PREAMBULE

Raconter l’histoire de Nemours est presque une gageure, mais c’est un défi que je me suis lancée. En effet, juste se contenter de regarder les cartes postales les unes après les autres devient lassant à la longue, mais raconter une histoire qui se rattache à ces cartes, voilà qui serait intéressant. Alors, voilà l’histoire de Nemours à travers ses cartes postales et parfois ses photos anciennes. Mon souhait est qu’elle vous plaise et peut-être vous découvrirez des choses que vous ignoriez. 

Quelques petites précisions toutefois avant de commencer.

On a toujours dit que Nemours a été romaine, du fait de l’appellation Ad Fratres donnée aux deux rochers qui gardent l’entrée du port depuis des temps immémoriaux. Il n’en est rien, aucune trace ni aucun vestige ne venant étayer cette assertion, à l’encontre de Siga ou Honaïne où l’ont voit réellement des traces des présences romaines et phéniciennes.

Taount est le nom du petit village berbère qui se trouvait sur la falaise Est et qui a été détruit le 23 octobre 1845 par Bugeaud après sa cuisante défaite à Sidi Brahim par l’Emir Abdelkader. 

Djemmâa-Ghazaouât : appellation donnée au village de Taount au 15ème siècle lorsque les Turcs, qui tenaient Tlemcen, envahirent la petite cité et en firent un nid de forbans et de naufrageurs. 

On l’appelle aussi Lalla Ghazwana, du nom d’une sultane berbère qui y aurait vécu et qui se serait opposée aux Turcs qui se sont installés par la force dans la petite bourgade.

Nemours est née en 1845 seulement lorsque le roi des Français Louis-Philippe fit donner le nom de Nemours, en l’honneur de son deuxième fils, son autre fils le duc d’Aumale étant gouverneur d’Algérie. Jusqu’à cette date, par commodité, les militaires l’appelaient Djemmâa-Ghazaouât, qu’ils abandonnèrent ensuite pour Nemours.

Ce fut sous l’égide de Lamoricière que les fondations de la ville débutèrent, puis devant reprendre le commandant à Oran du fait de la démission de Bugeaud, il en laissa les instructions au lieutenant-colonel de Montagnac. Qui mourut le 23 septembre 1845 au Djebel Kerkour lors de la fameuse bataille de Sidi Brahim. La ville qui était sous domination militaire passa au statut de ville civile et ce fut M. Verdet qui devint le premier maire de Nemours, suivi de M. Bollard et ensuite de M. Clément Dréveton qui fut un grand bâtisseur. Et c’est sous ses auspices, en 1881-1882, que la ville de Nemours a vu s’élever la plupart de ses édifices : l’Hôtel de Ville, l’école des filles, l’école maternelle, la prison, le pont métallique sur l’oued, près du jardin public. La première maison militaire fut celle du lieutenant-colonel de Montagnac et la première maison civile celle de M. Dréveton (devenue plus tard Villa Falcone) (voir la biographie des Maires de Nemours, chacun ayant apporté sa contribution à l’agrandissement et à l’embellissement de la ville). S’il ne fut que le troisième maire, il fut cependant l’un des premiers, sinon le premier habitant civil de Nemours.

Ghazaouet. Ainsi fut nommée la ville, à l’indépendance, tout en l’amputant de son premier mot Djemmâa. Il aurait été plus logique de la nommer plutôt Ghazawet, puisque venant de ghazwa qui pouvait s’apparenter au pillage et aux expéditions guerrières des Turcs. 

En définitive, la ville n’a eu que deux noms en tout et pour tout. Nemours jusqu’en 1962 et Ghazaouet après cette date, Djemmâa-Ghazaouât ayant été donné à Taount et Ad Fratres désignant simplement les deux rochers à l’entrée du port.

Tout comme d’autres points sur la côte d’Algérie, ce nom d’Ad Fratres a été donné pour les besoins de la navigation afin que les hommes qui arrivaient par la mer puissent les points de la côte qui leur étaient accessibles et où ils pouvaient jeter l’ancre en toute sécurité.

Voici quelques exemples désignant des ports de la côte :

  • Ad Septem Fratres : près des Sept frères (le mont aux singes du côté de Tanger)
  • Ad Sex Insulas : près des Six Iles (la baie d’El Hucema au Maroc)
  • Ad Tres Insulas : près des trois îles (les Iles Zaffarines)
  • Gypsaria : la carrière de Gypse (Honaïne)
  • Mont Quadratus : la montagne carrée (Tajra près de Honaïne)
  • Salsum Flumen : la rivière salée (Rio Salado, Oued El-Maleh)

Et maintenant, il est temps de découvrir Nemours à travers ses cartes postales.

****************

*******

PREFACE DE LA MONOGRAPHIE DJEMMÂA-GHAZAOUÂT DE M. FRANCIS LLABADOR

« A quoi bon faire des livres pour cette petite terre qui n’es pas plus grande qu’un point ? » a écrit, quelque part, Montesquieu. Cette phrase, désabusée et pessimiste, n’a pas arrêté M. Francis Llabador. Il a mis dans l’ouvrage qu’il nous présente non pas seulement ses qualités de chercheur patient et heureux, mis encore tout son amour du coin natal

Pour qui le connaît comme je le connais, rien de ce que touche à Nemours ne le laisse indifférent.

Il a voulu nous présenter en naturaliste et en historien, les beautés d’une région d’Algérie qui possède un port splendide, mais où on n’accède que peu commodément par les voies terrestres. Et, seul un enfant du pays, fixé depuis de longues années dans la petite ville, qui y a consacré toute son activité scientifique, pouvait nous donner un tel ensemble, fruit de nombreuses recherches dans la Nature et dans les papiers poussiéreux des bibliothèques ou des archives.

Djemmâa-Ghazaouât, devenu Nemours en 1846, l’ancienne Ad Fratres de l’Itinéraire d’Antonin, méritait une étude sérieuse.

Sa magnifique baie, les hauteurs qui la dominent, sa pittoresque Vallée des Jardins doivent être connues. Les voyageurs n’aiment guère à parcourir la route en impasse qui y conduit, et cet endroit charmant d’Oranie reste assez ignoré. L’inventaire de la Flore et de la Faune a réservé des surprises. Son histoire est liée à des faits militaires célèbres de la Conquête de l’Algérie. Et puis, il y a la mer, poissonneuse, aux ressources immenses.

Nemours a connu dans ces dernières années des moments d’espoir et de grandeur. La Maroc a transité par ce port ses productions à destination de la Métropole. On A pu croire à un grand devenir et puis, tout s’est estompé avec des évènements nouveaux Le calme est revenu sur des quais autrefois encombrés. Cela n’aurait-il été qu’un rêve ? La prospérité reparaîtra-t-elle demain ? M. Llabador le croît et l’espère en fervent e sa petite province. L’avenir nous dira s’il a eu raison. 

Quoi qu’il en soit, son mérite aura été de nous montrer l’évolution de cet ancien repaire de pirates barbaresques et de nous avoir fait connaître les richesses et les possibilités.

Son travail aura ouvert la voie, non seulement aux chercheurs, mais aussi aux réalisateurs.

Docteur R. DIEUZIDE

************************

***************

INTRODUCTION

C’est avec une joie profonde que nous avons entrepris cette monographie de Nemours, notre ville natale, qui fut aussi le berceau de nos pères. Toutefois, notre enfance reste accrochée comme flocons de laine, aux buissons, à ses maisonnettes blanches et roses, à son humble clocher dressé contre un ciel d’aquarelle fraîche, à ses falaises fauves peuplées de pigeons sauvages, à ses vieilles pierres chaudes et dorées qui écorchaient nos genoux, mais si accueillants, le soir quand nous voulions assister à la sortie de la flottille multicolore, glissant sur l’eau moirée dans la féérie du soleil couchant.

Jours enchantés passés à l’ombre des « lamparos » à voiles et à rames parmi les rudes pêcheurs napolitains venus pour la saison de la sardine. Nous étions les spectateurs amusés de leurs discussions bruyantes qui s’achevaient en rires et en chansons.

Nous nous laissions bercer par les airs du folklore napolitain. Nous les écoutions, les yeux fixés sur les naïves effigies des Saints, hissées o l’extrémité du mâter eau ou sur les scènes religieuses, inspirées de la « Légende dorée » et peintes de couleurs vives qui décoraient l’évidement de la proue. L’air sentait fort la marée ; des écailles luisaient aux mailles des lourds filets.

La nuit venue, les éclats blancs du phare, ange gardien de la côte, striaient d’argent la petite baie où se balançaient mollement les longues barques de pêche.

Souvenirs de jours riants passés sans soucis, dans la quiétude et la sérénité.

« Là mon cœur en tout lieu se retrouve lui-même ;

« Tout s’y souvient de moi, tout m’y connaît, tout m’aime.

