HAWCH DE SIDI MOÛSA
Situation : après avoir franchi la porte de Taount, on accède assez facilement au tombeau de Sidi Moûsa, en empruntant, à gauche, le petit sentier gravissant la colline. Édifié un peu en contre-bas du fortin construit par le Génie militaire, il domine, à l’Est, la baie de Nemours.
Description : la sépulture de ce « Sayyid » fut à l’origine entourée d’une simple petite enceinte de pierres sèches, peu élevée en forme de fer à cheval. Tel qu’on le voit aujourd’hui, le mausolée de Sid Moûsa A été réédifié, vers 1924, aux frais de pieux musulmans.
L’enceinte rectangulaire en maçonnerie blanchie à la chaux (voir photo) mesure 5m 65 x 3m 30 et 1 m 70 de hauteur. Une petite porte de 0m 70 de largeur, posée de guingois, donne accès à l’intérieur du sanctuaire qui renferme la tombe de Sidi Moûsa, recouverte par trois rangées de carreaux : deux rangées marginales de carreaux rouges et une rangée médiane de carreaux blancs, de facture moderne.
Deux petites niches à offrandes et à bougies, comparables ici à des boites aux lettres, l’une de 0m 25 x 0m 15, l’autre de 0 m 20 x 0m 20, sont creusées dans l’épaisseur des murs, à l’intérieur de l’enceinte dont les quatre angles sont surmontés de merlons en gradins.
Tout près de cette construction funéraire, existe une petite tonnelle couverte par le feuillage de quelques pieds de vigne grimpante, plantés lors de la réfection du tombeau. On y voit aussi un figuier.
La légende de Sidi Moûsa – De son vivant, Sidi Moûsa avait choisi ce site pittoresque pour se sanctifier par une vie ascétique et contemplative. Il vivait d’aumônes, dans une anfractuosité de la montagne (dont il fit sa « Khalwa » – retraite), située à quelques mètres de l’endroit où il est inhumé.
Les gens de Taount l’apercevaient parfois du haut de leur bourgade, soit célébrant la prière au déclin du jour, soit accroupi devant la petite baie aux reflets de béryl, suivant des yeux le vol désordonné de quelques pigeons sauvages s’enfuyant à tire d’aile, ou la silhouette de quelque felouque s’estompant au large.
La réputation de sainteté de cet anachorète ne tarda pas à s’étendre dans toute la région circonvoisine. Un jour, son corps trouvé inanimé fut pieusement enseveli à l’endroit même où il rendit le dernier soupir et où il avait coutume de s’assoir pour prier et méditer.
Qu’était Sidi Moûsa ? D’après une légende que nous tenons de Hadj Bachir ben Goual, qui prétend que ses ancêtres, également originaires d’Andalousie, où l’un d’eux était cadi, étaient venus se fixer à Djemâa-Ghazaouât au temps des Turcs. Le moqaddem du saint était un noir du nom de Dâoudi, Sidi Moûsa, originaire d’Andalousie, serait venu à Djemâa-Ghazaouât (Nemours) vers le XVe ou XVIe ou XVIIIe siècle après que les Maures andalous, qui abandonnèrent la péninsule ibérique, vinrent eux-mêmes s’y fixer.
D’après une autre version sujette à caution, qui est celle du moqaddem actuel, un Marocain, du nom de Mohammed ben Salah Attabi, âgé de 68 ans, Sidi Moûsa serait le fils de Sidi ’l-Hasen, le fondateur de la tribu de Zâwiyet el Mîra. Sidi ’l-Hasen, comme on le sait (voir Basset, Nédroma et les Traras, Paris 1901, pp 45 et 46), a une qubba dédicatoire à Dechra Kébira, mais est enterré aux environs de Tlemcen dans le village et près de la mosquée qui porte son nom. Le territoire de Zâwiyet el Mîra, situé à l’ouest de Nemours, comprend entre les Msîrda de Nemours et les Suwâhliya, les douars suivants : Adjadjen, Dâr bou Median, Dechra Kébira.
D’après M. A Bel ; ce Sidi Lhasen ben Makhlouf er Rachidi, mort en 857 (1453) mena une vie ascétique ; il fut le conseiller et l’ami du sultan Abou Labbâs Ahmed, fils d’Abou Hammou II et son douzième successeur (1430-1462), et fut par conséquent le contemporain du Rabb Anqaoua. Ce fut le roi lui-même qui ordonna la construction du mausolée et de la mosquée pour honorer la mémoire de cet ami d’Allah (Guide illustré du tourisme, Toulouse, seconde édition p.56).
Si la version du moqaddem est exacte, Sidi Moûsa aurait vécu par conséquent au XVe siècle. Malheureusement, il n’est pas question de lui dans le Bostân fi dikri l-Aûliyâ’i wa-l-ulamâ’i bi Tilimsân, éd. Alger, 1907.
