LES COMBATS DE L’EMIR, UN SULTAN INDOMPTABLE

L’EMIR ABD EL-KADER L’IMMORTEL

LA MOUBAYAA « allégeance » des tribus à l’Emir Abdelkader dans la plaine du Gris près de Mascara le 4 février 1883

CONFERENCE A BOURGES LE 24 MAI 2013 PAR Zohra MALDJI

CARTES REPRESENTANT LES TERRITOIRES DE L’EMIR

«L’Emir Abdelkader a montré que la religion n’excluait pas la science, que la science n’excluait pas l’humanisme, que la foi n’excluait pas le spiritualisme»

Raconter la vie de l’Emir Abdelkader est une véritable gageure tant elle est riche et bien remplie. Ses actes et actions si nombreux, ses multiples batailles, ses victoires comme ses défaites, tout aussi retentissantes, son combat contre l’ignorance et pour le savoir, sa défense pour son pays qu’il voulait uni, grand, libre et indépendant, en un mot souverain, sa foi indéniable, sa parole jamais prise en défaut, les vertus de corps, d’esprit et d’âme qu’il prônait jamais oubliées ni reniées démontrent bien qu’il était non seulement un homme hors du commun mais aussi un personnage plein de noblesse et de majesté.

Chef guerrier indomptable, grand chasseur et cavalier émérite, prince altruiste et juste, il incarnait la puissance, la force et l’autorité. Sa remarquable intelligence, sa grande sagesse, sa culture et son immense savoir ainsi que son humilité devant son Créateur ont fait de lui un homme complet et parfait, mais qui restait toujours à l’écoute des plus humbles.

Mais comme le dit si bien Bruno Etienne dans son livre « Abd el Kader » : « Aucun interdit ne pèse sur d’autres lectures possibles de la vie de l’Emir qui est assez riche pour faire l’objet de plusieurs interprétations : celui-ci se satisfera de sa résistance aux Français, celui-là en fera le créateur de l’Etat moderne ; ses ennemis seront honorés de sa grandeur, ses amis de son humanité ; un autre goûtera les joies de sa mystique, tandis que sa modernité surprendra tel autre ; même le capitaliste y trouvera son compte avec l’affaire Suez ; et si sa poésie est quelque peu désuète, je suis sûr que tous les cavaliers l’admireront. Dieu, lui, reconnaîtra les siens… ».

Mais qui était donc l’Emir ? Tout d’abord, il faut savoir qu’il venait d’une famille de grande noblesse. Il était de filiation maraboutique car son grand-père, Mustapha, était le cheikh fondateur de la Tariqa Qadiriyya, un ordre soufi.

L’Emir Abd-el-Kader est né dans l’Ouest algérien dans le petit village de la Guetna, près de Mascara, le 6 septembre 1808. Il est le troisième enfant de Mahieddine, chef de la confrérie de la Quadiriyya, qui a lui-même combattu les troupes françaises dès leurs premières incursions dans l’Ouest algérien en 1830

Tout jeune enfant, Abdelkader fait déjà preuve d’une intelligence précoce et d’une grande maturité et dès l’âge de cinq ans entreprend l’apprentissage du Coran. Il apprend les sciences religieuses, la langue et la littérature arabe, les mathématiques, l’astronomie, l’histoire et la philosophie. Platon, Aristote, Al-Ghazali, Ibn Rushd et Ibn Khaldun lui sont familiers, tout comme Averroès et Avicenne, et bien entendu le grand Ibn Arabî. Par ailleurs, il possédait une phénoménale mémoire.

« Maiscomme le dit l’Emir lui-même, peu importe ma généalogie à un moment où elle n’a plus que l’importance d’un fardeau : il ne suffit pas de demander quelle est l’origine d’un homme, il faut au contraire interroger sa vie, ses actes, son courage, ses qualités pour savoir qui il est et ce qu’il en est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure. »

Dès 1830, Abd-el-Kader manifesta son engagement, aux côtés de son père d’abord, puis en lui succédant à la tête des tribus de la région d’Oran et de Mascara, qui refusaient de se soumettre aux Français. Abd-el-Kader, qui a à peine 22 ans, participe à la résistance populaire et se distingue par sa bravoure et d’audace au cours des combats livrés sur les remparts de la ville d’Oran lors du premier accrochage avec les Français

Après la chute d’Oran en 1831, les cheikhs et les ulémas décidèrent de désigner un chef pour la conduite de la résistance à l’occupation étrangère. Leur choix se porta sur Cheikh Mahieddine, mais trouvant la tâche trop lourde, il déclina l’offre en raison de son âge avancé. Mais, devant l’insistance de l’assemblée il proposa plutôt son fils Abdelkader, ce qui déplut à plusieurs tribus qui voyaient d’un très mauvais œil ce jeune Sultan, âgé tout juste de 24 ans, à qui pourtant ils firent allégeance, et ce par deux fois. 

Il obtiendra le titre de «Commandeur des croyants », lors de la première « Moubayaa » (allégeance) qui eut lieu dans la plaine des Ghriss (près de Mascara), le 27 novembre 1832, sous l’arbre de Dardara, suivie d’un deuxième plébiscite général, le 4 février 1833. Ce qui lui confèrera un pouvoir temporel et une autorité spirituelle. Par ses talents d’orateur, son énergie et son charisme, il affirmera d’emblée son autorité.

Il devra se battre autant contre les Français que contre certains chefs de tribus qui lui étaient hostiles : al-Ghomari, le cheikh des Angad, cherche même à faire nommer un autre sultan par les Ouled Sidi Cheikh et les Sahariens, avec l’appui de Kaddour ben Mokhfi, des Borjia et des tribus du Cheliff ; le vieux Mustapha ben Ismaîl le trahira sur ses arrières à Tlemcen et la puissante confrérie de la Tidjania s’opposera à lui ; d’autres tribus encore firent allégeance à la France pour ne pas se rallier à l’Emir.

1832-1840 – ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE ET PREMIÈRES VICTOIRES

L’Emir prit en charge la lourde responsabilité de la guerre sainte, de défense de la population et de la terre d’Islam alors qu’il était en pleine jeunesse. Très vite, il soumet sa région, l’Ouest de l’Algérie, à l’exception des villes d’Oran et Tlemcen, ottomanes, et des villes côtières de Mostaganem, Mazagran et Béjaïa, aux mains des Français.

Stratège militaire, il lance l’appel au Djihad et dirige la résistance à partir de Mascara sa capitale. Il défait les troupes françaises et, le 26 février 1834, oblige le général Desmichels à signer un traité qui reconnaît son autorité.