« Mon œil trouve un ami dans tout cet horizon,

« Chaque arbre a son histoire et chaque pierre un nom »

Lamartine, Milly ou la Terre natale

A ceux qui souriraient d’un tel attendrissement sur un humble coin de terre, nous dirons que nous ne connaissons rien de plus noble que cet amour de la petite patrie où s’enracine l’amour que nous portons, devenu hommes, à la grande patrie.

Il ne s’accompagne jamais du long cortège d’illusions vaines, d’espoirs déçus, de regrets stériles, inhérents à toutes aventure sentimentales.

Francis Llabador

*********************

************

PERIODE PREHISTORIQUE

Les abords immédiats et les environs de la ville de Nemours ont été, dès la plus haute antiquité habités par les hommes de l’âge de la pierre.

La voie des recherches préhistoriques a été ouverte par M. Paul Pallary qui, en 1899, découvrit quelques silex taillés, dans les dunes de la pointe Ouest de la baie du Phare, et dans la vallée de l’oued Ghazouanah, sur la rive droite, en amont du « Tombeau des Braves ».

Vingt-six ans plus tard, le regretté F. Doumergue, qui A enrichi la préhistoire de l’Oranie de ses trouvailles et de ses publications explora également la région et publia le résultat de ses recherches dans les environs de Nemours (voir Bull. Soc.de Géographie et d’archéologie d’Oran, tome XLV, p. 278). Il A décrit soigneusement les restes du foyer littoral de Taount, situé à l’Est de la ville, dans la vallée de l’oued El Ayadna, sur la route de Sidna-Yûcha, à 100 mètres au-delà du cimetière israélite.

Dans ce foyer, M. Doumergue n’a recueilli que deux éclat de silex, dont un fragment de large lame retouchée et présentant, à l’extrémité, deux encoches bien marquées, ainsi que deux petits éclats, en calcaire, à bords tranchants et un gros outil, en grès quartziteux, à face inférieure plane, la supérieure étant fortement carénée.

QUARTZITE

L’auteur signale en outre, la découverte de débris d’ossements de mouflon, bœuf (bos ibericus), ouach, ovis, porc-épic ; de nombreuses hélices, coquilles marines et des fragments d’os polis, de poterie, d’œuf d’autruche, des pendeloques. M. Doumergue conclut ainsi : « cette station est un foyer littoral néolithique constitué par quelques pauvre famille mal outillée ».

Aux abords du sentier forestier qui va, de la route, au cap Torsa, le même auteur A trouvé une hache piquetée. A signaler aussi les grottes de la route de Nédroma, des Oulâd Ziri, de l’oued Abdallah au S.W. du Phare, du Mezoudj et de Taïma dans lesquelles il n’a rien découvert de préhistorique.

En 1927, sur la route de Nédroma à Nemours, à 50 m. avant la borne kilométrique 7, à la hauteur du confluant des oueds Tlata et Taïma, M. Doumergue signala encore l’existence d’un grand foyer en plein air ayant un cachet nettement paléolithique, qu’il baptisa :foyer de Djema shkra(voir Bull. Soc.de Géographie et d’archéologie d’Oran,1927)

Dans cette station, il découvrit de nombreuses hélices, quelques moules et de très rares patelles, une phalange onguéale d’un porcin, un crâne humain à grande circonférence, ouvert et écrasé, un sacrum et deux membres inférieurs.

« Cette station, écrivait-il, est remarquable par l’absence presque absolue de silex dont je n’ai recueilli qu’un bout d’éclat lamelliforme.

« L’industrie lithique n’est guère représentée que par des quartzites d’un vert olivâtre, peu nombreux, en éclats très irréguliers, le plus souvent minces. Le conchoïde de percussion existe chez plusieurs. Quelques-uns ont la forme de points largement elliptiques ou triangulaires à bords tranchants sur tout ou partie de leur pourtour, sans traces d’utilisation. Une seule pièce unie, une sorte de gros et épais racloir de fortune, porte quelques retouches. 

« Je ne connais nulle part un foyer caractérisé par un semblable outillage. »

Les recherches préhistoriques ne devaient pas s’arrêter là. Au mois d’août 1931, Melle Contreras, petite-fille du regretté M. Barbin, découvrit aux alentours de la pointe ouest une ébauche de pointe pédonculée, un petit coup de poing tel que ceux que l’on trouve au début du moustérien et une ébauche de disque. La roche ayant servi à confectionner ces trois pièces est le quartzite, toutefois, celle de l’ébauche de pointe semble avoir subi l’action de la chaleur qui l’a transformée en une sorte de schiste ardoisier.

Quant à nous, au cours de nos excursions dans la région, nous avons eu l’occasion de recueillir quelques pièces sporadiques. C’est ainsi qu’au mois de septembre 1931, nous avons récolté une pierre taillée, dans le terrain sablonneux de l’ancien champ de manœuvres.

« Votre pièce est taillée, mais seulement ébauchée, nous écrivait M. Doumergue à qui nous l’avions soumise. Ce n’est pas un silex, pas même un quartzite. C’est une sorte de calcaire très argileux, noir, très dur. J’ignore l’origine de cette roche qui peut provenir de galets rejetés par la mer. J’ai trouvé un ou deux éclats de même nature, je crois sur la route de Tlemcen, à 2 ou 3 km de Nemours, dans le fossé à gauche, devant les grandes excavations qui s’ouvrent presque au niveau du chemin. Ces éclats m’ont intrigué car, sans être taillés, ils m’ont paru avoir été destinés. »

Enfin, en 1932, nous avons encore recueilli, sur la route de Nédroma, une ébauche de flèche en quartzite gras et une lame de silex dépoli déposé par le sable, ayant un bulbe de percussion visible et, en juillet 1936, au milieu des galets du « premier ravin », un éclat de silex nettement taillé.

Toutes ces pièces, sporadiques, sans intérêt par elles-mêmes, indiquent néanmoins que l’on pourra trouver quelques stations intéressantes.

SILEX

*************************

*************

LES ROMAINS

La baie avant l’installation des Français

Dès la plus haute antiquité, la baie de Nemours avait attirée et fixé l’attention des navigateurs et des envahisseurs qui se sont succédé à différentes époques de l’histoire.

Tous avaient été frappés par sa situation privilégiée de ce lieu et, aussi, par les avantages que lui conféraient sa position géographique et la configuration toute particulière de la baie, qui offrait un abri pour les navires des anciens, à faible tirant d’eau.

Les Phéniciens, dont les traces ont été relevées entre Nemours et Béni-Saf, à Sidi-Samegram, ont sans doute fait escale dans l’antique Nemours, peut-être aussi les Grecs. (Teissier. Notes sur les ruines au lieu-dit « Sidi Samegram ». Revue Africaine, 1927, p. 258, admet que la ville disparue pouvait être d’origine phénicienne ou carthaginoise. D’autre part, M. Monjauze, Inspecteur des Eaux et Forêts, a bien voulu nous signaler, en novembre 1945, que M. Dupuis avait mis à jour des débris de poterie phénicienne en creusant un puits à Tafsout, à l’Est de Nemours, entre Honaïn et Mersa-Agla. Il nous a été possible, par la suite, de nous procurer un spécimen d’une de ces poteries en assez bon état de conservation).

Les « Romains, d’après « l’Itinéraire d’Antonin » qui date, croit-on, du règne de l’empereur Constantin, mort en 337, y avait fondé Ad Fratres, station située sur la grande voie du littoral, à VI milles, c’est-à-dire 9 kilomètres du Poplemum flumen (oued Kouarda) et à XXV milles (37 kilomètres) d’Artisiga (Honaïn). Comme l’a fait remarquer Demaeght, c’est à peu près la distance qui sépare Nemours d’Honaïn, en tenant compte des sinuosités de la route. (Demaeght. Notes géographiques, archéologiques et historiques concernant la partie de la Maurétanie Césarienne correspondant à la province d’Oran, in Bull. Société de géographie et d’Archéologie d’Oran, tome V, fascicule XXVII, 1885)

Cependant, les géographes et les archéologues n’ont pas toujours été d’accord sur l’emplacement de cette station. Il faut attribuer cette incertitude du début à l’absence complète d’inscriptions, de vestiges, de bornes militaires de l’ancienne grande voie du littoral et aussi aux distances souvent inexactes données par « L’Itinéraire », le seul document mentionnant Ad Fratres.

« Que nous importe, écrivait Mac Carthy, que la distance entre Fratres et les points voisins soient inexacts, alors que nous retrouvons encore à leur place et portant le même nom de Frères, les deux rochers auxquels cette station devait son nom ». 

Cette dénomination primitivement donnée à ces deux rochers caractéristiques s’élevant dans la baie, jusqu’à 24 mètres au-dessus des flots, a servi par la suite à désigner la station romaine qui, selon toute probabilité, devait se trouver sur le plateau de Taount, dominant à l’Est la ville actuelle de Nemours. 