Le culte du saint : quoi qu’il en soit, le tombeau de Sidi Moûsa est très fréquenté par les musulmans des environs et surtout du quartier nommé « Brigandville », qui s’accroche aux premières pentes du promontoire de Taount.
Les femmes surtout viennent lui demander son intercession auprès d’Allah pour la guérison de leurs maladies : fièvres, maux d’yeux, abcès, etc… En outre, les pêcheurs viennent lui demander la capture de beaucoup de poissons pendant la saison de la sardine et de l’anchois et les cultivateurs, la pluie en période de sécheresse.
Deux fois par an, au printemps et à l’automne, il y a une « wa’da ». On vient y égorger des moutons et y manger des galettes de pain d’orge et des dattes.
Enfin, fait intéressant à noter, un grand nombre de juives de Nemours fréquent également le tombeau de Sidi Moûsa qu’elles vénèrent comme un des leurs. Certaines juives reconnaissent cependant, sans contestation, que Sidi Moûsa est un saint musulman. Elles y viennent de préférence le lundi, le mardi, et le vendredi pour obtenir du saint la guérison de leurs bébés atteints de d’entérite. Comme les musulmanes, elles allument une bougie dans le sanctuaire, font brûler un peu de benjoin ou d’encens dans un mejmar (braséro), et souvent font égorger, par le moqaddem, un petit poulet en l’honneur du saint. Cela est fait à l’extérieur du sanctuaire et le volatile est abandonné au moqaddem. Ce sacrifice a lieu, soit lors du premier pèlerinage, soit lors du troisième. En effet, pour obtenir la guérison certaine de l’enfant malade, le pèlerinage doit être entrepris trois fois. Enfin, elles accrochent aussi, en guise d’ex-voto, de petits foulards multicolores ou des rubans.
HAWITA DE LALLA GHAZWANA
Cette sainte était inhumée dans une simple « hawita » de pierres sèches, près du fortin construit par le Génie militaire, à l’Ouest du plateau dominant, à l’Est la ville et le port de Nemours.
Elle avait la réputation d’avoir été une femme guerrière d’un grand courage et chef des pirates et écumeurs de mer qui peuplaient la bourgade de Taount sous la domination turque. Au physique, Lalla Ghazouana était une très grande femme.
A sa mort, elle fut pieusement ensevelie près de la célèbre mosquée : Djâma Nour « la mosquée de l’auréole » qui existait autrefois sur l’emplacement même du fortin dont la construction, soit dit en passant, suscita des démêlés très vifs avec les pieux musulmans du pays qui obtinrent, par la suite, l’autorisation de pénétrer dans le fortin une fois par an pour y faire leurs dévotions.
D’après Canal (le littoral des Trara, Tlemcen, 1886, p. 131), « cette mosquée servait sous le prétexte impie de la religion, de lieu de rendez-vous à des bandes de pirates qui venaient y préparer leurs sinistres expéditions et y partager leurs butins ».
Quoi qu’il en soit, le tombeau de Lalla-Ghazouana, qui semble avoir été la sainte patronne de Taount, était encore assez fréquenté.
On raconte qu’après l’arrivée des Français et la construction du fortin précité, elle apparut plusieurs fois à un dévot pour lui ordonner de faire connaitre à tous ses coreligionnaires que sa dépouille mortelle ne reposait plus à Taount mais à Bagdad. Elle aurait ajouté, il est vrai : « que celui qui croit en moi visite le lieu de ma première sépulture s’il a une faveur à me demander ».
A cette époque, les tolba du pays l’invoquaient encore en période .de sècheresse pour obtenir d’Allah la pluie bienfaisante. Ajoutons pour terminer qu’un dicton populaire affirme que celui qui va quarante vendredis à la file visiter son sanctuaire- ne manquera pas de devenir riche. On racontait qu’une musulmane, qui faisait pour la quarantième fois le pèlerinage du sanctuaire, découvrit un sabre d’or qui disparut d’ailleurs à ses yeux après qu’elle eût fait sa prière.
HAWÎTA DE SÎDÎ MOHAMMED EL GHARIB
A 2 kilomètres environ à l’Est de Nemours, on remarque, un peu en contre-bas de le route du littoral qui mène à Sîdî Yûchâ, un bosquet de vieux thuyas et de lentisques arborescents, au milieu duquel s’élève une enceinte rectangulaire non couverte, renfermant le tome d’un saint musulman qui, de son vivant, se nommait Sîdî Mohammed el Gharib. On ne sait que bien peu de choses de ce « Walî » ; tout ce qu’on présumer, c’est qu’il était étranger, ainsi que l’indique son nom. Cependant, on croit qu’il serait originaire du Maroc.
Construit à la mode berbère, en pierres sèches superposées et enduite d’un grossier crépi en terre battue, le mausolée A plutôt l’allure d’une masure que d’un édicule funéraire.