GENERAL DESMICHEL

Face à ce jeune guerrier, intelligent et audacieux, au prestige rapidement établi, les Français tentèrent d’abord de ruser. Le général Desmichels pensait faire de l’Emir un allié qui sécuriserait l’arrière du pays et unifierait les tribus rebelles et, moyennant un accord avec lui, les conquérants pourraient à leur tour établir leur protectorat, ce qui, en quelque sorte amènerait l’Emir à être leur vassal…

De son côté, Abd-el-Kader avait momentanément avantage à la paix, le temps d’unifier et d’organiser ses troupes. Le général et l’Emir se mirent donc d’accord pour signer ce qu’on appela par la suite le « Traité Desmichels« .

REPRISE DES HOSTILITÉS

Décidé sans l’avis du gouvernement français, l’accord signé le 26 février 1834 avec le général Desmichels reconnaissait à Abd-el-Kader le titre de Commandeur des croyants et sa souveraineté sur le Beylik d’Oran, à l’exception des villes d’Oran, d’Arzew et de Mostaganem. En fait, ce traité était gros de malentendus, les deux versions, française et algérienne, étant contradictoires.

Les conquérants n’y voyaient qu’un armistice provisoire ; Abd-el-Kader le considérait comme la reconnaissance de sa souveraineté, au-delà même de la province d’Oran. Les hostilités reprirent donc sans beaucoup tarder entre les Français et l’Emir. Le gouverneur Clauzel lança deux expéditions successives sur les terres d’Abd-el-Kader, qui évita le combat et réoccupa le terrain.

BATAILLE D’EL MACTA – 28 JUIN 1835

Le général Desmichels, dont la politique est contestée à Paris, est remplacé par le général Trézel, moins conciliant. C’est la Convention du Figuier, signée le 16 juin 1835 entre les Douaïrs et les Zmalas, tribus hostiles à l’Emir, d’une part et le général Trézel d’autre part, qui est le prélude au déclenchement des hostilités.

Le 28 juin 1835, Abd-el-Kader, alors âgé seulement de 27 ans, affrontera, en une mémorable bataille, celle d’El-Macta, les troupes du général Trézel. Usant d’une tactique militaire d’un style nouveau et révolutionnaire, défiant toutes les stratégies usuellement admises à l’époque, l’Emir infligera aux envahisseurs une cinglante défaite. 

LE GENERAL TREZEL

En apprenant que l’Emir regroupait son armée près de la plaine du Sig (2.000 cavaliers et 800 fantassins), Trézel allait commettre une erreur telle qu’on n’en connaît peu dans l’histoire des guerres. Le général sortit d’Oran le 26 juin 1835 à la tête d’une colonne de 2.800 hommes d’infanterie en plus d’un régiment de chasseurs d’Afrique lourdement équipés, aura à affronter l’avant-garde de l’Emir dans la dense forêt de Moulay Ismaïl en une attaque frontale et sur les flancs, aussi soudaine qu’efficace (tactique dite de l’étau par la tenaille) de la part du détachement de reconnaissance des troupes de l’Emir. 

Ce qui ne devait être qu’une mission de reconnaissance sera en réalité un véritable cauchemar pour la colonne française qui, ébranlée, allait sombrer dans la confusion la plus totale. L’attaque semblait se relâcher et au lieu de revenir vers Oran (distante de quelques 40 km), les troupes de Trézel reprennent leur marche en avant pour atteindre les rives du Sig vers le coucher du soleil où ils bivouaqueront. Deuxième erreur stratégique de la part de Trézel. 

L’Emir coupera cette nuit-là les lignes de communications ennemies avec Oran ce qui empêchera Trézel de tenter une percée et l’obligera à prendre la direction du port d’Arzew. Troisième erreur tactique. Couper droit à travers une région presque impraticable était difficile à entreprendre. Il ne restait à Trézel que de contourner les Monts Hamiyyane pour ensuite déboucher dans la plaine d’Arzew par le défilé de l’Oued Habra qui prendra à cet endroit le nom d’El-Megta’â. 

Comprenant cela, l’Emir enverra 1.000 fantassins en croupe derrière 1.000 cavaliers occuper les pentes du défilé grâce à son génie militaire qu’il apprît « in situ » et non dans les académies militaires de renom. L’étau en place, la tenaille pouvait entrer en action et diriger les troupes françaises vers les marécages. Le piège avait réussi. La colonne Trézel était décimée. 

Le bilan était lourd des deux côtés : d’après les rapports militaires de l’époque découverts récemment, les pertes françaises étaient évaluées à près de 1.000 morts et quelques 1.500 blessés. L’Emir fera en outre de nombreux prisonniers. La bataille d’El-Megta’â avec celle de Sidi Brahim ou la défaite française à Constantine, entre autres événements marquants la grande épopée du fondateur de l’Etat moderne algérien, seront pour les envahisseurs français parmi les épisodes les plus douloureux des guerres d’Afrique. 

LES MARAIS DE LA MECTA

Après cette bataille, Trézel est remplacé par un autre illustre général, le général d’Arlanges, alors que le maréchal Clauzel succède au général comte Drouet d’Erlon. Cette valse de généraux prouve l’ampleur du désastre du côté français qui commença dans la forêt de Moulay Ismaïl (500 morts du côté français) pour se terminer dans les fameux marécages d’El-Macta. 

Après l’offensive coloniale contre Mascara et Tlemcen en 1836, l’Emir déplace sa capitale à Tagdempt.

TRAITÉ DE LA TAFNA AVEC LE GÉNÉRAL BUGEAUD

C’est alors que Paris envoya le général Bugeaud en Algérie. D’emblée, il s’y fit une réputation, en remportant une victoire sur les hommes de l’Emir, au bord de l’Oued Sikkak le 6 juillet 1836, avant de regagner la France. Clauzel, toujours gouverneur général, décida alors de lancer une expédition à l’Est, sur Constantine. Ce fut un échec désastreux, qui provoqua son remplacement par le général Damrémont.

Général Bugeaud

Rappelé en Algérie, Bugeaud fut chargé de la négociation avec Abd-el-Kader. Il improvisa une diplomatie toute personnelle, concrétisée par un nouvel accord signé à la Tafna, le 30 mai 1837. Bugeaud céda des concessions territoriales jugées exorbitantes par les Français, mais il y gagna quelques avantages personnels, et notamment la jolie prime de 180.000 francs destinée à l’entretien des chemins vicinaux de la Dordogne, dont il était député. 

Ce traité de la Tafna fut sujet, une fois encore, aux interprétations contradictoires entre les deux parties quant aux limites territoriales qui étaient assignées à Abd-el-Kader, mais il donnait aux Français le répit nécessaire pour s’emparer de Constantine, ce qui fut fait lors d’une nouvelle expédition en octobre 1837.