En 1885, le commandant Demaeght avait admis lui-même Nemours comme synonyme d’Ad Fratres.

« Cette synonymie ne nous semble pas douteuse, écrivait-il, il n’existe plus aujourd’hui aucun vestige romain à Nemours, mais on aurait découvert autrefois une inscription latine sur le plateau de Taount qui forme la pointe orientale de la baie de Nemours et où l’on voit les ruines d’un château berbère, la Djemâa Ghazaouât des Arabes. Cette inscription n’a pu être trouvée ; elle aura sans doute disparu dans les constructions de la ville avec les autres matériaux antiques ».

Quoi qu’il en soit, Ad Fratres semble avoir été, à tout le moins, un poste militaire de l’ancienne Maurétanie Césarienne, gouvernée par un procurateur impérial (procurator Augusti provinciae Mauretania Caesariensis). Au IVème siècle, ce titre fut remplacé par les praeses provinciae Mauretaniae Ceasariensis vir perfectissimus.

Ce poste était destiné, sans nul doute, à surveiller la contrée et les mouvements des tribus ennemies, à proximité de la Maurétanie Tingitane (Maroc).

Les tribus indigènes, c’est-à-dire, les « gentes » qui peuplaient le territoire d’Ad Fratres, à l’époque de la domination romaine en Afrique, s’appelaient les « Herpiditanes ». Ils demeuraient au pied des Khalkorikii montes (le massif des Trârâ orienté parallèlement au littoral).

NEMOURS AVANT LA CONSTRUCTION DU PORT

Mac Carthy a précisé que les Herpiditanes occupaient tout le pays des Beni-Snassen, le pays des M’Sirda, des Suwâhliya, des Djbâla et des Trârâ.

Quant aux voies de communication, l’Itinéraire d’Antonin nous apprend que la grande voie du littoral, qui partait de la « Malva » (Moulouia) passait par Ad Fratres, Siga (Takembrit), etc., se dirigeant vers Ténès, en suivant de préférence la côte.

Cette voie a fourni de nombreuses bornes militaires, mais malheureusement aucune ne mentionne Ad Fratres qui, d’après Mac Carthy, semble avoir été relié, par une voie, à Lalla-Magnia (Numérus Syrorum) par Nédroma. Mac Carthy A signalé des restes de la ligne des postes qui, à des distances peu éloignées, jalonnaient la première partie de cette route. « Mais, écrivait-il, il n’y a rien de semblable entre Nédroma et la mer, parce que sans doute, la nature plate et très découverte du pays n’exigeait pas qu’on prît de grandes précautions de défense, l’œil embrassant pour ainsi dire sans obstacle l’espace des 16 kilomètres qui s’étend de l’un à l’autre ». (Revue Africaine, I 1856-1857 P. 104)

Ainsi donc, la baie de Nemours a, dès les temps les plus reculés, attiré l’attention des peuples anciens et a été un lieu de mouillage pour les antiques galères romaines à faible tirant d’eau.

« Ce littoral pouvait convenir aux petits navires de l’antiquité, décrivait E. Cat en 1900 ; chaque fois que les Phéniciens, les Carthaginois et les Romains y rencontraient une pointe saillante abritant un petit espace, une baie un peu fermée aux vents, un îlot isolé du rivage et abritant un peu de la mer du large, ils fondaient un petit établissement et la côte fut ainsi parsemée de petits ports et de villages ». (E. Cat. L’Algérie Nouvelle, revue hebdomadaire, n°23, 10 juin 1900, p.348)

************

*******

TAOUNT BOURGADE BERBERE DU MAGHREB CENTRAL

C’est sur la pointe Est de la baie de Nemours, à 130 mètres d’altitude, que s’éleva jadis la bourgade de Taount qui fait l’objet de la présente étude.

Juchée comme l’air d’un aigle sur le plateau de cet escarpement remarquable, la bourgade ruinée est située par 4°11’23 » de longitude Ouest (méridien de Paris) et 35°06’28 » de latitude Nord.

Le djebel Filhaousen (1,136 m), visible par temps clair à plus de 20 lieues marines au large, et le djebel Tâdjra (861 m) ou montagne carrée des Trârâ, constituent, de la pleine mer et de jour, les meilleurs points de repère pour la reconnaissance du mouillage de Djemâa Ghazaouât et partant du promontoire qui nous occupe.

(….) Des manifestations volcaniques intenses, d’âge helvétien inférieur, ont déversé sur cette région de puissantes coulées de basaltes qui recouvrent de vastes étendues. Au Taount, les basaltes forment, au sommet, une gigantesque couronne autour du lias et s’épanchent en falaises jusqu’à la mer.

Indépendamment du système défensif que nous étudierons plus loin, Taount était naturellement défendue, du côté de la mer, par de hautes falaises partout inabordables, présentant un à-pic d’environ 8 mètres de hauteur et, vers la terre, par des pense raides, couvertes d’une maigre végétation de lavandes sauvages et d’arbustes épineux. Elle occupait la totalité du plateau.

C’est dans cet âpre décor dominant la mer bleue, que se déroula l’histoire de cette bourgade berbère du Maghreb Central (Maghrib-el-Aousat).

DE L’ORTHOGRAPHE FRANÇAISE DU NOM DE TAOUNT

Ce nom de Taount, qui servait à désigner primitivement la forteresse matgharienne du Maghrib-el-Aousat, dont nous verrons plus loin l’histoire, se rencontre pour la première dans l’ouvrage du célèbre polygraphe hispano-arabe, Al Bakrî. « Descriptions de l’Afrique septentrionale ».

Le traducteur Mac Guckin de Slane, écrit Taount, transcription française littérale de تاونت du texte original. Ce même nom de تاونت se retrouve mentionné au XIVème siècle, dans l’Histoire des Berbères, d’Ibn Khaldoun, que le même traducteur orthographie encore « Taount ».

Mais, c’est le voyageur anglais Thomas Shaw, chapelain de la factorerie anglaise d’Alger qui, au cours de la première moitié du XVIIIème siècle, a révélé à l’Europe le nom de « Twunt » dans le récit de ses voyages : « Travels or observations relating to several parts of barbary and the Levant », travail publié à Oxford en 1733 (ce récit fut traduit en français et publié à la Haye en 1743 en 2 volumes)

Cette orthographe anglaise de Twunt se retrouve en 1748 sur la carte de « la Partie occidentale de la Turquie d’Afrique où l’on trouve les royaumes d’Alger, de Tunis et part. de Tripoli », dressée par le Sr Robert, géographe du Roi avec privilège, ainsi que sur la carte de « la Partie de l’Afrique qui figure sur celle des royaumes d’Espagne et de Portugal », par le même Sr Robert, géographe ordinaire en 1750.

D’autre part, sur la « Carte des côtes de la Barbarie ou les royaumes de Maroc, de Fez, d’Alger, de Tunis et de Tripoli avec les pays circonvoisins, M. Bonne, Maître de mathématiques, membre de la société littéraire, ingénieur géographe à Paris, écrit « Twat ».

L’ouvrage de Shaw déjà cité, fut retraduit en 1830 par J. Mac Carthy avec de nombreuses augmentations, des notes géographiques et autres, sous le titre : » Voyage dans la Régence d’Alger ou Description géographique, physique, philologique, etc. … de cet État ». Dans cette traduction, Mac Carthy écrit : « Tôount » pour « Twunt » et sur la carte dessinée par lui « Touont » à la suite, sans doute, d’un lapsus calami.

Sur la carte d’Algérie, dressée et gravée par Ambroise Tardieu, membre de l Commission centrale de la Société royale de géographie de Paris, on lit « Teouant. Sur celle au1/400.000e de la province d’Oran, dressée au dépôt général de la guerre, en décembre1845 (Archives des cartes du Ministère 6 B 116) : « Taouet », nom géographique en usage à cette époque paraît-il ! (carte reproduite dans « Sidi Brahim » de Paul Azan).

CARTE BATAILLE DE SIDI BRAHIM

Mais, dans la correspondance officielle des officiers en garnison à Djemâa el Ghazaouât (Nemours) en 1845, le nom de « Taouet », ne se retrouve pas une seule fois orthographiée de cette façon. Par contre, on trouve la forme « Touent », « Tount », « Tuent ».

Cette dernière prononciation s’observe encore aujourd’hui parmi les indigènes musulmans qui, cependant, prononcent plus volontiers « Touent » en appuyant sur le t final.

Ainsi donc, voilà une dizaine de noms ayant servi à désigner la bourgade ruinée qui fait l’objet de la présente étude, ce qui démontre bien qu’il a régné une grande confusion au sujet de l’orthographe précise de cette localité ancienne.