L’enceinte rectangulaire mesure 4m20 x 3m25 et 1m50 de hauteur. Malgré sa faible élévation l’un des côtés (côté nord, faisant face à la route) est percé d’une ouverture de 0m60 de largeur encadrée de rondins de thuyas dont l’un fait office de linteau. Cette ouverture étroite est munie d’une porte de bois mal équarri et à moitié démolie. Une petite niche destinée à recevoir les offrandes des pèlerins : bougies et pièces de monnaies, est ménagée dans la paroi interne de l’enceinte.
Le tombe proprement dite, recouverte de 7 carreaux (six rouges et un noir), est limitée, à la tête et aux pieds, par deux autres carreaux, à moitié fichés en terre, ne laissant dépasser que la partie triangulaire.
Depuis 1927, le moqaddem du saint, qui habite une maisonnette à proximité du sanctuaire, est un musulman originaire de Gâames (fraction de la tribu des Suwâhliya) âgé de 68 ans : Chétioui Mohammed ben Mohammed.
On attribue à Sîdî Mohammed el Gharib le pouvoir de guérir spécialement les maux d’yeux et aussi les fièvres et les rhumatismes. Ce sont surtout les habitants de Sîdî Amar, des Oulâd Ziri, de Nemours et d’Aïn Kolla qui viennent l’invoquer, de préférence le jeudi et le vendredi, avant le lever du soleil.
Le malade atteint d’ophtalmie fait le pèlerinage le jeudi et le vendredi. La première fois, il doit se munir d’un œuf pondu le même (œuf du jeudi) et le déposer dans la niche à offrandes, après lui avoir fait toucher sept fois l’œil (ou les deux yeux) malade. Ceci fait, il baise dévotement la sépulture du défunt, lui adresse sa supplique et retourne chez lui. Le lendemain, il reprend l’œuf déposé la veille, le casse, en rejette le « vitellus » (jaune) et utilise l’albumine en guise de collyre et de liniment. Ce rite à forme magique est assez répandu parmi les ruraux de la région.
Les fiévreux doivent faire des fumigations avec des pincées de feuilles sèches tombées du lentisque qui ombrage la «hawita ». Le rite consiste à respirer plusieurs fois les fumées qui se dégagent de cette combustion opérée à l’aide d’un petit braséro de erre cuite (kanoun chez les ruraux, bû juwâl ou bû nâfekh chez les citadins), ordinairement posé sur le faîte de l’un des murs de l’enceinte rectangulaire.
A signaler encore que les rameaux d’un gros thuya, qui retombent en partie sur le mausolée, sont couverts de petits chiffons noués.
MARABOUT DE SIDI AMAR
Situation. – Cette qoubba funéraire est située dans le cimetière du village dit de Sidi Amar, sur le plateau du même nom (altitude moyenne 90 à 100 mètres), à l’E.-S.E. de Nemours, au milieu d’un bouquet de palmiers et de lentisques, à 400 mètres environ au S.-E. du (Domaine du Moulin».
C’est de cette qoubba vénérée que le plateau et le village tirent leur nom.
Description. – Elle est elle-même entourée d’une enceinte maçonnée, sensiblement carrée, munie d’une ouverture donnant accès dans une petite cour pavée de briques. La qoubba proprement dite, dont la partie intérieure n’est même pas carrée, est couverte par un dôme hémisphérique légèrement surélevé et surmonté d’un « djâmur » se terminant par un croissant lunaire.
Le « djâmur » est une tige de cuivre qui couronne la coupole d’un sanctuaire ou les merlons, ou le lanternon d’un minaret. Cette tige traverse une, deux ou trois boules rondes ou ovoïdes (comme dans la qoubba qui nous occupe) et se termine, soit en pointe de lance, soit par une étoile au centre d’un croissant lunaire, le tout en cuivre. Ici, l’étoile fait défaut.
Les quatre angles de la construction sont ornés de merlons assez grossiers surmontés eux-mêmes d’un croissant de cuivre. Une petite porte basse, possédant un heurtoir de cuivre non ouvragé permet de pénétrer à l’intérieur où se dresse un cénotaphe en bois recouvert de coussins, de tapis, de foulards multicolores, d’étendards de soie enroulés et de deux petites boites contenant du « jawi» (benjoin).
Enfin, du centre de 1a coupole pend, en guise de lampadaire, un œuf d’autruche garni à demi d’une ceinture formée de lanières de cuir.
La légende. – D’après Canal, (Les villes de 1’Algérie : Nemours (Djemmâa-Ghazaouât), (extrait de la Revue de l’Afrique Française, Paris, 1888, p. 26), cette qoubba abrite la dépouille mortelle d’un marabout du nom de El Hadj Sidi Amar, qui vécut vers le XIIe siècle de notre ère. Vieillard vénéré, sollicité à ses derniers moments de faire connaitre le lieu qu’il avait choisi pour sa sépulture, il répondit : « Dieu le sait ; Dieu y pourvoira. Après ma mort, chargez mon corps sur une mule noire et laissez-la marcher au gré de sa fantaisie. A l’endroit où elle s’arrêtera, creusez une fosse, ce sera là ma dernière demeure ».