LA BATAILLE DE CONSTANTINE

CRÉATION D’UN ÉTAT

Lors de ses voyages – en 1826/1828 – en Egypte, Syrie et Arabie Saoudite, en compagnie de son père, Abdelkader a pris conscience de l’inexistence d’un Etat algérien quand il a vu ce que donnaient un pouvoir central et un seul dirigeant et cela suscita en lui le désir de créer un pays unifié, et tous ses combats et son acharnement n’auraient qu’un seul but : création d’un Etat digne de ce nom. Il s’était rendu compte que son pays était instable et désuni car toutes les tribus qui en faisaient le tissu ne pouvaient être le noyau d’un véritable Etat.

De par leurs dissensions, leurs disputes endémiques, leurs querelles intestines, les razzias qu’elles se faisaient, les combats qu’elles menaient entre elles, les tribus étaient plus un danger qu’une garantie de paix et de sécurité. Effectivement, certaines tribus lui avaient fait allégeance, mais dans leur esprit retors, l’Emir était jeune et il pourrait avoir le titre de Sultan ou de Commandeur des croyants, sans que cela change quoi que ce soit à leur mode de vie. 

Ce qui ne fut pas le cas, loin de là. Ils s’aperçurent bien vite que l’Emir n’avait nullement l’intention de continuer à vivre à leur façon et qu’il ne serait plus question de pillages et de razzias, et pour bien montrer aux chefs de tribus qui se sont opposés à lui de quoi il était capable, il a tout simplement tranché la tête de leurs fils aînés. Après cela, ils n’osèrent plus se révolter et durent lui payer tribut pour l’aider dans son effort de guerre. 

D’ailleurs, par trois fois Mustapha Ben Ismaël, chef des Douaïrs, qui gardait Tlemcen pour les Ottomans, Bénaouda Mazari, chef des Zmalas, et Kadour ben el Morsly, chef des Beni Aâmer, tribus hostiles, se sont ligués contre l’Emir et l’ont combattu traîtreusement et férocement. Le plus acharné fut Mustapha Ben Ismaël qui gardait Tlemcen pour les Ottomans. Au dernier combat, l’Emir eut de la chance de s’en sortir, mais tout juste. Il dut aussi se battre contre une secte de fanatiques qui se révolta contre lui, ayant à sa tête d’importants personnages dont, entre autres, son propre frère, Sidi Mustapha, ancien caïd des Flittas.

Par trois fois, ces tribus renégates demandèrent allégeance au général Desmichels, lui indiquant qu’ils se faisaient fort de capturer l’Emir. Mais à chaque fois, le général Desmichels préféra prendre fait et cause pour l’Emir plutôt que pour les tribus parce qu’il avait conscience qu’avoir un seul interlocuteur fiable et valable comme l’Emir était bien plus sûr que d’avoir affaire à ceux qu’il considérait plutôt comme des trublions inconstants et versatiles. Donc sans aucune garantie. 

En ce qui concerne les tribus, je vais ouvrir une parenthèse et faire un parallèle. La France était partagée, au Moyen-âge, en provinces, duchés et comtés, dont les seigneurs se faisaient tout le temps la guerre, chacun lorgnant le territoire de son voisin. 

Et c’est Louis XI qui unifia le pays en rattachant au domaine royal par des moyens parfois violents, par la ruse, par des marchandages ou par des alliances, la Bourgogne, le Maine, l’Anjou, la Provence ou encore les Flandres, etc. 

          

LOUIS XI
Louis XIV

Louis XIV aussi avait compris que seul un pouvoir central lui donnerait barre sur l’aristocratie, ce d’autant plus qu’il n’avait jamais oublié l’humiliation subie du fait de la Fronde. Et c’est ainsi qu’en créant Versailles, il a obligé les aristocrates à vivre sous ses yeux et selon son bon vouloir, car tout noble qui ne se montrait pas à Versailles, n’existait plus.

Mais revenons à l’Emir. Lui qui aurait préféré de loin passer son temps à lire, à écrire, à s’instruire, à enseigner, à méditer et à prier, a été obligé de prendre les armes à la place des livres et du calame. Abd-el-Kader profita de l’accalmie intervenue entre lui et les Français pour affirmer son pouvoir aux yeux de tous et s’attela à la fondation d’un Etat capable de réaliser l’unité de la Nation et de chasser l’envahisseur. Il rassemble sous sa bannière les tribus de l’Oranie, du Sud, de l’Est et de Kabylie qui se placent sous la direction de son Etat qui contrôle désormais les deux tiers de l’Algérie.

Homme d’Etat, il organise le territoire en Khalifats (Mascara, Médéa, Miliana, Tlemcen, les Ziban, Medjana), disposant de 59.000 combattants. Au cours de cette période, il lance un vaste programme de développement urbain, économique et administratif, bat monnaie et ouvre de nombreux ateliers industriels dont les fabriques d’armement, ainsi que des écoles.

L’Emir a effectivement construit sur des bases solides un Etat-Nation moderne avec tous ses symboles de souveraineté, à savoir : 

– Un Drapeau : Ce drapeau était vert de part et d’autre et blanc au centre avec une main ouverte autour de laquelle on pouvait lire à droite « Nasr Min Allah Oua Feth Qarib » (la victoire vient de Dieu et la délivrance est proche) et à gauche « Nasr-ed-dine Abd-el-Qader Ben Mouhieddine » (celui qui fait triompher la religion : Abd-el-Kader fils de Mouhieddine).

– Un Sceau : Le Sceau de l’Emir était constitué de deux cercles concentriques autour d’une étoile à six branches faisant penser à celle de Sidna Daoud (David) ; mais en fait, l’étoile représente le Sceau de Salomon et non l’étoile de David comme on pourrait le croire. Le sceau de Salomon était un symbole très populaire et fréquemment employé dans l’art musulman médiéval. 

Dans le grand cercle, était écrit ceci : « Celui qui aura, par l’intervention du prophète, l’assistance protectrice de Dieu, si les lions le rencontrent, ils fuiront dans leurs tanières« .

Dans le petit cercle l’on peut lire ceci : « Billah (par Dieu), El Qader (Le Puissant), El Moutine (Le Solide), Moulana (Notre Maître), Amir El Mouminine (Chef des croyants), El Mansour (Le Victorieux)« . Ensuite à l’intérieur des branches sont cités les noms d’Allah, Mohammed, et celui des califes : Abou Bekr, Omar, Othmane et Ali. Au centre du sceau, il y avait Abd-el-Qader Ben Mouhieddine -1248 (1832).

Dans le drapeau et le sceau de l’émir, on retrouvera une partie de la symbolique utilisée par Barberousse dans son pavillon (couleurs, main, sceau de Salomon, citation, les noms des quatre califes

– Une Monnaie nationale : La Frappe d’une monnaie nationale par cet homme extraordinaire a donné plus de grandeur dans l’affirmation de l’Etat qu’a créé l’Emir. Cette monnaie prouve que l’Emir a non seulement unifié le pays mais qu’il a aussi entamé la modernisation de l’Etat qu’il tente de créer.