L’orthographe française « Taount » ou « Tâwunt » se rapprochant le plus de l’arabe تـــــــاونت doit être adoptée définitivement par les géographes et les historiens qui auront à s’occuper de ce lieu. Il faut donc exclure une fois pour toutes, les formes « Tount », « Tuent » et encore plus la forme Touent » qui pourrait provoquer une confusion regrettable. 

En effet, comme l’A déjà fait remarquer Basset, Touent est le nom d’une petite localité située sur une montagne, non loin de Djâmi Sakhra, près du confluent de l’oued Sidi Brahim et de l’oued Ghazaouanah, à l’extrémité du Mzaourou.

ETYMOLOGIE

Le sens du mot Taount تاونت, mot féminin berbère, selon toute apparence, est très discuté. Il signifierait « satiété » dans le Maroc central, « pierre » dans le Sous.

D’autre part, on nous encore communiqué les sens suivants : enclume, œil, vision, sourcil, et même « poste d’observation ». Ce dernier sens semble s’adapter très bien au plateau de Taount qui domine la baie de Nemours.

HISTOIRE

Le nom de Taount ne se rencontre pas chez les géographes arabes avant le XIème siècle de notre ère. En effet, pour la première fois, le polygraphe andalou d’origine arabe, Aboû ’Obaïd Abd Allah ibn ’Abd al ’Aziz al Bakrî, dans sa description de l’Afrique septentrionale » et dans la « Notice des places fortes qui couvrent le littoral de Tlemcen », mentionne la forteresse de Taount, située sur le littoral qui dépend de Ternânâ qui, d’après Basset (Nédroma et les Traras p. 51) écrit : « Ternânâ est une ville ancienne, déjà mentionnée sous ce nom par Ibn Haouqual (Kitâb el Mesalik p. 63), comme ayant un marché, une rivière, des fruits en abondance et des vergers. Elle était entourée d’une muraille et avait été la résidence de Abd Allah et-Ternâni. Du temps d’El Bekri, qui la mentionne comme située à 10 milles du port de Mâsîn (Nemours), elle possédait un bazar, une mosquée cathédrale et un grand nombre de jardins. Elle était habitée par les B. Illoul, fraction de la tribu des B. Demmer ».

Pour en revenir à Taount, al Bakrî, la décrit ainsi : « Elle couronne une colline que la mer entoure de trois côtés. On y arrive par le côté oriental, mais l’accès en est très difficile, l’on ne saurait espérer effectuer la conquête d’une telle place. Elle est occupée par une tribu berbère nommée les Béni-Mansour. Une mine d’antimoine se trouve dans cette colline ».

« Les habitants possèdent des jardins et une grande quantité d’arbres ; une partie des figues que l’on récolte à Taount est desséchée au soleil pour être envoyée dans les pays voisins ».

Parlant de la ville de Nédroma, le même auteur écrit : « Elle est à 10 milles de la mer. Son Sahel, ou port, et formé par le Mâsîn, rivière dont les bords produisent beaucoup de fruits. Dans cette localité se trouvent un bon mouillage dominé par deux châteaux et un beau ribât (cloître musulman, à la fois guerrier et religieux) que l’on fréquente avec empressement dans l’assurance d’obtenir la bénédiction divine. Si quelqu’un commet un acte ou d’impudicité dans cet édifice, il ne tarde pas à subir le châtiment de son crime. Les gens du pays regardent cela comme une chose certaine et l’attribuent à la sainteté du lieu et à la faveur que Dieu a bien voulu lui accorder. ».

Comme l’indique le d’Al Bakri, et notamment Mac Guckin Slane, le traducteur d’Al Bakri, ont identifié ce mouillage avec celui de Djemâa-Ghazaouât, c’est-à-dire avec le port de Nemours. Mais d’après, M. A. Bel (Nédroma, métropole musulmane des Trârâ ; in Bull. Soc. de Géographie d’Alger et de l’Afrique du Nord, tir, à part, pp.6-7), les indications d’Al Bakrî ne permettaient pas de préciser si Mâsîn était dans la crique où se trouve aujourd’hui le port de Nemours ou dans celle de Sidi Yûchâ, à l’Est de Nemours.

« Le nom de la ville maritime et de la vallée de Mâsîn est oublié aujourd’hui, écrit-il, mais il est demeuré sous la forme de Mâsîl pour désigner la montagne (Djebel Mâsîl) dominant ma baie de Sidi Yûchâ, où il ne reste plus de trace d’un. Port, mais où l’on a retrouvé en 1933 un canon du XVIIème siècle, dans la mer, tout près de la côte ».

De notre côté, nous identifions plus volontiers le mouillage de Mâsîn à Nemours plutôt qu’à celui de Sidi Yûchâ. En effet, Al Bakri indique qu’il et dominé par deux châteaux et un beau ribât. Or, malgré nos recherches, nous ne voyons rien, sur les hauteurs qui entourent Sidi Yûchâ, qui puisse se rapporter aux vestiges de ces anciennes constructions. Sur la montagne de Taount, qui domine à l’Est la baie de Nemours, subsistent au contraire, des ruines fort intéressantes qui semblent bien correspondre aux châteaux et surtout au ribât.

VESTIGES DE MURAILLES

Géographe sédentaire, Al Bakrî, qui n’a jamais quitté l’Espagne, n’a pu que reproduire des documents qu’il n’a fait que compiler. Aussi ne devons-nous pas être surpris du peu de précisions qu’il nous donne sur la position exacte du mouillage de Mâsîn.

Bien qu’ayant visité l’Afrique du Nord, Aboû Abd Allah Mohammad ibn al-Hammoûdi, connu sous le nom d’Al Idrîsi, ne mentionne pas Taount dans « Description de l’Afrique et de l’Espagne » terminée en janvier 1154 de J.C. Par contre, il signale Honaïn et Nadrûma « ville considérable, florissante, bien peuplée, ceinte de murailles, pourvue d’un marché et située sur une hauteur à mi-côte. A l’orient, coule une rivière qui arrose les champs cultivés qui dépendent de la ville et dont les bords sont couverts de jardins et de vergers ».

A la fin du XIIème siècle, (1191 de J.C.) l’auteur anonyme du Kitab el Istibçar, que l’on considère à juste titre comme le réviseur d’Al Bakrî, reproduit, à peu de choses près, les renseignements donnés par son illustre devancier en 1068. Parlant de Nadrûma ; il écrit en effet : « une distance de 10 milles environ la sépare de la mer ; sur le littoral débouche la rivière (de Mâsîn) dont les bords sont plantés de nombreux arbres fruitiers. Là se trouve un port sûr et fréquenté que domine un beau ribât (souvent fortifié) où l’on s’attire la bénédiction divine. On dit que celui qui y commet un acte défendu ne tarde pas à être châtié. Cela est bien connu et provient de la sainteté du lieu et de la faveur dont Dieu le couvre ».

Ainsi, cent vingt-trois ans après Al Bakrî, ce géographe compilateur qui, d’après Fagnan, parait avoir appartenu à l’entourage du prince Almohade, alors régnant, Aboû Yoûsof Ya’Koub el Mançoûr, signale encore le beau Ribât dominant le port, mais ne souffle mot des deux châteaux.

Quoi qu’il en soit, nous nous rangeons volontiers à l’opinion de Fagnan quand il écrit : « toujours est-il que l’on peut se croire autorisé, dans une certaine mesure, à conclure que la répétition en 1191 de J.C. de renseignements donnés par Al Bakrî en 1068, que ceux-ci continuaient d’avoir leur valeur, puisque l’auteur écrivait dans une région où il habitait et où il pouvait être contrôlé ».

Sous la domination des Almohades (1145-1238), les peuplades Matghariennes qui habitaient alors la région, furent placées, pendant un certain temps, sous l’autorité d’Abd-el-Moumen, le fondateur de la dynastie, successeur de u Mahdi ibn Toumert. Elles avaient pour chef un nommé Khalîfa qui, selon, Ibn Khaldûn, aurait « bâti pour leur protection la forteresse de Taount, laquelle s’élève dans cette partie de leur territoire qui touche à la mer ».

Au XIIIème siècle, après la chute de l’Empire Almohade, Taount fut, à diverses reprises, le théâtre des guerres entre les Beni-Abd El Wâd, rois de Tlemcen, et leurs cousins, les Mérinides, rois de Fez, qui étaient des Zénètes de la deuxième race du groupe des Ouacine.

Assiégée deux fois, elle connut les rigueurs de la guerre et partagea le plus souvent, les destinées de Tlemcen et les vicissitudes de sa voisine Nédroma, passant successivement des mains des Mérinides dans celles des Beni-Abd El Wâd et vice versa.

A cette époque troublée par les guerres incessantes, les montagnes des environs de Nédroma et le territoire de Taount étaient habités par une fraction des Matghâra, tribu d’origine berbère issue, d’après Ibn Khaldûn, de Fâten, fils de Zahik, fils de Madghis et Abter. (Ibn Khaldûn : histoire des Berbères. Trad. De Slane, tome I p.226).

