abritée par ces différents travaux, serait d’environ 16 hectares et des dragages seraient effectués périodiquement de façon à obtenir constamment une surface de 11 hectares avec des fonds de 7 mètres au moins.
La dépense totale prévue pour l’exécution de ce projet s’élèverait approximativement à 3.300.000 francs. Il faut noter que la Municipalité de Nemours aurait l’intention de participer à ces travaux pour une somme d’environ 1 million. Après avoir présenté à propos de ce projet des observations d’ordre technique qu’il serait trop long d’examiner ici, la Commission fait remarquer, avec juste raison, que la dépense de 3.300.000 fr, qui semble devoir être un minimum, peut paraître bien élevée pour obtenir un abri de 11 hectares seulement utilisables, et que, d’autre part, aucun agrandissement de ce port ne sera possible, dans l’avenir, car si les espérances qui légitiment une pareille dépense se réalisaient, on pourrait regretter, comme il est arrivé souvent, d’avoir fait un port trop petit. En reculant dans l’Est d’une centaine de mètres, la jetée Ouest et le brise-lames il suffirait de prolonger la jetée Nord de cette longueur pour obtenir un port qui, pour une augmentation de dépense d’environ 300.000 francs, serait agrandi d’un tiers. La Commission demande donc qu’il soit tenu compte de cette observation dans la mesure où les crédits les permettront.
Quant à la fameuse crainte de l’ensablement du port, la Commission en fait très heureusement justice et reconnaît facilement qu’il s’est produit une diminution importante des sables apportés dans la baie par l’oued Touent, aujourd’hui complètement dérivé, et que, si un mouvement de sable se produit, il sera assez lent pour que des dragages périodiques puissent facilement assurer l’entretien dos profondeurs.
Sous le bénéfice de ces justes observations, la Commission approuve le projet présenté par le Service des Ponts et Chaussées et émet le vœu que dans le cas où les crédits disponibles le permettraient, on donne à notre port la plus grande étendue possible,
Nemours est donc en 1905, arrivé à un tournant de son histoire, si lamentable avant cette époque. Désormais la Commission officielle, composée d’hommes compétents, reconnaît enfin l’utilité, la nécessité même, d’un port-abri à Nemours et fait, une fois pour toutes, justice des préventions aussi malveillantes que ridicules qui, depuis un demi-siècle existaient contre notre rade, laquelle, je ne cesserai de le répéter, n’est ni plus mauvaise ni plus inhospitalière, que bien d’autres rades de la côte algérienne devenues depuis des ports !
Les travaux de la Commission ont été magistralement exposés dans un remarquable rapport de M. de Vaussey, ingénieur hydrographe, membre de la Commission. C’est sur cet important document que se sont appuyés nos dévoués représentants pour demander avec beaucoup d’insistance aux Pouvoirs Publics de vouloir bien donner enfin satisfaction aux légitimes desiderata des habitants de la région, en donnant à ce projet tout au moins un commencement d’exécution.
Les résultats des travaux de la Commission de 1905 furent soumis, pour l’examen technique, à la haute approbation du Conseil général supérieur des Ponts-et-Chaussées, à Paris. Cette éminente assemblée délégua ici son président, M. Quinette de Rochemont, accompagné de deux techniciens et du Directeur des Travaux publics du Gouverneur général. Ces Messieurs vinrent à leur tour, étudier sur place le projet qui leur était soumis,
Nous n’entrerons pas ici dans le détail des objections qu’ils soulèvent, Tout ce que nous pouvons affirmer c’est que d’après eux, la somme de 3.300.000 francs indiquée par le projet des Ponts-et-Chaussées serait bien au-dessous de la vérité, et que c’est 6.000.000 de francs qu’il y avait lieu de prévoir pour l’exécution du projet du port à Nemours. C’est là un chiffre qui, en admettant qu’il soit exact, n’est pas fait pour nous émouvoir, quand on songe à tous ces millions qui se dépensent ailleurs pour des travaux publics de port ou autres d’une utilité tout au moins contestable !