Cette légende est à rapprocher de celles rapportées par R. Basset (Nédromah et les Traras, loco cft., pp. 31 et33, et aussi 71-72), selon lesquelles de nombreux saints sont inhumés à l’endroit où s’agenouillent une chamelle, un chameau ou une mule portant leur dépouille. C’est ainsi par exemple que le corps d’Ahmed el Bedjai «fut placé sur une chamelle à qui on laissa prendre la direction qu’elle voulut. A l’endroit où elle s’agenouilla, on bâtit un tombeau et une mosquée».
« II y a lieu de croire, rapporte Canal (Le littoral des Trara, Tlemcen, 1886, pp. 148-149) qu’elle n’alla pas bien loin, car la Kouba qui renferme le tombeau de Sidi Amar n’est pas à plus de 300 pas du village. Ce petit mausolée fut construit peu de temps après l’inhumation du saint marabout sur la fosse même ».
Selon une légende accréditée à l’époque dans le pays, Sidi Amar et son serviteur noir auraient été assassinés pendant qu’ils priaient, par un homme des Trara qui avait juré de tuer la première personne qu’il rencontrerait sur son chemin, à l’époque où les Suwâhliya et les Trara étaient en guerre. On ajoute que le saint homme qui était jeune et célibataire, n’aurait exhalé le dernier soupir qu’après avoir eu le temps de terminer son oraison. Quant à son assassin il fut, dit-on, dévoré par les bêtes sauvages alors qu’il s’enfuyait et que sa chair, rongée de vers, se détachait spontanément, légende rapportée par Hadj Bachir Ben Goual.
D’après certains musulmans lettrés et dignes de foi, Sidi Amar s’appellerait Sidi’Amar ben Antar et aurait été originaire de Djebel Antar, nom d’une montagne du Sahara.
Quoi qu’il en soit, le sanctuaire de ce « wali » était sans contredit le plus vénéré de la commune de Nemours, car Sidi Amar est le « moulay al blad », le saint-patron, l’ancêtre éponyme du village. Tous les ans, après le séchage des figues, une « wa’da » (fête patronale) donnait lieu à des sacrifices rituels et à des festins champêtres. On y venait des Beni Mishel, des Suwâhliya, des Djbala, des Oulad-Ziri, de Djama Sakhra, etc. Pour rehausser la fête, les cavaliers et les caïds de ces tribus organisaient une brillante « fantasia », tandis que d’autres exécutaient la « danse du fusil ».
On attribuait à Sidi Amar le miracle suivant : un musulman ayant volé des vaches à l’un de ses coreligionnaires à proximité de la qoubba, fut tout surpris, après une nuit de marche forcée, de se retrouver, au lever du jour, à l’endroit même où il avait commis le vol.
On racontait encore qu’un autre voleur du village, que Sidi’Amar voulait précipiter à la mer, fut sauvé grâce à la généreuse intervention de Sidi Mohammed el Gharib qui demanda à Sidi ’Amar de pardonner afin que le corps impur du coupable n’eût pas à passer au-dessus de son propre mausolée. Sidi Amar se serait alors contenté de faire tomber le voleur à mi-chemin entre sa qoubba et le sanctuaire de son ami Sidi Mohammed el Gharib.
Le culte du saint. C’était de préférence le jeudi et le vendredi que les dévots faisaient le pèlerinage de son tombeau pour obtenir la guérison de leurs maladies, Sidi Amar ayant la réputation de guérir notamment les maux d’estomac, les migraines et les fièvres. On peut y voir les femmes prélever un peu de terre (imprégnée de la « baraka ») pour l’appliquer sur la partie malade.
D’ailleurs, elles emportaient souvent une petite quantité de terre afin de pouvoir poursuivre le traitement à domicile. Elles ne repartaient pas sans déposer dans une boite quelques pièces de monnaie qui serviront au Moqadem pour l’achat de foulards ou de tapis destinés à la mosquée de Sidi Amar. Certains malades graves passaient la nuit dans la qoubba (incubation thérapeutique).
Les femmes s’y rendaient surtout le lundi qui passait pour être le jour le plus propice. Les tirailleurs de la garnison y allaient le dimanche. Quant aux autres musulmans, ils préféraient s’y rendre quand la qoubba était déserte.
MQÂM DE MOULAY ABD-EL QADER EL DJILANI
Cet oratoire était situé également sur le plateau de Sidi Amar, à 180 m. environ au S.-E. de la qoubba du même nom, au milieu d’un terrain cultivé à l’endroit même où se serait arrêté Sidi Abd el Qader el Djilani « saint le plus honoré dans toute l’Algérie, originaire de Guilân en Perse où il naquit en 470 hég. (1077-1078) » (Cf. Basset, Nédromah et les Traras, loco. Cit., p. 39. Voir aussi pp 40, 41, 52, 81, 105, 125, 127, 128, 130).