Cette fraction avait alors pour cheikh : Haroun ben Mouça ben Chalifa el Meghari, petit-fils de Khalifa déjà cité. Lors de la guerre des Mérinides contre les Beni Abd El Wâd, Haroun ben Mouça s’étant déclaré pour le sultan Mérinide Abou Yacoub Yousôf ben Ya’Qoûb ben ‘Abd el Hâqq, commença par s’emparer de Nédroma au profit de son maître. Mais le roi de Tlemcen, Yaghmorâsam ibn Zîan (le fondateur de la dynastie des Beni Abd el Wâd ou Beni Zeiyan) réussit à lui reprendre cette ville ainsi que Taount.

En apprenant cette mauvaise nouvelle, le sultan mérinide accourut aussitôt au secours de son partisan avec une forte armée et réussit à chasser les forces Abd el Wâdites en 671 (août 1272).

Avant de reprendre la route de Fez, il confia le commandement de ses nouvelles conquêtes à Haroun Ben Mouça et, comme la forteresse de Taount touchait à la frontière du pays qui formait le royaume de son ennemi, il la remplit d’approvisionnements.

Installé dans Taount, Haroun ben Mouça ne tarda pas à proclamer son indépendance. Mais dès que son vainqueur fut parti, Yaghmorâsam revint encore à la charge, s’empara de Nédroma et assiégea Taount pour la deuxième fois.

Après cinq années de farouche résistance, Haroun ben Mouça, ayant obtenu des conditions avantageuses, résolut de capituler. Il livra la forteresse de Taount au roi de Tlemcen en 675 (1276-7) et, ayant laissé son frère Tâchefin le commandement des Matghara, il se rendit auprès du mérinide Ya’Qoûb ben ‘Abd el Hâqq qui l’autorisa à prendre part à la guerre sainte.

Ibn Khaldûn qui nous donne ces précieux renseignements, nous apprend encore qu’Haroun ben Mouça passa en Espagne et mourut sur le champ de bataille. Quant à son frère, Tâchefin, il mourut en 703, (11303-4), laissant à sa famille l’autorité qu’elle conservait encore à l’époque où Ibn Khaldûn écrivait son « Histoire des Berbères ».

Devenue la possession des Beni Abd el Wâd, rois de Tlemcen, Taount ne devait pas jouir bien longtemps de la tranquillité. Yaghmorâsam mourut une dizaine d’années plus tard, le 28 février 1283, laissant son royaume à son fils Abou Saïd. Le règne de ce nouveau sultan fut marqué, après le quatrième siège de Tlemcen, par la perte de Nédroma et de Taount au profit des Mérinides du Maroc en 1298, en raison de la trahison du gouverneur de Nédroma, Zakarya-ibn-Yakhelf el Matghari, seigneur de Taount.

Voici la traduction du texte d’Ibn Khaldûn relatif à ces évènements : « Comme la ville (Tlemcen) résistait encore malgré ses efforts, il (Abou Yacoub, sultan mérinide), leva le siège au commencement de l’an 698 (milieu d’octobre 1298) et passant par Oujda, il laissa son frère, Abou Yahya ibn Yacoub, avec le corps Askéride qui avait tenu garnison à Taourîrt. D’après ses instructions, cette troupe se mit à faire de fréquentes courses dans le territoire Abd el Wâdite et à dépouiller les voyageurs. Les habitants de la ville de Nédroma perdirent alors tout espoir d’être secourus par leur souverain et envoyèrent une députation à l’Emir Abou Yahya. Ce prince leur accorda sa protection à condition de laisser occuper leur ville par ses troupes et de reconnaître l’autorité du sultan. Le peuple de Taount suivit cet exemple et vers la fin de Djomada (mars 1299), tous les cheikhs arrivèrent à Fez présenter leurs hommages au souverain mérinide. Ils le prièrent en même temps de marcher au secours de leurs frères et d’arracher leur pays à la domination de leur ennemi, le fils de Yaghmorâsam. En décrivant la tyrannie de ce prince et la faiblesse de ses moyens de défense, ils inspirèrent au sultan la résolution de renouveler ses tentatives contre Tlemcen.

A la fin du XIIIème siècle, Taount se trouva ainsi au pouvoir des Mérinides. Elle dut suivre ensuite le sort de Nédroma qui, d’après M’Hammed ben Rehal, était le chef-lieu de l’amalat de Meghara, qui comprenait Nédroma, tous les Trârâ, les Suwâhliya, Djbâla, les M’Sirda et toutes les tribus riveraines du Kiss.

Vers la fin de la première moitié du XIVème siècle, nous trouvons de nouveau Taount au pouvoir des Abd el Wâdites de Tlemcen, alors que Nédroma, qui est pillée et qui, d’après Ibn Khaldûn, « demeura définitivement sous la dépendance du royaume de Tlemcen jusqu’à la prise de cette ville par les Turcs en janvier 1518 ».

RESTES DE MURAILLES EN RUINE

LA BOURGADE DE TAOUNT (DJEMÂA-GHAZAOUÂT) A L’ARRIVEE DES FRANÇAIS

LA BOURGADE DE TAOUNT (DJEMÂA-GHAZAOUÂT) A L’ARRIVEE DES FRANÇAIS

La bourgade de Taount, dont nous, venons de voir succinctement l’histoire, existait encore, en 1844, lorsque les Français vinrent s’installer sur la plage de Djemâa-Ghazaouât, pour u fonder le poste militaire qui devait prendre, en décembre 1846, seulement, le nom de Nemours.

Le lieutenant-colonel de Montagnac, choisi par le général Lamoricière, en fut le fondateur et le premier commandant supérieur.

Quatre jours après son arrivée, il écrivait à M. Bernard de Montagnac, en parlant de la montagne de Taount : « le rocher qui borne la plage à l’Est est couronné d’une espèce de village construit en lave, où existe une population de trois ou quatre cents âmes, d’assez belle race ». (de Montagnac, Djemmâa-Ghazaouât le 6 septembre 1844, à M. Bernard de Montagnac). Il est intéressant de noter ici, que 26 ans auparavant, en 1818, la population de Taount avait été décimée par la peste qui, d’après ce même officier supérieur, avait été apportée par des navires que les flibustiers avaient capturés ». (de Montagnac, Djemmâa-Ghazaouât le 11 septembre 1844, à M. Élisée de Montagnac). D’après Basset (Nédromah et les Trârâ, p. 29), l’épidémie qui ravagea tout le Maghreb et emporta un certain nombre de personnages considérables, entre autres, le Dey d’Alger, Ali Khodja, à la même époque, aurait été rapportée d’Égypte en 1233 H (1817-1818) par les pèlerins de la Mecque. 

En 1845, lors du fameux désastre de Sidi Brahim, où de Montagnac trouva la mort, les habitants de Taount, qui jouèrent un rôle équivoque, se mirent à abandonner leurs maisons, le 26 septembre, par crainte de représailles et aussi, disaient-ils, parce qu’ils craignaient Abd el Kader et les Trârâ. En réalité, le caïd de Taount, Ahmed ben Ahmed, était chez les Trârâ qui tiraillaient sur les avant-postes français.

Quoi qu’il en soit, le capitaine Bidon, commandant de la place, convoqua le jour même, le conseil de défense qui décida d’occuper sans retard la mosquée de Taount, la fameuse mosquée Djâma bou Nour. On y monta un obusier, et 30 sapeurs commandés par un sergent, s’y installèrent. Les Arabes devaient venir le soir même faire irruption de ce point-là dans le poste de Nemours qui se trouvait tout à fait à découvert ; la précaution était donc bonne.

Cependant, le 15 octobre 1845, les anciens habitants de Taount adressèrent au commandant supérieur de Djemâa-Ghazaouât une lettre dans laquelle le Caïd Ahmed ben Ahmed Ibrahim ben Kaddour et tous les gens de Ghazaouet exprimaient le désir de revenir dans leur village abandonné. « Si nous avons fait du mal, disaient-ils, vous pouvez arranger cela pour le mieux. Si vous voulez nous mettre en prison nous sommes à votre disposition et vous pouvez nous faire grâce après ».

Après avoir lu cette lettre, le commandant supérieur répondit le jour même aux habitants de Taount et à la tribu des Suwâhliya qui lui avait aussi écrit pour connaître ses dispositions à leur égard :

« Je ne suis pas habitué à composer avec mes ennemis ; que ceux qui ont de moi viennent me trouver ; je suis le chef et ne veux avoir affaire qu’aux chefs. Vous me demandez la promesse qu’il ne vous sera rien fait, mais vous n’êtes pas les plus forts pour me faire les conditions. Je vous le répète ; que ceux qui ont besoin de moi viennent, je les entendrai. Quant à rentrer dans votre village, le lieutenant général Lamoricière seul peut vous l’accorder. Si vos chefs n’osent pas venir de suite chez moi, qu’ils y viennent le jour où la colonne arrivera ; je les présenterai au Général et il décidera du sort de ceux qui ont à se reprocher une trahison ». 