Heureusement pour Nemours que ses dévoués représentants ne se laissèrent arrêter ni par le mauvais vouloir des uns ni par l’hostilité des autres et, grâce à leur bienveillant et puissant appui il fut décidé que les travaux du port de Nemours seraient entrepris incessamment, après l’accomplissement de quelques formalités qui précèdent toujours le commencement de travaux aussi importants.
Entre temps, les Délégations Financières votaient un crédit de deux millions pour les travaux de notre port. Cette somme, devant être prélevée sur le nouvel emprunt de 175 millions que doit émettre prochainement le Gouvernement Général de l’Algérie, en attendant, c’est sur les fonds de réserves que doit être pris le montant des ouvrages préliminaires en cours d’exécution ici, en ce moment, sous l’habile direction du distingué conducteur des Ponts-et-Chaussées, M. Roy Premorant.
Le programme actuel comprend une jetée Nord de 200 mètres de long sur 17 mètres 40 de large au couronnement, suivant une direction Est-Ouest et s’élevant à la côte 0m50 au-dessus du niveau de la mer, puis perpendiculairement à cette jetée, et partant de son milieu, on établira une jetée de 80 mètres de longueur se dirigeant vers la terre et formant ainsi avec la première un véritable petit port destiné à abriter le matériel naval de l’entreprise du port et dont le commerce local pourra profiter le cas échéant. Enfin, à l’Ouest, partant de l’arsenal d’artillerie, et laissant la Gazouanah en dehors, on- commencera l’amorce de la future jetée Ouest en attendant qu’une étude plus approfondie du régime des vents et des mouvements de la mer et des sables (toujours la fameuse peur de l’ensablement !) permette d’établir le projet définitif de notre port abri.
Quant à notre chemin de fer, qui est le corollaire nécessaire de notre port, il est en ce moment en très bonne voie. Dans sa session d’octobre 1908, le Conseil Général d’Oran, sur les vives instances de nos chers et dévoués représentants, autorisa M. le Préfet, le regretté M. de Malherbe, à signer avec M. Galesloot la convention de concession.
Ainsi donc, une ère nouvelle de prospérité s’ouvre pour notre région si longtemps délaissée. Le câble télégraphique sous-marin, nous reliant désormais directement aux Iles Zaffarines, Melilla, l’Espagne et la côte marocaine, fonctionne admirablement bien, depuis le 14 juillet 1908, sous l’habile direction du distingué M. Pedro Benito y Sanz. Le circuit téléphonique Nemours-Marnia Tlemcen Oran est ouvert au public depuis le 8 octobre 1908 et rend d’inappréciables services à tout le monde et surtout au commerce.
Les travaux d’agrandissement du tunnel de Touent, qui doit nous protéger à tout jamais contre toute nouvelle inondation, sont à peu près terminés. Enfin, la construction de notre chemin de fer et de notre port n’est plus qu’une question de temps.
C’est donc avec la plus vive et la plus légitime satisfaction que nous constatons aujourd’hui que nos justes doléances ont été enfin entendues, et qu’on ne néglige rien pour nous doter d’un outillage économique, qui va nous permettre enfin de sortir du marasme industriel et commercial dans lequel nous nous trouvions si injustement depuis un demi-siècle.
Adressons nos plus vifs remerciements à MM. Leloutre et Platel, ingénieurs du Contrôle, chargés de l’établissement des projets de tous ces travaux importants, d’un intérêt vital pour nous, à M. Laurent Fouque, notre cher conseiller général, qui s’est employé de toute son âme à nous faire obtenir satisfaction, et à Monsieur le Gouverneur Général de l’Algérie, dont la bienveillance ne nous a jamais fait défaut.
Rendons enfin un public et éclatant hommage de gratitude et d’affectueux dévouement à nos vénérés représentants, MM. Etienne et Saint-Germain, dont la puissante intervention et l’inlassable ténacité ont eu raison de tous les obstacles qui s’opposaient à la réalisation de nos vœux les plus chers.