Pour assurer l’unité de la nation autour d’un Etat moderne et empêcher les Français de gagner à eux des chefs de tribus, l’Emir comprit qu’il fallait imposer l’unité et profiter du répit pour construire l’Etat moderne support de la nation et moyen de résistance.

Les objectifs de l’Emir (qui devait régner sur les 2/3 de l’Algérie) étaient basés sur la volonté de la nation, l’incarnation du djihad et l’organisation de l’Etat. Certains concepts doivent être définis simplement pour mieux comprendre le génie de l’Emir : si l’Etat est défini comme une entité politique constituée d’un territoire délimité par des frontières, d’une population et d’un pouvoir institutionnalisé, eh bien l’Emir avait bien créé cet Etat. Les deux traités signés avec la France (celui dit « Desmichels » le 26 février 1834 et celui dit de « la Tafna » le 30 mai 1837) ont bien délimité ce territoire à plus des 2/3 de celui constitué par la Régence.

L’Etat spécifiquement Algérien fut fondé sur une base populaire, ce qui est conforme à la tradition Musulmane pour qui le consensus, « El Djmâa », est le fondement de la légitimité.

Cette base populaire était composée d’un ensemble de tribus arabo-berbères que l’Emir s’était efforcé d’unifier autour d’un Pouvoir central ou « Diwane » institué par l’Emir siégeant au début soit à Mascara soit à Médéa. Titulaire donc de la souveraineté, l’Emir personnifiait juridiquement la Nation définie comme une « grande communauté humaine« , installée sur un même territoire et qui possède une unité historique, linguistique, culturelle et économique.

VIOLATION DU TRAITÉ DE LA TAFNA

Le nouveau gouverneur Valée entreprit une expédition sur Hamza, territoire contesté ; le 28 octobre 1839, une colonne française menée par le duc d’Orléans, fils du roi Louis-Philippe, franchit le défilé des Portes de Fer à Sétif. Suite à cette intrusion sur son territoire, l’Emir dénonça la violation du traité de la Tafna, et le 18 novembre 1839 se décida à proclamer la guerre sainte. 

Il lança alors ses cavaliers sur la zone de colonisation européenne de la Mitidja, provoquant le ralliement des Algériens travaillant au service des colons. Mais une partie de la population algérienne, éprouvée par la répression mais aussi par la sécheresse et le choléra, renonça à la résistance.

L’Emir Abd-el-Kader tint bon face aux épreuves. Il réprima les séditions et massacra comme il convient les tribus qui le lâchaient. Soucieux d’éviter un combat frontal avec les Français, il harcèle ceux-ci et les surprend en misant sur sa mobilité. Parcourant le pays à marches forcées, il n’est jamais là où on le croit. Pour le ravitaillement de ses hommes et de ses chevaux, l’Emir s’assure partout des réserves, des silos et des greniers bien remplis.

1840-1847 – GUERRE TOTALE DE BUGEAUD

Bugeaud fut nommé gouverneur général de l’Algérie le 29 décembre 1840, avec les pleins pouvoirs – le terme d’Algérie était devenu officiel depuis octobre 1838.

Il avait compris qu’on ne pourrait venir à bout d’Abd-el-Kader qu’en lui empruntant ses propres armes, et d’abord la vivacité dans le déplacement et l’exécution. Cette guerre ne devait pas être menée par les armées régulières, trop lourdes et statiques. 

A la mobilité d’Abd-el-Kader, il tenta de répondre par une capacité d’intervention reposant sur la formation de colonnes de 6 à 7.000 hommes, légèrement équipées. Cela nécessita un renforcement considérable des effectifs français, qui dépassèrent 100.000 hommes en 1846.

La guerre totale décrétée, Bugeaud la livra sans pitié ni scrupules, harcelant son ennemi sans relâche, détruisant les silos dissimulés qui servaient de réserve à son adversaire, s’acharnant contre les récoltes, faisant enfumer des populations entières, hommes, femmes et enfants, dans des grottes, assumant explicitement le terme de « barbare » et bravant les critiques de la presse et de l’opposition.

L’HUMANISME DE L’EMIR

MONSEIGNEUR DUPUCH

A la sauvagerie de la guerre totale décrétée par l’armée française, Abd-el-Kader opposait un comportement humaniste qui étonnait ses propres ennemis.

Par exemple, en pleine guerre de conquête, il négocia les échanges de prisonniers avec Mgr Dupuch, évêque d’Alger, dans des conditions qui lui valurent de durables amitiés. Il rédigea un traité à cet effet, bien avant les conventions de Genève !  Ce règlement militaire, interdisant la torture et la mise à mort des captifs ennemis, a été formalisé dans une charte, elle-même approuvée par une large assemblée des chefs et des représentants des structures de l’Etat algérien de l’époque. 

Ce règlement imposait le respect des besoins spirituels des prisonniers en autorisant l’envoi de prêtres dans les camps. Ce décret récompensait pécuniairement tout soldat qui amènerait un prisonnier ennemi sain et sauf quelle que soit sa confession. Plus encore, il menaçait celui qui violerait cette règle de la sanction la plus sévère.

Le comportement chevaleresque, la grandeur morale et l’humanité de l’Emir sont reconnus par ses ennemis. Il institua un règlement humanitaire pour ses prisonniers, dont sa mère s’occupait avec une très grande sollicitude.

Alors que l’Emir Abd-el-Kader faisait preuve de compassion, que dire des exactions de l’armée française à la même époque : populations exterminées, récoltes et habitations brûlées, arbres abattus, animaux massacrés, puits et silos comblés…, avec le dessein de soumettre la population algérienne à la famine.

LA SMALA

La nouvelle tactique de Bugeaud obligea Abd-el-Kader à accroître encore sa mobilité. Dans la Smala de Tagdempt se trouvait  une bibliothèque dotée d’un fonds documentaire très riche, premier édifice réalisé par Abd-el-Kader. Le général Bugeaud détruira cette Smala et brûlera tous les ouvrages contenus dans cette bibliothèque. Tagdempt fut incendiée et pillée et toutes ses villes tombèrent les unes après les autres.

Abd-el-Kader conçut alors une nouvelle Smala, capitale mobile, avec deux objectifs : montrer sa puissance par sa présence massive aux tribus sur leur propre terrain et les habituer à la migration, renouant ainsi avec leur ancienne tradition.

