De tout temps, et ce depuis l’antiquité, la baie de Nemours, par sa situation privilégiée, a attiré navigateurs et envahisseurs. La position géographique de cette baie enserrée entre deux hautes falaises permettait aux navires à faible tirant d’eau de trouver un havre sûr. Beaucoup prétendent que sans doute que les Phéniciens, les Grecs et les Romains y auraient trouvé refuge et établi un comptoir et le nommant AD FRATRES, symbolisant ainsi les deux rochers devenus célèbres depuis sous cette dénomination, et qui tels des gardiens séculaires, dressent leur haute silhouette à l’entrée du port.
Mais il n’y aucune trace attestant de cette occupation. La petite bourgade de Taount ou Twent, plus tard appelée Lalla Ghazwana, était une petite cité berbère qui existe depuis au moins le 8ème siècle selon Ibn Khaldoun qui mentionne cette cité dans son « Histoire des Berbères ». (cf. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, traduction de Slane, tome III, pp140-141).
Pour s’en rendre compte, il suffit de voir qu’il n’y aucun vestige romain même et surtout à Taount, car les Romains utilisaient de la pierre taillée pour leurs constructions et à Taount on n’en trouve nulle trace, à l’inverse de Siga par exemple, où l’on trouve pierres brutes et pierres taillées qui prouvent la présence tant des Berbères que des Romains. Il n’y a ni borne ni larges routes attestant que les Romains y avaient vécu à une certaine époque, alors qu’ils avaient installé un comptoir à Honaïne qui se trouve à une trentaine de kilomètres de Nemours.
Cependant, les géographes et les archéologues n’ont pas toujours été d’accord sur l’emplacement de cette station. Il faut attribuer cette incertitude du début à l’absence complète d’inscriptions, de vestiges, de bornes militaires de l’ancienne grande voie du littoral et aussi aux distances souvent inexactes données par « L’Itinéraire », le seul document mentionnant Ad Fratres.
Al Bakrî, parlant de Taount la décrivait ainsi : « Elle couronne une colline que la mer entoure de trois côtés. On y arrive par le côté oriental, mais l’accès en est très difficile, l’on ne saurait espérer effectuer la conquête d’une telle place. Elle est occupée par une tribu berbère nommée les Béni-Mansour. Une mine d’antimoine se trouve dans cette colline ». « Les habitants possèdent des jardins et une grande quantité d’arbres ; une partie des figues que l’on récolte à Taount est desséchée au soleil pour être envoyée dans les pays voisins ».
Mais ce qu’il faut savoir c’est que Al Bakrî, géographe hispano-arabe bien connu, était un sédentaire et n’a jamais voyagé. Il recevait tous ls voyageurs et compilait ainsi leurs histoires. Aussi n’est-il pas étonnant que certaines de ses assertions soient fausses ou erronées. Taount était bâtie sur le haut d’une falaise qui possédait un sol pierreux et où ne poussaient que des lentisques, des épineux, des pins et de la lavande sauvage. Il n’y avait pas d’eau sur place puisqu’elle était amenée de l’oued qui se trouvait au pied de la colline par des conduites en poterie. Il reste encore un réservoir sur le plateau qui atteste de ce fait. Les villageois possédaient certes des jardins et des vergers mais ils les cultivaient dans la vallée.
Mais ce nom de Taount fut ensuite changé en celui de Djemmâa-Ghazaouât, que l’on peut traduire effectivement par « place, repère, réunion ou nid de forbans, de brigands, pilleurs ». Ces corsaires, flibustiers, forbans et autres écumeurs de mer étaient plus connus sous l’appellation « pirates barbaresques ».
En effet, lorsque les Turcs qui tenaient Tlemcen avaient investi Taount, dont la sultane de l’époque, nommée Lalla Ghazwana, en était la souveraine, qu’ils le transformèrent en repaire de brigands et de forbans, malgré l’opposition de Lalla Ghazwana qui refusait que sa petite cité devienne un lieu de pillage et de crime. Elle tenta de s’y opposer par les armes, mais elle succomba sous le nombre et la force des Turcs qui lui imposèrent cette situation. Malheureusement, il n’y aucun écrit attestant de l’existence de cette sultane rebelle, à part des récits oraux.