Nombreux sont dans toute l’Afrique du Nord les mqâms de Sidi Abd el Qader el Djilani, sur les sommets de montagnes et de collines. R. Basset, dans son « Nedromah et les Traras » cite 10 monuments dédiés à ce saint : une mosquée à Beghaoun (Suwâhliya), 4 hawch (Safra, Djbâla, Béni-Mishel et à Hadnana), 3 hawita (Oulâd Zenaga, Oulâd Fadhel, les Beni-Ziani et les Oulad ‘Aicha) et 2 maqamat (Hedahda et Hadadna).
Le mqâm en question se rattachait nettement au type hawita. C’était une simple enceinte de pierres sèches, ayant 1 m. 50 environ de hauteur en forme de fer à cheval. L’entrée, orientée sensiblement au S.-E., mesurait 0 m. 90 de largeur. Deux vieux thuyas et deux lentisques arborescents, encastrés dans l’épaisseur de l’enceinte, ombrageaient en partie ce modeste mausolée dont le sol est envahi par la végétation : asparagus, arisarum et par les infrutescences tombées des thuyas (janvier 1945).
QUBBA DE SIDI MOHAMMED BEN EZ ZERGA OU ZERKÂ
Situation. – A 5 km. 900 de Nemours, sur la hauteur qui domine à gauche, la route se dirigeant vers Nédroma, se dressait, au milieu d’un bosquet d’oliviers, la blanche qoubba de Sidi Mohammed ben ez Zerga, entourée d’une petite enceinte de pierres sèches et de quelques figuiers de Barbarie.
Description de la qoubba. – La partie cubique, est recouverte d’un toit en forme de dôme surélevé, rappelant quelque peu l’extrémité d’un pain de sucre et se terminant par une boule de poterie recouverte d’un émail vert. E. Laoust (Le folklore marocain, in : Le Maroc, encyclopédie coloniale et maritime, p. 448), écrivait, parlant du mauvais œil : « Des éléments architecturaux qui enjolivent des monuments profanes et religieux semblent bien aussi avoir pour raison première leur protection contre le mauvais regard plutôt que leur embellissement : les boules vernissées qui garnissent les angles et le sommet de nombreux sanctuaires n’ont pas d’autre origine ». Des merlons coniques ornent les quatre angles supérieurs de la construction et l’entrée rectangulaire du mausolée est munie d’une porte de bois pouvant se fermer à l’aide d’un verrou extérieur ».
En pénétrant dans l’édicule, on constatait qu’il abritait deux tombes disposées côte à côte, perpendiculairement à l’ouverture d’entrée. L’une d’elles était recouverte de simples carreaux rouges scellés ; l’autre, de carreaux polychromes modernes. Le sol était également carrelé (carreaux rouges analogues à ceux qui recouvraient l’une des deux tombes).
A gauche, en entrant, on remarquait, suspendue au mur, une vieille boîte aux lettres dépourvue de porte, servant à recueillir les offrandes des fidèles. Elle contenait souvent des piécettes. A proximité de cette qoubba les rameaux d’un vieux lentisque étaient couverts de petits chiffons noués. C’était l’un des rites par lesquels les musulmanes avaient l’habitude de se débarrasser de leurs maux.
La légende de Sidi Mohammed ben ez Zerga. – D’après la tradition orale, ce saint musulman aurait vécu vers le XVIIe siècle de notre ère et serait un ancêtre de la famille Zrouka Oulad ben Amar, du village des Oulad-Ziri, situé à proximité de Nemours. C’est tout ce que l’on savait de ce personnage religieux de l’Islam.
Le moqaddem de l’époque, qui était un de ses descendants, se nommait Karour Abd el Malek. II habitait le village de Sidi Amar.
Le culte du saint. – Les musulmans des alentours, les femmes surtout, venaient en pèlerinage lui demander spécialement la guérison de leurs maux d’yeux, de dents et d’estomac. On dit aussi qu’il avait le pouvoir de délivrer les fous possédés par les Jnoun (mauvais démons). Trois jeudis de suite, au lever du soleil, les possédés étaient enfermés dans la qoubba, de gré ou de force, durant un laps de temps variable (un quart d’heure à 20 minutes) jusqu’a ce qu’ils frappaient à la porte et demandaient à sortir).
Les personnes atteintes d’ophtalmie ou autres maux d’yeux devaient, durant trois jours consécutifs, s’enduire le pourtour des yeux avec la gomme qui s’écoulait spontanément d’une fissure d’un vieil olivier sauvage situé à proximité. Comme l’écoulement spontané ne se produisait qu’à certaines périodes de l’année, il fallait croire que le moqaddem pratiquait de temps en temps une incision sur le tronc de l’arbre qui laissait alors exsuder la gomme ou résine d’olivier. Certain employaient cependant le suc des feuilles obtenu par expression.
