23 DECEMBRE 1847 – LE PARJURE DE LA FRANCE
CONDITIONS DE LA CESSATION DES COMBATS
L’Emir ne pouvait plus faire autrement que de cesser les combats, dans la mesure où Lamoricière disposait de 2200 cavaliers, Bugeaud ayant à lui seul 100.000 hommes et commandait à dix généraux et à dix-huit colonnes qui roulaient sans répit. Mais il posa ses conditions à sa demande de fin de combat.
En 16 ans de guerre, l’Emir a eu à affronter plus de 140 généraux, 5 princes et 16 ministres de la Guerre.
Depuis la mi-octobre 1845, les colonnes infernales parcouraient tout le pays : les hommes sont massacrés sans merci, les habitations de toute nature brûlées, les récoltes incendiées. Les fugitifs sont étouffés vifs sans pitié, enfumés dans les grottes. Les hommes des tribus grelottent de froid et de fièvre, amaigris par l’été qui pèse sur eux. Les chevaux maigrissent, les mulets saignent au garrot.
Les Ouled Naïl et les Harrar, tribus fidèles à l’Emir, traquées, sans grains ni fourrages pour leurs bestiaux, interdits de pâturage par Bugeaud, craquent. Les tentes ne les protègent plus de la pluie glaciale. Les femmes, les enfants, les vieillards, les blessés, les animaux, pleurent de faim, de froid et de rage.
La Smala, dans sa grande partie, a été capturée par le duc d’Aumale grâce à un chef de tribu félon. La Daïra a été attaquée par les Rifains. Le sultan du Maroc Abd er-Rahman a fermé la frontière à l’Emir et l’attaque même sur ses arrières. Il tenta même de faire assassiner l’Emir, mais il échoua.
En cette fin d’année 1847, l’Emir, ses troupes et sa Daïra sont traqués et poursuivis sur la rive gauche de la Moulouya par les unités marocaines pendant que sur la rive droite la colonne Lamoricière attend le franchissement d’Abd El Kader.
L’Emir est en mesure d’opposer seulement 2000 à 3000 hommes aux unités marocaines, mais la situation devient difficile pour lui d’autant qu’il doit affronter les troupes de l’armée française.
Le 21 décembre, la situation se dégrade. Les deux frères de l’Emir, Sidi Mustapha et Sidi-Saïd, demandent l’aman au Général de Lamoricière, et Abd El Kader fait franchir la Moulouya à la Daïra et sacrifie pour la protéger la moitié de son infanterie et de ses cavaliers les plus braves.
Arrivés sur le sol algérien, l’Emir et la Daïra traversent la plaine de la Taïfa jusqu’au Kiss où se trouve la frontière française et où cesse la poursuite des troupes marocaines d’Abd-er-Rahman. Abd-El-Kader conseille à tous de cesser les combats avec les Français pendant qu’il part avec un petit détachement vers le Sahara.
Lamoricière tient le terrain jusqu’au col de Kerbous. Là, se trouvent le lieutenant Mohammed-bou-Khouïa et son détachement de cavaliers. Le 22 décembre, à 2h00 du matin, il pleut à torrent. De Lamoricière se met en route avec un gros détachement. A mi-parcours, les représentants de la Daïra viennent présenter leur demande de cessation des combats par l’Émir.
En même temps, des coups de feu claquent entre les spahis de Lamoricière et la faible troupe de l’émir. Mais l’échange ne dure pas et les spahis tiennent bon. Deux spahis arrivent au galop pour rendre compte au général de la tentative d’Abd-El-Kader de forcer le col.
Peu après, c’est Mohammed-bou-Khouïa qui se présente devant Lamoricière avec deux cavaliers de l’émir. Abd-El-Kader fait demander l’aman pour lui-même et pour son escorte ; et en manière de lettre de créance, ses envoyés apportent l’empreinte de son cachet sur un morceau de papier mouillé par la pluie. Lamoricière les renvoie aussitôt avec la promesse d’aman et, comme gage de sa parole, il fait porter par Mohammed-bou-Khouïa son propre sabre à l’Emir.
A l’aube, le colonel Cousin de Montauban partit avec six escadrons pour chercher la Daïra et l’emmener au puits de Sidi-Bou-Djenane. Le colonel de Mac-Mahon (futur président de la République) s’y trouvait avec un bataillon de zouaves et un bataillon du 9ème de ligne.
Lamoricière y retrouve tous les chefs réguliers qui ont survécu au désastre du 21 décembre qui lui demandent d’accorder deux jours de repos à la Daïra encombrée de blessés, de vieillards, de femmes et d’enfants qui succombent de fatigue. Le général y consent. La Daïra comprend encore près de six cents tentes avec une population de cinq à six mille âmes
Mohammed-bou-Khouïa revient et restitue le sabre au général accompagné d’une lettre d’Abd-El-Kader. « … J’ai reçu le cachet et le sabre que tu m’as fait remettre comme signe que tu avais reçu le blanc-seing que je t’avais envoyé ; l’obscurité de la nuit m’avait empêché de t’écrire. Cette réponse de ta part m’a causé de la joie et du contentement. Cependant, je désire que tu m’envoies une parole française qui ne puisse être ni diminuée ni changée et qui me garantira que vous me ferez transporter soit à Alexandrie soit à Akka (Saint-Jean d’Acre) mais pas autre part… ».