Huit jours plus tard, le maréchal Bugeaud écrivait au général du génie Charon du « Bivouac des Scorpions » au sujet des habitants de Taount : « Si cette petite population a trempé dans la révolte, nous sommes entièrement dans le droit de posséder ces habitations. Si elle n’y a pas trempé, on pourra l’indemniser plus tard du tort qu’on lui aurait fait et, en attendant, elle s’établira dans les villages voisins ». (P. Azan, id, Bugeaud à Charon, du Bivouac des Scorpions, 23 octobre 1845, Archives Historiques du Ministère de la Guerre, Algérie)/

Là se termine l’histoire de Taount qui fut complètement rasée, disparaissant ainsi subitement, à la fin de la première moitié du XIXème siècle ! Les habitants se fixèrent à Sidi Amar qui était leur « Azib » et dans les villages des Oulad Ziri et des Suwâhliya auxquels ils appartenaient. (Canal, le littoral des Trara, Tlemcen, 1888 p. 135)

LES VESTIGES BERBERES DE LALLA GHAZWANA
RUINES DE L’ANCIENNE FORTERESSE

****************************

*************

OCCUPATION ESPAGNOLE

S’il existe des documents historiques se rapportant à l’occupation espagnole sur d’autres points du littoral algérien, comme Mers-el-Kebir (1505), Oran (1509), Bougie (1510), Honaïn (1531, etc. …, il n’en existe malheureusement aucun où il soit question de Taount.

Cependant, s’appuyant sur un bas-relief en calcaire (Fig. 17 bis) trouvé au mois de septembre 1886 dans une anfractuosité (côté nord) de la montagne de Taount, à 20 mètres environ au-dessus de la mer, M. Canal a cru devoir établir que c’est pendant cet intervalle de 1510 à 1535 que Taount fut occupée par les Espagnols.

Il écrivait en effet, en 1888 : « Les Espagnols, après l’avoir occupée quelques années, à la fin du règne de Ferdinand le Catholique, (1510-1535) et au commencement de celui de Charles Quint, en furent chassés à leur tour, par le turc Baba Aroudj (nom dont on a fait Barberousse).

« Pendant cette période de l’occupation espagnole, un Gouverneur commandait à Taount et à Honaïn, ses troupes étaient parfois abandonnées, sans solde et sans vivres, les pirates traquant sans trêve ni merci, tous les navires qui tentaient de les ravitailler. C’est ainsi que le 13 mars 1534, le gouverneur écrivait à Charles Quint ; les troupes sont criblées de dettes, pauvres d’argent et dénuées des choses les plus nécessaires à la vie matérielle. Il est dû 18 mois de solde aux gens de cheval »(Canal, les Villes de l’Algérie : Nemours. Extrait de la Revue de l’Afrique Française, Paris, Barbier, 1888)

Nous avons réfuté ailleurs la thèse de Canal (Llabador. Notice historique sur Nemours et Taount, in. Bull. Soc. Géogr. Et Archéol. d’Oran, 1935). Nous rappelons ici que le Gouverneur auquel il est fait allusion, sans nous donner son nom, s’appelait Don Inigo de Vallejo Pacheco, et que ce général espagnol, d’après les documents publié par Elie de la Primaudaie, dans son « Histoire de l’occupation espagnole en Afrique » (1506-1574) était seulement gouverneur de Honaïn (Elie de la Primaudaie, Documents inédits sur l’histoire de l’occupation espagnole en Afrique (1506-1574) Alger, Jourdan, 1875)

Le nom de Taount ne se trouve mentionné nulle part. c’est donc par hypothèse que Canal le donne comme Gouverneur de Taount et d’Honaïn (et non de Taount) et fait dériver le bas-relief précité, d’un monument funéraire « très probablement consacré, d’après lui, à la mémoire d’un des gouverneurs d la place de Taount, décédé ici, avec sa femme, pendant la durée de l’occupation espagnole ».

D’autre part, la lettre qu’écrivit Don Inigo de Vallejo Pacheco, gouverneur de Honaïn (et non de Taount) à Charles Quint, pour l’informer que la garnison manquait de vivres et d’argent dans les termes que rapporte Canal, n’est pas datée du 13 mars mais du 26 avril 1534.

Somme toute, la question de l’établissement des Espagnols sur le plateau de Taount est encore hypothétique, faute de documents. En tout état de cause, Honaïn n’étant qu’à une vingtaine de kilomètres ; à vol d’oiseau, de Taount, une partie de la garnison d’Honaïn A pu parcourir la contrée, soit pour se livrer à des coups de main ou à des razzias, soit pour lever un impôt.

Cette dernière hypothèse est très plausible. Il existe en effet, dans les Béni Mnîr, un vieux caroubier dénommé aujourd’hui par les indigènes le « Caroubier du trône » sous lequel, aux temps de l’occupation espagnole, le gouverneur venait avec ses officiers et ses soldats pour lever un impôt. (Nous tenons ce renseignement de Sidi Mohammed Yazit ben Mohammed ben Laredj, secrétaire du Marabout Sidi ben Amar de Nédroma -juillet 1931-)

Quoi qu’il en soit, nous terminerons ce chapitre en posant un grand point d’interrogation.

VESTIGES DE HONAÏN

*************************

****************

DOMINATION TURQUE 

DJEMÂA-GHAZAOUÂT

Sous la domination turque, le nom de Djemâa-Ghazaouât, qui signifie « la réunion des pirates », désigna la bourgade de Taount, devenue comme Oran et Honaïn, un nid de forbans et d’écumeurs de mer, bien connus dans l’Histoire sous le nom de « pirates barbaresques ».

A cette époque, sur l’emplacement occupé aujourd’hui par les constructions urbaines, s’étendaient des jardins et des vergers. L’oued Taount, aujourd’hui détourné, coulait au pied même de la falaise est, en bas et le long du quartier de « Brigandville » bâti sur le flanc de la montagne de Taount.

Vers l’ouest de la vaste plage, l’oued Ghazaouanah, beaucoup plus important que le premier, se jetait dans la mer par un estuaire assez large devant lequel les grosses mers formaient une barre qui ne se rompait que sous la violence du courant.

D’après la tradition, la mer qui se confondait aux moments des crues avec le torrent de Touent, arrivait jusqu’au lavoir public, désigné plus commodément sous le nom de « bassin », à proximité de la porte dite « de Touent » (Taount).

Il y avait donc à cet endroit une petite crique naturelle où les eaux étaient constamment calmes. C’est dans cette petite crique, complètement dissimulée à la vue des navigateurs passant au large que les pirates amarraient leurs rapides felouques à deux mâts légèrement inclinés en avant et pouvant se déplacer aussi bien à la voile qu’à l’aviron. 

Perchés sur la montagne de Taount qui dominait la mer et la crique, les vigies scrutaient l’horizon. On peut encore y voir les traces d’une petite tour vigie de forme carrée. La population de Taount était hétérogène. Elle se composait de Berbères, d’Arabes, de Maures andalous chassés d’Espagne, de Turcs, de renégats, etc… Elle n’hésitait pas à allumer de grands feux, à la nuit tombante pour faire échouer les navires et d’emparer de leurs cargaisons. Si d’aventure, il y avait des femmes à bord, ils les emmenaient à Taount pour en faire leurs esclaves ou leurs épouses.

De ce mélange est sorti une génération de type particulier, remarqué pour la première fois par le lieutenant-colonel de Montagnac en 1844, lorsque les Français vinrent s’installer sur ce point du littoral de la province d’Oran.

« Les hommes y sont vêtus beaucoup plus proprement que ne le sont ordinairement les Arabes, écrivait-il à son oncle, et les femmes ont dans leur mise plus de coquetterie que les autres. Elles arrangent assez bien leurs cheveux ; on retrouve chez elles les types espagnol et italien.

« Ce ramassis de masures informes, dit-il, en parlant du village de Taount qui domine la baie, est un nid de forbans qui fournissaient d’audacieux pirates et qui se sont enrichis en écumant la Méditerranée.

« Ils ont dû aussi, dans leurs expéditions, enlever quelques femmes, surtout des Espagnoles et des Italiennes : de là, cette différence dans le type et cette recherche dans la mise qu’on ne remarque pas chez les femmes arabes » (Lieutenant-colonel de Montagnac, Lettres d’un soldat Djemmâa-Ghazaouât le 6 septembre 1844, à M. Bernard de Montagnac)

En 1925, le regretté Doumergue écrivait dans le Bulletin de la Société de Géographie et d’Archéologie d’Oran ; note 1 : « Fait curieux, les Berbères de Nemours, généralement blonds, ont beaucoup plus que ceux d’autres régions, le faciès européen. Si les fillettes et les jeunes femmes étaient habillées à l’européenne, il serait bien difficile de reconnaitre leur origine berbère ».