Le Maréchal Bugeaud – Vient reconnaître la plage de Djemâa-Ghazaouât (Nemours), le 25 juin 1844, avec un détachement pris dans la colonne opérant sur la frontière. Revient en tournée d’inspection le 4 avril 1845, puis en juin 1846, à bord du « Caméléon».
Le Général de LAMORICIERE. – Fait commencer, sous sa direction, les travaux d’installation du poste (qui seront poursuivis par le lieutenant-colonel de Montagnac), en septembre 1844. Il y revient à plusieurs reprises, notamment en novembre 1847, pour aller camper sur la frontière, à l’Ouest de Lalla-Maghnia, et le 23 décembre de la même année, alors qu’il devait rencontrer l’Emir Abd-el-Kader.
Horace VERNET – Le célèbre peintre de batailles séjourne à Djemâa-Ghazaouât le 4 avril 1845 et repart, le lendemain, à bord d’un bateau à vapeur, après avoir reçu les honneurs militaires. Il était venu en Algérie pour y recueillir les documents nécessaires à l’exécution de son tableau « la bataille d’Isly».
De SALVANDY – ministre de l’Instruction publique. Venu en Algérie pour assister au mariage de son beau-frère, M. Feray, chef d’escadron de chasseurs, avec la seconde fille du Maréchal Bugeaud, s’embarque d’Oran pour Djemâa-Ghazaouât, le 28 juillet 1846.
Alexandre DUMAS – arrive par mer le 27 novembre 1846, à bord de la corvette le «Véloce», en compagnie de son fils, le futur auteur de « la Dame aux Camélias ».
Le duc d’AUMALE – Ce prince royal, qui avait déjà visité Djemmâa-Ghazaouât en juin 1846, en compagnie du maréchal Bugeaud (qu’il avait remplacé dans ses fonctions de Gouverneur Général de l’Algérie), y débarque le 23 décembre 1847 pour recevoir l’Emir Abdel Kader, dans le petit jardin attenant à la demeure du commandant supérieur.
L’Emir Abdel Kader, le 24 décembre 1847 est embarqué sur le « Solon» pour Mers-el-Kébir, et le 25 décembre il partit d’Oran avec sa famille et quatre-vingt-dix personnes de son entourage pour une destination dont il ignorait qu’elle allait être un long exil….
Le Colonel de MAC-MAHON – (futur Maréchal de France, futur Gouverneur Général d’Algérie et futur Président de la République française), faisait partie du corps de l’armée.
Le Gouverneur Général TIRMAN – visite Nemours le 21 avril 1883. M. Clément. Dréveton, conseiller général et maire de la ville, l’attend à la porte de Tlemcen, entouré du Conseil municipal, de tous les fonctionnaires civils et militaires et de la population tout entière.
Charles de FOUCAULD – décidé à entreprendre sa « Reconnaissance au Maroc », arrive à Nemours le 15 juin 1883. S’embarque le 15 juin 1888.
Le Gouverneur Général JONNART – arrive à bord du yacht « Marie-Rose » le 21 octobre 1906, pour se rendre compte des dégâts occasionnés par le cyclone du 21 septembre précédent.
LE GÉNÉRAL LYAUTEY – chef de la division d’Oran, assiste le 9 novembre 1909 à l’inauguration, sur la place de la République, du monument aux héros de Bab-el-Assa.
Le comte de ROMANONES – député, futur Président du conseil et Ministre des Affaire Etrangères d’Espagne, visite Nemours en 1914.
Le Gouverneur Général ABEL – visite Nemours en 1922.
Le Gouverneur Général PIERRE BORDE – assiste, le 18 octobre 1929, à l’inauguration du monument aux morts de la guerre 1914-1918.
Le Gouverneur Général Georges LE BEAU – en tournée en Oranie, visite Nemours le 10 juin 1939.
Le Gouverneur Général ABRIAL – visite Nemours le 18 mars 1941.
Le Gouverneur Général Y.C.CHATEL, – visite Nemours le 11 juin 1942.
Le Gouverneur Général YVES CHATAIGNEAU – en tournée en Oranie, visite Nemours le 8 mars 1945.