Ce traitement avait la réputation d’être d’une efficacité certaine. Le malade était définitivement guéri après la troisième application de cette gomme quasi-sacrée. D’après Abou Bekr Abdeslam (notes sur les amulettes chez les indigènes algériens, in: Revue Africaine, LXXXI, n° 372, 373, 193 p. 316, note 3), qui cite ma-azzaitoun (la sève de l’olivier): « L’olivier est considéré comme béni. Coran, chap. XXIV, verset 35. Peut-être parce que la colombe de l’arche de Noé apporta à son bec, lors du retrait des eaux, une branche d’olivier, ainsi que le dit l’Évangile ».
BIT SIDI SAÏD
Situation. – Le tombeau de Sidi Saïd, entouré de figuiers de Barbarie et d’oliviers, est situé à 5 km. 800 de Nemours, à gauche, en bordure de la route menant à Nédroma, exactement en face de ce qui était à l’époque le « Domaine du Roft » propriété qui appartenait à M. Rocca d’Huyteza.
Description du sanctuaire. – Comme l’indiquait son nom, c’était une simple chambre, rectangulaire, blanchie à la chaux, à couverture en terrasse, supportée par cinq chevrons supportant eux-mêmes des rondins jointifs de thuyas sur lesquels avait été coulé le mortier.
L’ouverture par laquelle on y pénétrait avait une forme d’arc lancéolée. L’intérieur était d’une pauvreté sordide. Le sol était en terre battue et la sépulture n’était même pas indiquée. Par contre, il existait encore deux petites niches à offrandes. L’une contenait souvent une bougie neuve et des pièces de 20 centimes, l’autre abritait un petit kanoun utilisé par les fidèles pour brûler du benjoin ou de l’encens, en l’honneur du saint homme enterré là.
La légende. – Sidi Saïd était un noir, mais d’après certains habitants, c’était un mulâtre qui fut, dit-on, le moqaddem de Sidi Mohammed ben ez Zerga, dont la qoubba funéraire était située à une centaine de mètres plus loin, au milieu d’un bosquet d’oliviers séculaires.
Le culte. – Comme son saint patron, Sidi Saïd jouissait du privilège de guérir les maux d’yeux et aussi les maladies infantiles. On lui y amenait les enfants âgés de 6 à 8 mois, et en particulier ceux qui refusaient obstinément de téter. Le pèlerinage avait lieu plusieurs fois dans la même semaine sans qu’il y ait eu un jour déterminé et particulièrement propice. On remerciait le saint guérisseur en lui offrant des bougies.
DÂR AMOÛR OU LALLA DÂR AMOÛR
Ce sanctuaire consacré à une sainte musulmane était situé près du village d’Ain-Kolla, sur la gauche du sentier conduisant à la source, à quelques mètres d’un olivier et d’un très vieux térébinthe (botma), sur un tertre dominant la vallée de l’oued el Mersa.
Il s’agissait en réalité d’une simple chambre construite sur plan rectangulaire avec de médiocres moellons assemblés à l’argile, sans crépi extérieur, réalisant le type des pauvres habitations rurales du pays. Elle mesurait intérieurement 4 m. 70 de longueur, 2 m. 30 de largeur et 2 mètres environ de hauteur. Cette chambre n’était aérée que par une seule ouverture (sans porte) y donnant accès.
Sa toiture était constituée par une douzaine de perches de thuyas soutenant divers branchages et broussailles, le tout recouvert de terre battue. Le sol de cette chambre, longue et étroite, était en terre battue. On y remarquait à droite, en entrant, un trou d’où les malades prélevaient toujours un peu de terre employée comme médicament, à gauche, la niche à offrandes traditionnelles et, dans un coin, une civière utilisée par les habitants d’Ain-Kolla pour transporter leurs morts
La tombe de la sainte n’était pas apparente. En avant de cette construction, du côté de l’ouverture (côté Est) existait une enceinte de pierres sèches à peu près circulaire et de faible élévation à l’intérieur de laquelle on distinguait, çà et là, quelques tombes (sept à l’époque)) plus ou moins anciennes, limitées seulement à la tête et aux pieds par deux pierres brutes. D’autres tombes existaient aussi à l’extérieur de la muraille (l’enceinte).
La légende. – On sait bien peu de chose sur cette sainte appelée communément Lalla Amoura et à laquelle la famille Amamra, qui habitait Ain-Kolla, prétendait rattacher son origine. De son vivant elle habitait la maisonnette devenue son sanctuaire par la suite. Les gens d’Ain-Kolla et des alentours venaient souvent lui rendre visite car elle avait déjà la réputation de guérir toutes les maladies.
A l’époque, on venait l’implorer notamment pour la guérison des enfants malades, âgés de moins de quatre ans. II n’y avait pas de jour fixé par le rituel populaire.