Un ordre implacable régnait dans l’organisation spatiale de cette ville nomade, ce qui garantissait la vitesse de son installation et de son déménagement. Elle était conçue comme une série de cercles emboîtés selon un agencement à la fois militaire et cosmogonique, d’inspiration soufie. 

Elle permettait de mettre à l’abri les familles des combattants et les blessés pendant que les cavaliers allaient très loin combattre les Français, mais aussi les membres et les biens des tribus qui se plaçaient sous la protection de l’Emir. Cela explique le très grand nombre d’occupants, ordinairement entre 20 et 30.000 personnes, mais qui a pu atteindre 60.000, selon Abd-el-Kader lui-même. La Smala est essentiellement peuplée de femmes, d’enfants et de serviteurs.

Le 16 mai 1843, après une traque de plusieurs jours et profitant de ce qu’Abd-el-Kader patrouille à quelque distance avec ses hommes, le duc d’Aumale, cinquième fils du roi Louis-Philippe, à la tête de 600 cavaliers, surgit au cœur de la Smala désarmée et s’en empare près du puits de Taguine, au Sud-Ouest de Boghar. Cette prise ne le fut pas par hasard, le duc fut mené par l’un des chefs de tribus hostiles à l’Emir, l’Agha Ahmed Ben Ferhat, qui vint informer le prince de la présence inattendue de la Smala à cette même source et de l’absence d’Abdelkader qui était parti en patrouille à quelque distance avec ses hommes.

LE PUITS DE TAGUINE

LE DUC D’AUMALE

Le butin est énorme, incluant les manuscrits de l’Emir. Il s’empara de sa tente, fit prisonniers nombre de ses parents, dispersa ses manuscrits et pilla ses trésors. Le massacre fut inévitable malgré la résistance des Hachem grâce à qui la mère, la femme et les enfants d’Abdelkader parvinrent toutefois à échapper au carnage avec d’autres personnes.

LE CARNAGE DE LA SMALA

L’ISOLEMENT ET L’ABANDON DE SOUTIEN

Bugeaud, devenu Maréchal de France, afin de mieux isoler l’Emir qui, harcelé, se réfugia au Maroc avec son dernier carré de fidèles, décida de neutraliser le sultan du Maroc, afin qu’il retire son appui à l’Emir. Le traité de Tanger, signé le 10 septembre 1844 après la victoire des Français sur les Marocains à la bataille d’Isly, porta un coup très dur à Abd-el-Kader, mis hors la loi par son ancien protecteur.

En effet, il y aura un recul des forces de l’Emir notamment après la perte de ses bases arrières au Maroc, et après que le sultan marocain eut resserré l’étau autour de lui, prétextant son engagement à respecter les termes du traité de Tanger et ordonné à ses troupes de pourchasser l’Emir et ses partisans, y compris les tribus qui s’étaient réfugiées au Maroc pour fuir la répression de l’armée d’occupation.

Le changement intervenu dans le rapport de forces sur les plans interne et régional a eu des conséquences négatives sur le cours de la résistance de l’Emir. Il n’était pas seulement contraint de lutter contre les Français mais de se préoccuper également de ceux qui avaient une vision à court terme ; sans parler des drames qui se succédèrent notamment après que les Français eurent adopté la politique de la terre brûlée.

Désavoué par le gouvernement au sujet de la campagne qu’il avait entreprise sans autorisation en Kabylie (Bugeaud avait commencé à créer des villages comme en France avec ceux qu’il appelait les soldats-laboureurs), le maréchal sera destitué et remettra sa démission avant d’être rappelé en France, le 5 juin 1847, alors qu’il avait tant rêvé de vaincre et de capturer l’Emir.

Le duc d’Aumale lui succéda comme gouverneur de l’Algérie et fut chargé de poursuivre la lutte. La fin de l’aide marocaine coûtait beaucoup à Abd-el-Kader. Le sultan Abd-er-Rahman était désormais un instrument aux mains des Français.

Devant la poussée d’un ennemi disposant de moyens colossaux, l’Emir concède Médéa, Tagdempt, Saïda et Tlemcen et, malgré quelques percées dans la Mitidja, et le Chlef, il recule vers le Dahra. Il reprend cependant l’offensive dans l’Ouarsenis, en Kabylie et dans le Sud (Djebel Amour), contrecarré dans ses projets par le Sultan du Maroc qui lance contre lui ses troupes.

Bien qu’affaibli par le retrait de confiance de quelques tribus, Abd-el-Kader gagnera quand même la bataille du Djebel Kerkour et de Sidi Brahim en septembre 1845 lors de laquelle il combattit et vainquit les troupes du Lieutenant-colonel de Montagnac. 

LE LIEUTENANT-COLONEL DE MONTAGNAC
LE LIEU-DIT LE PALMIER

Mais durant les dernières années de résistance, la plupart des tribus engagées dans le combat furent pratiquement massacrées. C’est ainsi qu’acculé, il demandera la cessation des combats à ses conditions et rencontrera le 23 décembre 1847, au lieudit le Palmier, le général Cavaignac et au colonel Cousin Montauban. Puis un peu plus tard, il remit son sabre au général de Lamoricière et offrit a jument au duc d’Aumale, qui le reçut à Djemâa-Ghazaouet où il passa sa dernière nuit.

LE GENERAL LAMORICIERE

Le général Lamoricière reçut l’épée de l’Emir contre la promesse formelle qu’il serait conduit avec sa suite soit à Alexandrie, soit à Saint-Jean d’Acre. Le duc d’Aumale avait confirmé la parole du général. 

Abdelkader, qui était un homme de foi, un guerrier lucide, un combattant hors pair et un fin stratège, avait compris qu’il était arrivé à la limite de ses forces et de sa capacité à combattre un ennemi devenu bien trop puissant.

Après avoir consulté les ulémas, il avait donc décidé de renoncer à une guerre qui devenait de plus en plus meurtrière et de plus en plus nocive. Il avait abandonné le combat sous certaines conditions. Mais on lui répondit en le mettant en prison. Il s’ensuivit juste après sa reddition, désolation, razzias de toutes sortes, enfumades et exterminations.

Il ne faut pas perdre de vue qu’en 16 ans de guerre, l’Emir a eu à affronter 5 princes, plus de 140 généraux et 16 ministres de la Guerre. Sans oublier les 18 colonnes infernales du général Pellissier, instigateur de l’enfumade des grottes du Daha où périrent des milliers de morts civils et militaires. Pour le récompenser, le général Bugeaud le nomma général de brigade puis général de division. Malgré toutes les atrocités qu’il avait commises, il termina Maréchal de France. Rien que ça !

C’est ainsi que les espoirs de l’Emir furent déçus et, comme pour les autres traités qu’ils avaient signés, les Français ne respectèrent pas non plus leurs engagements. Abd-el-Kader aurait plutôt souhaité mourir au champ d’honneur que de subir ce sort infâme et indigne et exprima ses regrets par ces mots : « Si nous avions su que les choses se dérouleraient ainsi, nous aurions poursuivi le combat jusqu’à la mort« .