Nous ne possédons aucun document intéressant où il soit question de Taount ou de Djemmaâ-Ghazaouât au XIVème siècle.

Le géographe arabe Al Hassan ben Mohammed Alvazas al Fasi, plus connu sous le nom de Léon l’Africain, nous parle seulement de Nédroma et de sa campagne dans sa « Description de l’Afrique, tierce partie du monde » : « est la campagne fort abondante, mêmement y A plusieurs jardins et vergers là où se trouvent ces arbres produisant les carobes, desquelles on use au manger en quantité autant par le contour comme dans la cité et en retirent les habitants à force de miel, qu’ils mêlent puis après avec de la viande ». (J. Temporal, 1556)

L’historien espagnol, Luis del Marmol y Caravajal, qui fut captif des Maures en Afrique, reproduit à peu près les observations de Léon l’Africain dans la « Description générale de l’Afrique et histoire de la guerre des Chrétiens contre les infidèles ». Comme ses prédécesseurs, il parle de Nédroma, de Honaïn, de Rachgoun, mais signale toutefois « le fleuve (sic) qui passe près de Nédroma, dont les bords sont couverts d’arbres fruitiers de toutes sortes ». « Les montagnes d’alentour portent de certains arbres appelés carobiers dont le fruit est si doux que les habitants en font du miel et en mangent toute l’année ».(Marmol, L’Afrique  – trad. De Nicolas Perrot, sieur d’Ablancourt- )

Après l’occupation turque de Tlemcen, la région de Nédroma-Nemours (dont les gens, d’après Gramaye) étaient alliés aux Matghara et ne payaient qu’un faible tribut), fut en butte aux convoitises des Chorfa du Maroc.

« En 1061 hég. (1651 de J.C.) écrivait Basset, Mouley Mohammed ech Chérif, chef de la seconde dynastie des chorfa, après avoir ravagé le territoire des B. Iznacen, s’être emparé d’Oudjda, avoir soumis les B. Snous et les O. Zekri, marcha sur Nédroma et envoya des partis contre les Matghara, les Guedima, les Trârâ et les Oulhâsa ; puis il revint à Oudjda. Une seconde invasion marocaine eut lieu en 1089 hég. (1678-1679) conduite par Mouley Ismaïl qui s’avança jusqu’au Chélif. Les Turks reconnurent au Maroc la Tafna pour limite. Mais cette convention ne fut pas exécutée, car une garnison turke continua de résider à Nédroma. (René Basset. Nédroma et les Traras, Paris 1601, pp 15-16.

Comme nous l’avons déjà dit au début de ce travail, c’est le voyageur anglais Thomas Shaw, chapelain de la factorerie anglaise d’Alger, qui A révélé à l’Europe, au cours de la première moitié du XVIIIème siècle, le nom de Twunt dans le récit de ses « Voyages ou observations relatives à plusieurs parties de la Barbarie et du Levant », ouvrage publié à Oxford en 1738, traduit en français et publié à la Haye en 1743. Dans cette première édition française, on peut lire (p. 24) : « Twunt village frontière des Algériens sur la mer, est à sept lieues à l’Est-Nord-est de Maisearda (M’Sirda) et a un petit fort ».

Enfin, sous le dernier Dey Hussein, la région de Nemours-Nédroma était habitée par la confédération des Suwâhliya qui faisaient partie, d’après Louis Rinn, de la catégorie des alliés ou vassaux autonomes, reconnaissant la supériorité des Turcs, mai payant un tribut. (Louis Rinn, le royaume d’Alger sous le dernier Dey, Alger 1900 – p. 75 – pp8-9)

« Certaines tribus alliées ou vassales, écrivait Rinn, différaient peu des meilleures tribus makhezène. Toutefois, elles avaient sur celles-ci l’avantage de pouvoir choisir leurs chefs, au lieu de recevoir un caïd turc pour les commander. Plusieurs, à titre d’hommage, payaient un impôt fixe (ghorama) qui, quelquefois se réduisait un cheval de gada et à quelques moutons, et qui, en tout, était toujours moindre que les impôts hokar, achour et zekkat prélevés sur les tribus rayat.

Ces confédérations et ces fiefs héréditaires, alliés ou vassaux, étaient autonomes ; les chefs élus, traditionnels ou dynastiques, avaient droit de haute et basse justice, c’était autant de petits États ayant leurs lois et leurs organisations particulières. (Louis Rinn, loc. cit. pp8-9)

Le nom de Nemours figure sur la carte en couleurs dressée par l’auteur. D’après la teinte qui s’y trouve, on peut en déduire que la situation des habitants de Djemâa-Ghazaouât A été la même que celle des Suwâhliya, des M’Sirda, Djbâla et Achache ; confédérations autonomes et payant un tribut qui concouraient à la formation dans la région des « Douairs et Zméla » de l’Outane Nédroma, compris lui-même dans le Beylik-Ouahrân, dont Ouahrân, c’est-à-dire Oran, était le chef-lieu depuis 1795, après avoir été successivement à Mazouna (de 1515 à 1700) et à Mascara de 1700 à 1792.

Après l’arrivée des Français en Algérie, par le désastreux Traité de la Tafna (30 mai 1837), la région de Djemâa-Ghazaouât passa officiellement sous la souveraineté de l’Emir Abd el Kader jusqu’au moment où celui-ci rouvrit les hostilités, en novembre 1939, et proclama la guerre sainte à la suite de l’expédition française des Bibans (passage des Portes de fer), qu’il considéra comme une violation manifeste du traité qui, dès lors, fut définitivement rompu.

A la période de l’occupation restreinte allait succéder celle de l’occupation totale décidée par la France à partir de 1841 et réalisée par Bugeaud.Quoi qu’il en soit, la plage de Djemâa-Ghazaouât ne fut occupée par les Français qu’en septembre 1844, date à laquelle elle fut choisie par le général Lamoricière comme point de débarquement et de ravitaillement des troupes opérant sur les confins du Maroc.

CHOIX DE DJEMÂA-GHAZAOUÂT

Comme point de débarquement et de ravitaillement des troupes françaises opérant sur les confins du Maroc. Création d’un poste-magasin sous la garde des Suwâhliya

« Dans le courant du mois de juin 1844, les troupes de la Division d’Oran, alors commandées par le général de Lamoricière, s’étaient concentrées à Lalla Maghnia, où un poste militaire était en construction. Ces travaux, à proximité de la frontière marocaine éveillèrent la susceptibilité du Caïd d’Oudjda, Sidi Ali ben Tâïeb-el-Guennaoui, lequel fit quelques démonstrations hostiles contre nos travailleurs. Ces actes d’agression décidèrent le Maréchal Bugeaud, Gouverneur Général d’Algérie, à faire occuper Oudjda.

« Accouru en toute hâte, et après s’être ravitaillé à Lalla Maghnia, le Maréchal marcha sur Oudjda, où l’armée française entra sans combat, le 19 juin 1844, la ville ayant été évacuée par ses défenseurs à l’approche de nos troupes ». (J. Canal, les Villes d’Algérie, Nemours, (extrait de la Revue d’Afrique française, Paris, 1883).

« Il était de plus en plus évident, raconte le Général Comte de Martimprey, que la campagne allait se prolonger ; la question du renouvellement des vivres et des munitions était donc d’une extrême. Approvisionner Lalla-Maghnia par Tlemcen, et par conséquent par Oran, était aussi difficile que dispendieux puisqu’il fallait apporter les vivres d’une distance de cinquante lieues tandis que Lalla-Maghnia n’est qu’à une journée de la mer ».

« Si l’on optait pour cette voie de ravitaillement, il fallait savoir de quel point de la côte elle partirait. Le Général de Lamoricière fit prévaloir que le choix de Djemâa-Ghazaouât, point accessible et d’une occupation facile du côté de la terre. Deux routes muletières, venant l’une de Maghnia par Nédroma, l’autre d’Oudjda et des Beni-Snassen, par Sidi-Bou-Djenane, y aboutissent ».

« Le mouillage devant Djemâa-Razaouât (Djemâa-Ghazaouât) couvert seulement des vents du Sud et Sud-Est et parsemé de quelques rochers, est cependant d’une assez bonne tenue ; les grands navires ne peuvent cependant s’approcher que jusqu’à mille mètres du rivage, mais par compensation, la côte étant droite, l’appareillage se fait assez facilement. (De Martimprey écrit « Djema-Razaouât »).

« La plage offre deux criques qui ne sont abordables qu’à des barques d’un très petit tonnage ; l’une est ouverte à l’Est, l’autre à l’Ouest, ce qui permet de débarque à l’une ou à l’autre selon que le vent souffle de l’Ouest ou de l’Est.