HAWCH DE SÎDÎ BRAHÎM OU BRAHAM
Situation. – Le sanctuaire de ce saint était situé dans un champ de terre labourable, à 200 mètres à l’ouest du village d’Ain-Kolla, non loin des bâtiments de l’ancienne ferme Roméro. Adossé à un monticule, près d’un olivier, il dominait un petit ravin. Le vieil olivier qui existait autrefois s’était perpétué par 9 rejets après avoir été coupé un peu au-dessus du niveau du sol par son ancien propriétaire. La partie du tronc qui subsistait, d’un diamètre peu commun, était creusé d’une cavité pouvant abriter un homme accroupi.
Description. – Le mausolée se compose d’une enceinte rectangulaire, en excellente maçonnerie blanchie à la chaux, mesurant extérieurement 3 m. 10 de longueur, 2 m. 00 de largeur et 1m. 80 de hauteur, ornée aux quatre angles de merlons en gradins et munie d’une ouverture, sans porte, de 0 m. 08 de largeur.
En y pénétrant on constatait, près du seuil, l’existence d’un trou creusé dans le sol cimenté, permettant aux fidèles de prélever un peu de terre végétale sous-jacente. La niche à offrandes traditionnelles était aménagée dans l’épaisseur du mur de l’enceinte à droite en entrant.
La légende. – Le saint qui serait enterré là s’appellerait Brahim ou Braham. C’est un fait avéré, qu’indépendamment des saints bien connus de leur vivant, les musulman reconnaissaient également comme « wali » les défunts anonymes dont la sépulture dégageait des feux follets. Ces flammes légères et produites par les émanations de phosphore d’hydrogène spontanément inflammables, étaient considérées comme surnaturelles par les ruraux qui y voyaient le doigt d’Allah pour leur désigner la sépulture d’un saint homme et l’emplacement des mausolées (hawita ou hawch) qu’ils devaient bâtir. Aussi s’empressaient-ils de repérer l’endroit où ce phénomène, qui n’avait rien que de très naturel, s’était manifesté, en y entassant provisoirement des pierres. Dans ce cas, le personnage anonyme était le plus souvent, surnomme Sidi bû Qnadil « Monseigneur des Lumières » ou « l’homme aux quinquets ».
C’est exactement ce qui s’était produit pour ce saint, encore que l’initiative de la construction de son mausolée serait venue d’un colon européen, dans les circonstances suivantes : des habitants d’Ain-Kolla et des alentours apercevaient souvent, vers le soir, des « petites lumières » (lueurs) près du vieil olivier cité plus haut. Les ayant vues à son tour, M. Roméro, colon européen habitant à proximité, résolut de consulter un « taleb » du village d’Ain-Kolla, un certain Si Abid Abdeslam (cet ancien imam décéda en 1940) qui, après avoir compulsé de vieux papiers jaunis par le temps, décréta qu’on se trouvait manifestement en présence de la sépulture d’un saint personnage de l’Islam (marabout), appelé Sidi Braham.
C’est ainsi que M. Roméro, sans doute pour capter la « baraka » du marabout défunt et se concilier du même coup les bonnes grâces des musulmans, fit construire, à ses frais vers 1921-1922 et par des maçons européens, le mausolée décrit ci-dessus afin de signaler les restes de ce saint à la piété des fidèles. L’emplacement où il s’élevait se serait trouvé dans l’ancien cimetière d’Ain-Kolla. On y voyait encore quelques vieilles tombes, et parfois, en labourant le terrain environnant, des ossements humains étaient mis à jour par le sac de la charrue.
Les habitants étaient convaincus que ce geste généreux avait porté bonheur à son auteur qui était devenu riche par la volonté du saint. Depuis cette époque ce colon organisait tous les ans, (vers la fin août, début septembre), une « wa’da » à laquelle étaient conviés l’imam, les tolbas et les habitants d’Ain-Kolla et des alentours. Lui-même faisait sacrifier, en l’honneur du saint, un mouton de son troupeau. La fête qui avait lieu de jour, débutait à midi et prenait fin vers les 4 heures de l’après-midi. Les hommes seuls y assistaient.
Le culte. – Ce qui frappait le plus le visiteur qui pénétrait dans ce « hawch » consacré à Sidi Brahim c’était la présence de nombreuses faucilles usagées et rouillées entreposées sur le faîte du mur opposé à l’entrée. Elles servaient à accomplir le rite par lequel s’opérait la guérison des malades. En effet, Sidi Braham était spécialement invoqué pour les affections des voies respiratoires et des poumons (toux, bronchite, etc.). Les femmes qui y menaient leurs enfants se munissaient presque toujours d’une vieille faucille qu’elles passaient une fois sous la gorge du malade et qu’elles abandonnaient après usage, en ex-voto. Cf. Laoust (Le folklore marocain, loco cit., p. 449), parlant des moyens employés pour soigner les mauvais esprits, écrivait : « Les Jnoun craignent aussi le fer et l’acier. La croyance en la vertu magique du fer reporte à la préhistoire. On connait la coutume de mettre dans les silos une faucille usagée ou une vieille lame de couteau, et surtout de clouer un fer à cheval sur la porte des maisons et des étables ».