CHATEAU D’AMBOISE

Avant de terminer, je voudrais dire un mot sur la mère de l’Emir, Lalla Zohra, une femme admirable et exceptionnelle. L’Emir a beaucoup appris de sa mère qui, avec amour et tendresse, a joué un rôle prépondérant dans sa vie. Elle fut sa conseillère et son inspiratrice. Femme très instruite et religieuse, elle donnera à ses enfants une instruction des plus poussées, et particulièrement à Abdelkader qui était très attentif à ses conseils et lui soumettait ses soucis et ses angoisses.

Pour conclure, comme au début, je terminerai par une citation de Bruno Etienne : «L’émir Abd el-Kader, al-Insan al-kamil, l’homme accompli (de son vrai nom Abd al-Qadir Ibn Muhy al-Din al-Hassani al-Jazaïri), héros positif, résistant, créateur de l’Etat algérien, fin politique, cavalier exceptionnel, homme de lettres et poète, humaniste avant la lettre, savant musulman tolérant, homme moderne et parfait dans sa voie traditionnelle, initiateur du dialogue islamo-chrétien, montre le chemin de la réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée. »

Bibliographie : 

Abdelkader – Isthme des isthmes (Barzakh al-Barazikh) de Bruno Etienne 

La Vie d’Abd el Kader – Charles-Henry Churchill 

ABD-EL-KADER, sa vie politique et militaire – Alexandre Bellemare

TRAITE SIGNE ENTRE ABDELKADER ET DESMICHELS LE 26 FEVRIER 1834.

Article 1 – A dater de ce jour, les hostilités entre les Arabes et les Français cesseront. Le Général commandant les troupes françaises et l’Emir ne négligeront rien pour faire régner l’union et l’amitié qui doivent exister entre deux peuples que Dieu à destinés à vivre sous la même domination, et, à cet effet, des représentants de l’Emir résideront à Oran, Mostaganem et Arzew ; de même que pour prévenir toute collusion entre les Français et les Arabes, des officiers français résideront à Mascara. Article 2 – La religion et les usages musulmans seront respectés et protégés. Article 3 – Les prisonniers seront immédiatement rendus de part et d’autre. Article 4 – La liberté du commerce sera pleine et entière. Article 5 – Les militaires de l’armée françaises qui abandonnent leurs drapeaux seront ramenés par les Arabes ; de même les malfaiteurs arabes, qui, pour se soustraire à un châtiment mérité, fuiraient leurs tribus et viendraient chercher refuge auprès des Français seront immédiatement remis aux représentants de l’Emir résidant dans les trois villes maritimes occupées par les Français. Article 6 – Tout Européen qui serait dans le cas de voyager dans l’intérieur sera muni d’un passeport visé par le représentant de l’Emir à Oran et approuvé par le Général Commandant. Fait en double expédition à Oran le 26 février 1834.Le Général Commandant, Baron Desmichels. Au-dessous de la colonne contenant le texte Arabe se trouve le cachet d’Abd-el-Kader.

ARTICLES SECRETS NON COMMUNIQUES AU ROI DE FRANCE

Article 1 – Les Arabes auront la possibilité de vendre et d’acheter de la poudre, des armes, du soufre, enfin tout ce qui concerne la guerre. Article 2 – Le commerce de la Mersa (Arzew) sera sous le gouvernement du Prince des croyants, comme par le passé, et pour toutes les affaires. Les cargaisons ne se feront pas autre part que dans ce port. Quant à Mostaganem et à Oran, ils ne recevront que les marchandises nécessaires au besoin de ses habitants, et personne ne pourra s’y opposer. Ceux qui désirent charger des marchandises devront se rendre à la Mersa. Article 3 – Le Général nous rendra tous les déserteurs et les fera enchaîner. Il ne recevra pas non plus les criminels. Le Général commandant à Alger n’aura pas de pouvoir sur les musulmans qui viendront près de lui avec le consentement de leurs chefs. Article 4 – On ne pourra empêcher un musulman de retourner chez lui quand il le voudra.

TRAITE DE LA TAFNA – 30 MAI 1837

Le traité qui suit a été convenu, entre le lieutenant-général Bugeaud et l’Emir Abd el Kader.

Article 1: L’Emir Abd el Kader reconnaît la souveraineté de la France.

Article 2:  La France se réserve, dans la province d’Oran, Mostaganem, Mazagran, et leurs territoires, Oran Arzew, et un territoire, limité comme suit : A l’Est par la rivière Macta, et les marais dont elle sort ; au Sud, par une ligne partant des marais précités, passant par les rives sud du lac, et se prolongeant jusqu’à l’oued Maleh dans la direction de Sidi Saïd ; et de cette rivière jusqu’à la mer, appartiendra aux Français. 

Dans la province d’Alger, Alger, le Sahel, la plaine de la Mitidja – limités à l’Est par l’oued Khadra, en aval ; au Sud par la crête de la première chaîne du petit Atlas, jusqu’à la Chiffa jusqu’au saillant de Mazagran, et de là par une ligne directe jusqu’à la mer, y compris Coleah et son territoire – seront français. 

Article 3: L’Emir aura l’administration de la province d’Oran, de celle du Titteri, et de cette partie de la province d’Alger qui n’est pas comprise, à l’Est, à l’intérieur des limites indiquées par l’article 2. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la régence. 

Article 4: L’Emir n’aura aucune autorité sur les Musulmans qui désirent résider sur le territoire réservé à la France ; mais ceux-ci seront libres d’aller résider sur le territoire sous l’administration de l’Emir ; de la même façon, les habitants vivant sous l’administration de l’Emir pourront s’établir sur le territoire français.

Article 5: Les Arabes habitant sur le territoire français jouiront du libre exercice de leur religion. Ils pourront construire des mosquées, et accomplir leurs devoirs religieux en tous points, sous l’autorité de leurs chefs spirituels.

Article 6: L’Emir livrera à l’armée française 30.000 mesures de blés, 30.000 mesures d’orge et 5.000 bœufs.

Article 7: L’Emir aura la faculté d’acheter en France, la poudre, le souffre, et les armes qu’il demandera.

Article 8: Les Kolouglis désirant rester à Tlemcen, ou ailleurs, y auront la libre possession de leurs propriétés, et seront traités comme des citoyens. Ceux qui désirent se retirer dans le territoire français, pourront vendre ou louer librement leurs propriétés. 