Pour attirer les navires voguant au large, surtout par mauvais temps, ces naufrageurs allumaient donc des feux sur la plage la nuit tombante où venaient s’échouer les navires, trompés par les feux, et s’emparaient de leur cargaison.
Tel un aigle dans son aire, ce village avait une position privilégiée, car sur les trois côtés, il était protégé par la falaise à pic sur lequel il était perché et de l’autre côté, il était impossible aussi de l’attaquer puisque la vue portait loin sur les collines environnantes. Ce village fut détruit sur ordre du général Bugeaud en 1847. Il permit seulement aux habitants de prendre leurs affaires et d’aller s’installer dans les villages environnants. Il ne subsiste plus que des ruines magnifiques de ce qui fût le palais des différents seigneurs, vassaux du roi de Tlemcen.
VESTIGES DE LA FORTERESSE DE TAOUNT
A l’origine, existaient aussi deux mosquées dont l’une s’appelait Djâma Bou Nour (la Mosquée de la Lumière) où l’Emir Abdelkader venait faire la prière du vendredi. L’autre mosquée aurait été fréquentée à l’origine par de pieux musulmans qui occupèrent le Ribât (monastère-forteresse). A l’emplacement de la mosquée Djâma Bou Nour et du cimetière adjacent, le génie militaire français a fait construire un fortin qui domine la baie de Nemours à l’Est. Et qui existe toujours. Pour la petite histoire, de ghazwa (pillage) est né le terme razzia (rezzou au singulier).
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Louis-Charles-Philippe-Raphaël d’Orléans, duc de Nemours (1814-1896)
C’est en l’honneur de ce prince, deuxième fils de Louis-Philippe et de la reine Amélie, que le nom de Nemours fut donné à Djemmaâ-Ghazaouât, par une ordonnance royale signée à Paris le 24 décembre 1846 et promulguée le 15 février 1847.
Louis-Philippe, Roi des Français
A tous présents et à venir, Salut
La Notre Ordonnance du 21 juillet 1845, Sur le rapport de notre Ministre Secrétaire d’Etat à la Guerre, Nous avons ordonné en Ordonnance ce qui suit.
Je crée à Djemmâa-Ghazaouât, sur le littoral de la province d’Oran, subdivision de Tlemcen, une ville européenne qui prendra le nom de Nemours. Une superficie de onze hectares soixante quinze ares est affectée à l’établissement de la ville et aux concessions à y faire pour les constructions particulières.
Cette ville sera établie conformément au plan d’alignement et de distribution qui sera ultérieurement arrêté par notre Ministre Secrétaire d’Etat de la Guerre.
Si l’on devait donc attribuer officiellement une date de naissance à Nemours, ce serait bien le 24 décembre 1846, date de l’ordonnance royale qui porta création de Nemours, qu’on appelait alors « Djemmaâ Ghazaouât », « la place des pirates » du nom du village de Taount, dont on retrouve les restes sur la falaise située à l’Est.
Toutefois, en 1844, Nemours était beaucoup plus considérée comme point de débarquement, et comme entrepôt provisoire de ravitaillement des troupes opérant sur les confins du Maroc, que comme centre de colonisation. Mais étant donné l’importance de cette région, on a dû vite envisager sérieusement la possibilité d’y installer des colons, et ce bien après l’installation définitive de la France sur ce point du littoral. Notons qu’à l’époque Nemours comptait 498 habitants, un chiffre ridicule sur cette contrée de l’extrême ouest algérien considérée, à l’époque, comme paradisiaque.
Il y avait de quoi, en ce sens que dans cette vallée de l’oued Ghazouanah, il y avait de beaux jardins, des arbres fruitiers, beaucoup de vignes et de figuiers. D’ailleurs, cultures maraîchères et fruitières exotiques abondaient dans cette fraîche vallée bordée de lauriers roses, de roseaux et les bords de l’oued Ghazouanah produisaient beaucoup de fruits.
Nemours ne produisait pas seulement des tuiles, des conserves de poisson appréciées (Papa Falcone, Micelli, Pitzini, etc), des salaisons, mais encore des bananes savoureuses, des goyaves, des plaquemines. Seulement, dès ces temps anciens, il était reconnu que les terrains montagneux de la région généralement pierreux et trop calcaires étaient de fertilité médiocre mais refermant des richesses minières.