« On hésita entre ce mouillage de Djemâa-Razaouât (Djemâa-Ghazaouât), le petit port voisin de Sidi Loucha où l’on voit à fleur d’eau les restes d’un quai romain ( ?), et un autre petit port Mersa-Hanaïa (Honaïn) au fond duquel s’ »lève une vieille et vaste enceinte en pisé. Au-delà, vient le mouillage de l’Ile de Rachgoun, à l’embouchure de la Tafna, où nous avons eu un établissement en 1735 et 1837 ». (Il s’agit de Sidna Uchâ ou Sidi Yûcha. Située à 5 km E.N.E de Nemours, bien abritée des vents d’ouest, cette plage mesure environ 600 mètres de longueur et 60 mètres environ de largeur. L’oued Bou-Noua débouche sur le sable, au pied du célèbre mausolée qui passe pour renfermer le corps de Josué (Sidna Yûcha). Cette plage est bornée à l’Est par la pointe Feddan-Chikh, à l’Ouest par la pointe rocheuse de Lalla-Setti (F.L.) – La rade de Honaïn ; située sur le littoral des Trârâ, à 24 km N.E. de Nemours, est orientée vers le Nord-Ouest. Elle est abritée au N. et au N.W par la montage de Sidi Brahim et le cap Noé. »

La plage de Djemâa-Ghazaouât fut choisie après qu’on eût mis en balance les avantages et les inconvénients des divers points du littoral de l’Oranie occidentale, pouvant servir de base de ravitaillement. Aussitôt, les débarquements de vivres et de munitions, de matériel et de renforts commencèrent.

« Le 25 juin 1844, le Maréchal Bugeaud, rapporte Pellissier de Reynaud, s’y porta de sa personne en quittant Oujda, et y arriva en même temps qu’un navire venu d’Oran, qui apportait un premier chargement de munitions de bouche, il avait eu d’abord la pensée de le faire occuper par quelques troupes ; mais il trouva la tribu des Souhalia, qui entoure ce port dans de si pacifiques dispositions, qu’il crut pouvoir traiter avec eux pour le transport des approvisionnements. Il fut arrêté que ces indigènes les denrées à leur débarquement et les transporteraient à un prix convenu à Lalla Maghnia ; Cet arrangement que les Souhalia exécutèrent fidèlement délivra le Maréchal d’une foule de petits soins et des petites préoccupations qui peuvent, dans certaines circonstances, embarrasser la marche des affaires les plus importantes. »

En rejoignant sa colonne, le Maréchal qui se trouvait le 28 juin 1844 au col de Bâb-Thaza, à une vingtaine de kilomètres de Djemâa-Ghazaouât, écrivait à l’un de ses généraux un billet au crayon dans lequel il exposait très brièvement les mesures prises :

« Je ne m’occupe pas de Djemâa-Ghazaouât, mais j’y ai fait un magasin sous la garde des Kabyles. J’ai lieu d’espérer que les convois marcheront sur cette ligne comme d’Oran à Tlemcen, pourvu que nous soyons toujours vigoureux en avant. J’ai formé une milice de 100 hommes au Caïd de Djemâa et j’ai nommé le caïd, Caïd du port avec 600 francs de traitement ; le Caïd de Nédroma est chargé des convois avec 1.200 francs de traitement et 10 cavaliers soldés. Je n’ai pas le temps de vous écrire davantage ». (Archives historiques du Ministère de la Guerre, Algérie, correspondance juin 1844, in : P. Azan, Récits d’Afrique, Sidi Brahim, Paris, 1905 p.46)

Enfin, deux jours plus tard, se trouvant à Lalla-Maghnia, le Maréchal Bugeaud écrivait au Général de Bourjolly, commandant la subdivision de Mostaganem : « Je me suis porté à la mer pour recevoir dans la crique de Djemâa-Ghazaouât, 200.000 rations. Je n’ai pas occupé ce point comme j’en avais d’abord l’intention, je charge les habitats eux-mêmes du dépôt et du transport de mes vivres ».

De Martimprey, dans ses « Souvenirs d’un Officier d’État-Major », nous apprend au sujet des vivres mis à terre, sous la garde des Souhalia, ou Suwâhliya : « Nous en primes un grand convoi qui s’organisa avec les transports du pays ; il marcha à la satisfaction générale. Le général Bedeau en commandait l’escorte ; le Maréchal suivait à distance ».

C’est ainsi que fut créé le poste-magasin de Djemâa-Ghazaouât.

OCCUPATION MILITAIRE DE DJEMÂA-GHAZAOUÂT

« Les Marocains, voyant que les troupes françaises n’avaient pas dépassé Oudjda, après leur victoire du 16 juin, s’étaient rapprochés de cette ville. Le Maréchal, après s’être assuré du port de Djemâa-Ghazaouât, s’était porté de nouveau sur ce district qui, pendant un mois et demi fut le théâtre d’une série monotone de marches et de contremarches. Le but du Maréchal était de trouver une nouvelle occasion de combattre les Marocains, sans trop s’aventurer dans leur pays, et de hâter ainsi la conclusion d’une affaire dont les lenteurs l’irritaient avec juste raison, malgré la politique modération de ses actes »

D’ailleurs, « nos pourvoyeurs, les Souahlia, avaient été à plusieurs fois attaqués sur le trajet de Djemâa-Ghazaouât à Lella-Maghnia ; enfin, tout indiquait que la situation ne pouvait se prolonger, sans les plus graves inconvénients. Aussi, dès que la Maréchal eut reçu la nouvelle officielle que la guerre était diplomatiquement déclarée, s’empressa-t-il d’en venir aux mains avec Si Mohammed ». (Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, tome troisième, Paris Alger, octobre 1857, pp 137 et 143)

« La victoire d’Isly, à peine remportée, nos troupes furent à ce point accablées par les maladies, relate le Général Comte de Martimprey, que nos nombreux transports ne pouvaient à suffire aux évacuations sur Maghnia. Le Maréchal dut renoncer à son désir de s’avancer jusqu’à la Moulouïa, après une marche de trois lieux dans cette direction, qui démontre l’impossibilité de tenir campagne davantage. D’ailleurs, l’armée marocaine était pour longtemps hors d’état de reparaître et il n’y avait plus moyen d’atteindre ses débris ».

« L’air bienfaisant de la mer, les bains, le repos, l’usage du vin, les distributions journalières de pain, les fruits, les légumes ramenèrent bientôt la santé chez nos troupes épuisées. Nous occupions un camp excellent, sur la grande colline sablonneuse qui s’étend du village des Oulâd-Ziri à la plage de Djemâa-Ghazaouât ». (Général Comte de Martimprey, Souvenirs d’un Officier d’état-major, chap. XIV)

Si, malgré tous ces avantages, le Maréchal Bugeaud ne voulait pas de garnison fixe, le général de Lamoricière, au contraire, était d’avis qu’il fallait établir un poste militaire. Mettant à profit l’absence du maréchal, il fit commencer les travaux sous sa propre direction, le 14 septembre 1844, après avoir obtenu l’approbation du Ministre.

Cependant, le 27 septembre, le Maréchal Bugeaud écrivait à Lamoricière : « M. le Maréchal, Ministre de la Guerre, m’écrit pour me dire que, dans son opinion, la paix étant survenue, il ne faut pas occuper Djemâa-Ghazaouât d’une manière permanente. Vous savez que je ne m’y étais décidé qu’avec une extrême répugnance et seulement parce que je regardais comme possible que ma se prolongeât pendant l’hiver. ; j’ai donc écrit à M. le Maréchal, Ministre de la Guerre, que je retirerais la garnison française quand la division rentrerait dans l’intérieur, c’est-à-dire quand la paix sera certaine et quand vous aurez fini ou à peu près votre route de mulets propre à devenir une route carrossable. Cette détermination ne dois pas vous empêcher de fortifier le poste ». (Le Maréchal Bugeaud au Général Lamoricière, d’Alger, 27 septembre 1844, Archives historiques du Ministère de la Guerre, Algérie, correspondance, province d’Oran, in : P. Azan, Sidi Brahim, Paris, 1905 p. 47)

Cette annonce de l’évacuation du poste n’empêcha pas le Lieutenant-Colonel de Montagnac de poursuivre les travaux d’installation.

D’ailleurs, le 2 octobre, le Maréchal Soult, Ministre de la Guerre, écrivait à Bugeaud : « Je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous laissiez établir des Européens à Djemâa-Ghazaouât pour qu’ils ouvrent des relations commerciale avec le Maroc ». (Général Azan, Conquête et pacification de l’Algérie, Paris, 1931 p.330).

Ainsi donc, l’évacuation de Djemâa-Ghazaouât se trouvant provisoirement différée, les travaux purent être poursuivis sous la vigilante direction du Lieutenant-Colonel de Montagnac.

Source : Nemours (Djemâa-Ghazaouât) – Monographie illustrée de Francis Llabador

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.