Article 9: La France cède à l’Emir, Rachgoun, Tlemcen, sa citadelle, et tous les canons qui s’y trouvaient primitivement. L’Emir s’engage à convoyer jusqu’à Oran tous les bagages, aussi bien que les munitions de guerre, appartenant à la garnison de Tlemcen.

Article 10: Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français. Ils pourront réciproquement aller s’établir sur chacun de leurs territoires. 

Article 11: Les Français seront respectés parmi les Arabes, comme les Arabes parmi les Français. Les fermes et les propriétés que les français ont acquises, ou pourront acquérir, sur le territoire Arabe, leur seront garanties : ils en jouiront librement, et l’Emir s’engage à les indemniser pour tous les dommages que les Arabes pourront leur causer.

Article 12: Les criminels, sur les deux territoires, seront réciproquement livrés.

Article 13: L’Emir s’engage à ne remettre aucun point de la côte à aucune puissance étrangère, quelle qu’elle soit, sans l’autorisation de la France.

Article 14: Le commerce de la Régence ne passera que par les ports français.

Article 15: La France maintiendra des agents auprès de l’Emir, et dans les villes sous sa juridiction, pour servir d’intermédiaires aux sujets français, dans tous les différends commerciaux qu’ils pourront avoir avec les Arabes. L’Emir aura le même privilège dans les villes et ports français. La Tafna, le 30 mai 1837, 

Le Lieutenant-Général commandant à Oran

(Le sceau de l’Emir sous le texte arabe,

Le sceau du général Bugeaud sous le texte français) 


الجينرال الحاكم جيوش الڢرنصيص في بلاد وهران وأمير المومنين السيد الحاج عبد الفادر بن محي الدين رضيوا ڢي الشروط الاتيه ادناه

شرط اول
من اليوم وصاعدا يبطل الطراد بين الڢرنصيص والعرب.
الجنيرال حاكم جيوش الڢرنصيص وامير المومنين عبد الفادر
كل واحد من ناحيته يعمل جهده لكى تحصل المودة والعهد الذى يلزم
ان تكون بين شعبين اللذين مقدر عليهم من عند الله ان يميشوا تحت
حكم واحد. ولاجل هذا امير المومنين لازم يرسل من عنده ثلاثة
فناصل واحد لوهران واحد لارزيو وواحد لمستغانم. والجينرال كذلك
يرسل من عنده فناصل لمعسكر بيش ما يكون النزاع بين الڢرنصيص والعرب

TRAITÉ DE DÉLIMITATION CONCLU LE 18 MARS 1845 ENTRE LA FRANCE ET LE MAROC

Louanges à Dieu l’unique ! Il n’y a de durable que le royaume de Dieu ! 

Traité conclu entre les Plénipotentiaires de l’Empereur des Français et des possessions de l’Empire d’Algérie et de l’Empereur du Maroc, de Suez et Fez et des possessions de l’Empire d’Occident. 

Les deux Empereurs, animés d’un égal désir de consolider la paix heureusement rétablie entre eux, et voulant, pour cela, régler de manière définitive l’exécution de l’article 5 du Traité du 10 septembre de l’an de grâce 1844 (24 cha’ban de l’an 1260 de l’hégire) ont nommé pour leurs Commissaires Plénipotentiaires à l’effet de procéder à la fixation exacte et définitive de la limite de souveraineté entre les deux pays, savoir: 

L’Empereur des Français, le sieur Aristide-Isidore, comte de la Rue, Maréchal de camp dans ses armées, commandeur de l’Ordre Impérial de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre d’Isabelle la Catholique et chevalier de deuxième classe de l’ordre de Saint Ferdinand d’Espagne. 

L’Empereur du Maroc, le Sid Ahmida-Ben-Ali-el-Sudjâaï, gouverneur d’une des provinces de l’Empire. 

Lesquels, après s’être réciproquement communiqués leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants dans le but du mutuel avantage des deux pays et d’ajouter aux liens d’amitié qui les unissent : 

Art. 1. Les deux Plénipotentiaires sont convenus que les limites qui existaient autrefois entre le Maroc et la Turquie resteront les mêmes entre l’Algérie et le Maroc. Aucun des deux Empires ne dépassera la limite de l’autre; aucun d’eux n’élèvera à l’avenir de nouvelles constructions sur le tracé de la limite ; elle ne sera pas désignée par des pierres. Elle restera, en un mot, telle qu’elle existait entre les deux pays avant la conquête de l’Empire d’Algérie par les Français. 

Art. 2. – Les Plénipotentiaires ont tracé la limite au moyen des lieux par lesquels elle passe et touchant lesquels ils sont tombés d’accord, en sorte que cette limite est devenue aussi claire et aussi évidente que le serait une ligne tracée. Ce qui est à l’Est de cette limite appartient à l’Algérie- Tout ce qui est à l’ouest appartient au Maroc.

Art. 3. – La désignation du commencement de la limite et des lieux par lesquels elle passe est ainsi qu’il suit : Cette ligne commence à l’embouchure de l’oued (c’est à-dire cours d’eau) Adjeroud dans la mer, elle remonte avec ce cours d’eau jusqu’au gué où il prend le nom de Kiss ; puis elle remonte encore le même cours d’eau jusqu’à la source qui est nommée Ras-el-Aïoun, et qui se retrouve au pied de trois collines portant le nom de Menasseb-Kis, lesquelles, par leur situation à l’ouest de l’oued, appartiennent à l’Algérie. 

De Ras-el Aïoun, cette même ligne remonte sur la crête des montagnes avoisinantes jusqu’à ce qu’elle arrive à Drâ-el-Doum ; puis elle descend dans la plaine nommée El-Aoudj. De là, elle se dirige à peu près en ligne droite sur Haouch-Sidi-Aïèd. Toutefois, le Haouch lui-même reste à cinq cents coudées (250 mètres) environ, du côté de l’Est, dans la limite algérienne. 

De Haouch-Sidi Aïèd, elle va sur Djerf-el-Baroud, situé sur l’oued Bou-Naïm ; de là elle arrive à Kerkour-Sidi-Hamza ; de Kerkour-Sidi-Hamza à Zoudj-el-Beghal ; puis longeant à l’Est le pays des Ouled-Ali-ben-Talha jusqu’à Sidi-Zahir, qui est sur le territoire algérien, elle remonte la grande route jusqu’à Aïn-Takbalet, qui se trouve entre l’oued Bou-Erda et les deux oliviers nommés el-Toumiet qui sont sur le territoire marocain. 

De Aïn-Tak-balet, elle remonte avec l’oued Roubban jusqu’à Ras-Asfour ; elle suit au-delà le Kef en laissant à l’Est le marabout Sidi-Abd-Allah-Ben-Mohammed el-Hamlili ; puis, après s’être dirigée vers l’ouest, en suivant le col de El-Mechêmiche, elle va en ligne droite jusqu’au marabout de Sidi-Aïssa, qui est la fin de la plaine de Missiouin. Ce marabout et ses dépendances sont sur le territoire algérien. 