Aussi, la France, comprenant la situation maritime exceptionnelle de ce site, décidera de faire de Nemours une cité portuaire en pleine expansion grâce à ses atouts agricoles et miniers. Le Nemours que les anciens ont connu, dans les années 20, à l’époque où son port n’était que projet, la mer montait parfois jusqu’aux marches de l’hôtel de France, proche de la place publique où figurait le monument de Bab-el-Assa, élevé en mémoire des tirailleurs qui en 1859, 1907 et 1908, au cours des opérations dans les Beni-Snassene, avaient farouchement et courageusement lutté à la frontière proche, pour empêcher les insurgés marocains de s’emparer de la cité.
Autre lieu historique, la colonne Montagnac, commémorative du combat dans lequel furent surpris et taillés en pièces par Abd-el-Kader, en 1845, les 62 cavaliers et les 350 fantassins que commandait le colonel Montagnac, commandant le poste de Nemours qui s’était porté au-devant de l’Émir venant du Maroc et cherchant à pénétrer en Oranie, et lui-même y trouvant la mort le 23 septembre 1845…
Les survivants du combat du Djebel Kerkour se réfugièrent et tinrent pendant trois jours à 2 km de Nemours sur la route d’Oujda au marabout de Sidi-Brahim où ils tentèrent de gagner Nemours. Seuls 12 hommes y parvinrent, les autre étant massacrés près du village des Ouled Ziri, ce que rappelle le Tombeau des Braves élevé sur place.
C’est au lieu-dit Le Palmier au pied duquel l’émir Abd-el-Kader, traqué de toutes parts, trahi par le Maroc, fut reçu par le colonel de Montauban, le 23 décembre 1847, qui remplaça au pied levé le général Lamoricière. Peu après, il fut emmené à Djemmaâ-Ghazaouât où il rencontra le duc d’Aumale à qui l’Emir offrit son superbe étalon, sachant qu’il n’en aurait plus besoin là où il allait être emmené. Puis il le fit embarquer pour Oran sur le Solon, qu’il quitta le 24 décembre 1847, sur l’Asmodée. Il est avec son entourage, femmes, enfants, vieillards et blessés. C’est-à-dire quatre-vingt dix personnes dont sa mère, Lalla Zohra, ses trois femmes, ses enfants et ses derniers khalifats fidèles. Mais, hélas, pour l’Emir, la parole donnée par les Français fut trahie et au lieu de l’emmener à Saint Jean d’Acre ou à Damas, il fut descendu à Toulon où il fut fait prisonnier avec toute sa maisonnée !!!
Port du Sahara, le premier nom donné au port, construit de toutes mains, magnifiquement outillé, desservant tout le Maroc oriental, Nemours prit sa place dans l’économie algérienne et marocaine. L’évènement économique sera l’arrivée du premier train le 9 mars 1936 qui sera fêté comme il se doit et début 1937, le premier train de minerai en provenance d’Oujda arrivait en gare de Nemours et c’est ce même jour l’inauguration du port pourvu d’un riche outillage, d’un port moderne qui recevait en même temps la visite de la flottille de contre-torpilleurs de la Marine Nationale.
Port du Sahara était donc devenu Nemours, dont le Méditerranée-Niger déversait sur ses quais alfa, céréales, crin végétal, vins de toute la périphérie de Tlemcen et de Marnia, marbres et onyx, agrumes, primeurs, minerais divers notamment des régions minières de Berguent et de Bouarfa, moutons des hauts plateaux marocains. Trafic dont bénéficiait, du fait du monopole du pavillon, l’armement français et celui de Marseille en particulier.
PÊCHE ET COMMERCE
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que si l’Emir Abdelkader n’était pas venu combattre dans notre région, la ville de Nemours n’aurait jamais existé. En effet, Bugeaud voulait en faire un simple poste avancé pour ses soldats et pour pouvoir transiter armes et marchandises, sans plus . Mais le général Lamoricière décida de construire une petite ville identique à n’importe quelle sous-préfecture de France. Il en commença les fondations, mais le général Bugeaud ayant donné sa démission, il devenait le haut responsable du commandement sis à Oran. Il laissa ses instructions au lieutenant-colonel de Montagnac. (Voir Lettres d’un soldat de Lucien-François de Montagnac).