Lamoricière pense être en mesure d’accorder ce que demande Abd El Kader et lui répond en ce sens. Il en référa au duc d’Aumale, alors Gouverneur d’Algérie, qui entérina sa parole. Le rendez-vous est fixé au 23 décembre au marabout de Sidi-Brahim.
Le 23 décembre 1847, suivi de quelques serviteurs, Abd-El-Kader traversa le Kiss pour suivre le même chemin qui l’avait conduit à la victoire du Djebel Kerkour. Arrivé à l’emplacement même du bivouac des chasseurs, au pied du seul palmier de la région, l’Emir s’arrêta cherchant inutilement du regard le général Lamoricière, le seul chef, disait-il, auquel il consentait à remettre son épée et, attendit fièrement l’arrivée des deux escadrons de chasseurs d’Afrique que le général avait envoyés pour le recevoir pendant qu’il présidait lui-même à l’internement de la Daïra.
En l’absence du général, ce fut donc le colonel Cousin de Montauban qui reçut l’Émir, qui, accablé de tristesse mais plein de dignité, passa devant le front des escadrons. Abd El Kader est accompagné de Mustapha-Ben-Tami, de Kadour-ben-Hallal ainsi que de quelques autres chefs fidèles et du lieutenant Mohammed-bou-Khouïa.
L’Emir demande au colonel de pouvoir faire la 3ème prière de la journée (El Asr) dans la petite salle de prière du marabout de Sidi Brahim. Cousin de Montauban l’autorise sans difficulté.
Dirigé sur Djemmâa-Ghazaouât, Abd-El-Kader traversa le champ de bataille de Sidi-Brahim et, sous l’escorte de quelques chasseurs d’Afrique, arriva le soir même à Djemmâa-Ghazaouet, où sa famille l’attendait déjà, et où le général de Lamoricière arrivait en même temps que lui, escortant les cavaliers réguliers de l’Émir. A peine rentré, le général de Lamoricière alla rendre visite à l’Émir, qui lui fit présent de son yatagan.
L’Emir monta sa dernière jument, blessée comme lui, et s’avança, suivis de quelques serviteurs, vers le logis du duc d’Aumale. Avant d’y arriver, il mit pied à terre et marcha, conduisant sa monture par la bride, qu’il offrit au duc d’Aumale, sachant que là où il allait partir, il n’en aurait plus besoin.
Abd-El-Kader passa sa dernière nuit sur le sol algérien à Djemmâa-Ghazaouât dans la partie gauche du pavillon du Commandant d’Armes.
De Nemours, il embarqua sur le Solon, puis le 24 décembre 1847, c’est d’Oran que l’Asmodée emmena Abd-El-Kader non pas à Alexandrie ou à Saint Jean d’Acre, comme il le croyait, mais en exil à Toulon ! Il était avec son entourage, femmes, enfants, vieillards et blessés, c’est-à-dire quatre-vingt-dix personnes dont sa mère, Lalla Zohra, ses trois femmes, ses enfants et ses derniers khalifats fidèles.
PORTRAIT FAIT AU FORT LAMALGUE (TOULON)
EN CONCLUSION :
L’Emir ne s’est jamais rendu. En effet, si cela avait été le cas, il aurait été considéré comme prisonnier de guerre. Or, c’est lui qui a demandé la cessation les combats à ses conditions, car il ne voulait plus mener sa tribu à sa perte.
Les officiers français le disaient ouvertement et le générale Cavaignac lui-même avait affirmé que « L’Emir ne s’était pas rendu et nous ne l’avons pas fait prisonnier. Il aurait pu s’enfuir dans le désert par la ville de Sebdou. Mais il est venu à nous librement ».
En effet, l’Emir aurait pu s’échapper par Sebdou, mais il n’aurait pas pu emmener sa Daïra, car il savait qu’elle aurait été capturée par les colonnes infernales de Bugeaud qui sillonnaient les routes à cet effet. Homme d’honneur, il ne pouvait s’échapper seul et laisser sa Daïra aux mains de ses ennemis.
Ayant trahi une troisième fois la parole donnée, le gouvernement français avait une attitude ambigüe envers l’Emir, car il était leur prisonnier, non parce qu’il se serait rendu, mais parce que ce sont eux, ceux du gouvernement qui avaient failli à leur parole. Et Bugeaud, lui-même, était allé rendre plusieurs fois visite à l’Emir pendant son injuste emprisonnement, pour lui offrir terres, châteaux, argent, des positions enviables pour ses fils et pour son entourage. Mais l’Emir, fidèle à lui-même, refusa toutes les propositions qui lui avaient été faites, répondant que, même s’il lui apportait tout l’or du monde, il n’accepterait pas et que les Français mourraient avec la honte de leur manque de parole.
Bibliographie :
Sidi Brahim du capitaine Perrot
Sidi Brahim du général Azan
ABD-EL-KADER, sa vie politique et militaire par Alexandre Bellemare