De là, elle court vers le Sud, jusqu’à Koudiet-el-Debbagh, colline située sur la limite extrême du Tell (c’est-à-dire le pays cultivé). De là, elle prend la direction Sud jusqu’à Kheneg-el-Hada, d’où elle marche sur Tenïet-el-Sassi, col dont la jouissance appartient aux deux Empires. 

Pour établir plus nettement la délimitation à partir de la mer jusqu’au commencement du désert, il ne faut point omettre de faire mention et du terrain qui touche immédiatement à l’Est la ligne sus-désignée, et du nom des tribus qui y sont établies. 

A partir de la mer, les premiers territoires et tribus sont ceux de Beni-Mengouche-Tahta et de Aâttïa. Ces deux tribus se composent de sujets marocains qui sont venus habiter sur le territoire de l’Algérie, par suite de graves dissentiments soulevés entre eux et leurs frères du Maroc. Ils s’en séparèrent à la suite de ces dissensions et vinrent chercher un refuge sur la terre qu’ils occupent aujourd’hui et dont ils n’ont pas cessé jusqu’à présent d’obtenir la jouissance du souverain de l’Algérie, moyennant une rente annuelle. 

Mais les commissaires plénipotentiaires de l’Empereur des Français, voulant donner au représentant de l’Empereur du Maroc une preuve de la générosité française et des dispositions à resserrer l’amitié et à entretenir les bonnes relations entre les deux Etats, ont consenti au représentant marocain, à titre de don d’hospitalité, la remise de cette redevance annuelle (cinq cents francs pour chacune des deux tribus), de sorte que les deux tribus susnommées n’auront rien à payer, à aucun titre que ce soit, au Gouvernement d’Alger, tant que la paix et la bonne intelligence dureront entre les deux Empereurs des Français et du Maroc.

Après le territoire des Aattia vient celui de Messirda, des Achâche, des Ouled-Mellouk, des Beni-Bou-Saïd, des Beni-Senous et des Ouled-el-Nahr. Ces six dernières tribus font partie de celles qui sont sous la dénomination de l’Empire d’Alger. 

II est également nécessaire de mentionner le territoire qui touche immédiatement à l’Ouest la ligne sus-désignée, et de nommer les tribus qui habitent sur ce territoire, à portée de la mer. Le premier territoire et les premières tribus sont ceux des Ouled-Mansour-Rel-Trifa, ceux des Beni-Iznéssen, des Mezaouir, des Ouled-Ahmed-ben-Brahim, des Ouled-el-Abbès, des Ouled-Ali-ben-Talha, des Ouled-Azouz, des Beni-Bou_Hamdoun, des Beni-Hamlil et des Beni-Mathar-Rel-Ras-el-Aïn. Toutes ces tribus dépendent de l’Empire du Maroc. 

Art. 4. – Dans le Sahara (désert), il n’y a pas de limite territoriale à établir entre les deux pays, puisque la terre ne se laboure pas et qu’elle sert seulement de pacage aux Arabes des deux Empires qui viennent y camper pour y trouver les pâturages et les eaux qui leur sont nécessaires. Les deux souverains exerceront de la manière qu’ils l’entendront toute la plénitude de leurs droits sur leurs sujets respectifs dans le Sahara. Et, toutefois, si l’un des deux souverains avait à procéder contre ses sujets, au moment où ces derniers seraient mêlés avec ceux de l’autre Etat, il procédera comme il l’entendra sur les siens, mais il s’abstiendra envers les sujets de l’autre gouvernement.

Ceux des Arabes qui dépendent de l’Empire du Maroc, sont : les M’béïa, les Beni Guil, les Hamian-Djenba, les Eumour-Sahara et les Ouled-Sidi-Cheikh-el-Gharaba.

Ceux des Arabes qui dépendent de l’Algérie sont : les Ouled-Sidi-el-Cheikh-el Cheraga, et tous les Hamian, excepté les Hamian-Djenba-susnommés.

Art.5.- Cet article est relatif à la désignation des kessours (villages du désert) des deux Empires. Les deux souverains suivront, à ce sujet l’ancienne coutume établie par le temps, et accorderont, par considération l’un pour l’autre, égards et bienveillance aux habitants de ces kessours. 

Les kessours qui appartiennent au Maroc sont ceux de Yiche et de Figuigue. 
Les kessours qui appartiennent à l’Algérie sont : Aïn-Safra, S’fissifa. Assla, Tiout, Chellala, El-Abiad et Bou-Semghoune. 

Art. 6.- Quant au pays qui est au sud des kessours des deux gouvernements, comme il n’y a pas d’eau, qu’il est inhabitable et que c’est le désert proprement dit, la délimitation en serait superflue.

Art. 7. – Tout individu qui se réfugiera d’un Etat dans l’autre ne sera pas rendu au gouvernement qu’il aura quitté par celui auprès duquel il se sera réfugié, tant qu’il voudra y rester. 

S’il voulait, au contraire, retourner sur le territoire de son gouvernement, les autorités du lieu où il se sera réfugié ne pourront apporter la moindre entrave à son départ. S’il veut rester, il se conformera aux lois du pays, et il trouvera protection et garantie pour sa personne et ses biens. Par cette clause les deux souverains ont voulu se donner une marque de leur mutuelle considération. Il est bien entendu que le présent article ne concerne en rien les tribus, l’Empire auquel elles appartiennent étant suffisamment établi dans les articles qui précèdent. 

Il est notoire aussi que El-Hadj-Abd-el-Kader et tous ses partisans ne jouiront pas du bénéfice de cette Convention, attendu que ce serait porter atteinte à l’article 4 du traité du 10 septembre de l’an 1844, tandis que l’intention formelle des hautes parties contractantes est de continuer à donner force et vigueur à cette stipulation émanée de la volonté des deux souverains, et dont l’accomplissement affirmera l’amitié et assurera pour toujours la paix et les bons rapports entre les deux Etats. 

Le présent traité, dressé en deux exemplaires, sera soumis à la ratification et au scelle des deux Empereurs, pour être ensuite fidèlement exécuté. 

L’échange de ratification aura lieu à Tanger, sitôt que faire se pourra.

En foi de quoi, les Commissaires Plénipotentiaires susnommés ont apposé au bas de chacun des exemplaires leurs signatures et leurs cachets. 

Fait sur le territoire français voisin des limites, le 18 mars 1845 (9 de rabï’-el-ouel, 1260 de l’hégire). Puisse Dieu améliorer cet état des choses dans le présent et dans le futur ! 

Le général Comte De La Rue 

Ahmida-Ben-Ali

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