C’était surtout les femmes d’Ain-Kolla et de Tient quelquefois, qui faisaient le pèlerinage de ce tombeau, accompagnées de leurs enfants. On dit aussi que Sidi Braham guérissait les maux d’yeux et calmait les gencives douloureuses des jeunes enfants de 6 mois qui perçaient leurs premières dents.
L’EMPREINTE DE SERHAN (CHEVAL DE SIDNA ALI)
A 1 km. 500 au S.-E. environ de Nemours, sur la hauteur qui domine à l’est le jardin Eyries, l’oued Ghazouanah et le chemin départemental n°46 (de Nemours à Nédroma) on remarquait l’existence d’une petite empreinte de pierres sèches de faible élévation (hawita), ombragée par un lentisque et quelques vieux thuyas dont les rameaux étaient couverts de lambeaux d’étoffe.
A l’intérieur de ce misérable entourage, on distinguait très nettement sur le sol calcaire (tuf), deux empreintes affectant à s’y méprendre l’une la forme d’un pied humain, l’autre celle d’un sabot de cheval, d’une grandeur démesurée.
La légende. – Les autochtones affirmaient qu’il s’agissait là des traces laissées par Ali ben Abou Taleb, gendre et cousin du Prophète Mohammed et par l’un des sabots de son coursier « Serhan » à la suite d’un saut prodigieux de plus de 500 mètres dont le point de départ initial aurait été la crête des falaises du village des Oulad Ziri.
Bien entendu, seul le cheval de Sidi Ali, ce « champion de l’Islam », auquel la légende populaire attribuait une taille gigantesque, pouvait laisser une empreinte semblable. Certains musulmans reconnaissaient cependant qu’il y avait erreur, étant donné, disaient-ils, qu’Ali ne serait jamais venu dans cette région. II s’agirait alors d’un autre compagnon du Prophète, peut-être Abd Allah ben Djaafar, le conquérant de l’Afrique. Mais comme le dit si bien Desparmet (loc.cit., p. 219) : « tous les héros de l’épopée arabe ont une tendance manifeste à se fondre dans le personnage légendaire d’Ali. II est le « héros des héros », le chevalier des Orients et des Occidents, l’épée d’Allah dégainée… ». J. Desparmet (Les chansons de geste de 1830 à1914- dans la Mitidja, planche II), donne la reproduction d’un tableau populaire représentant « Sidi Ali ben Taleb, Khalife du Prophète, combattant Ras el Ghoul (l’ogre) ». Monté sur un cheval noir, il transperce l’ogre de son épée bifide.
Quoi qu’il en soit, cet endroit appelé par les musulmans « le pied de Serhan » ou plus simplement « Serhan» était très fréquenté par les femmes musulmanes qui accrochaient des morceaux d’étoffe aux branches du thuya sacré lorsqu’elles y venaient avec leurs jeunes enfants malades. « Serhan », en effet, avait la spécialité de les guérir des maux de gorge et des maladies des voies respiratoires.
Le pèlerinage devait se faire le matin avant le lever du soleil un jour quelconque de la semaine. A cette heure matinale, les femmes devaient se faire accompagner par un homme, mari ou proche parent.
L’un des rites consistait essentiellement, après avoir prononcé l’invocation, à faire brûler quelques pincées de feuilles sèches, ramassées sur le thuya et à respirer les fumées qui s’en dégageaient (fumigations). Le plus souvent aussi le malade s’exposait aux fumées qu’il s’efforçait de faire pénétrer à travers tous ses vêtements pour s’imprégner le plus possible de la « baraka ».
Le second rite suivi est analogue à celui pratiqué au sanctuaire de Sidi Braham : la maman passait successivement sous le menton de son enfant malade, une, trois ou sept faucilles. Ici encore on constatait près de l’enceinte un amas de vieilles faucilles, des débris de fer à cheval et des fragments de cercles de tonneau. Les bougies laissées par les pèlerins étaient recueillies par les « tolba ».
Le culte rendu à « Serhan » nous apparaît comme un exemple typique de culte idolâtrique dont l’Islam s’est emparé pour le rendre licite, en y mêlant le souvenir du compagnon inséparable et préféré du Prophète.
Nous commencerons l’étude des sanctuaires situés sur le plateau des Oulâd Zîrî par les sépultures des Oulad ben Abd-er-Rahmân.
SEPULTURES DES BEN ABD ER RAHMAN
C’est dans le vieux cimetière du village des Oulad Ziri qu’étaient inhumés plusieurs personnages vénérés appartenant à une même famille maraboutique, les Oulad dont l’ancêtre, Sidi bou Djemaâ, s’était fixé dans le pays vers le XVIIIè siècle de notre ère. Par la suite, tous les descendants de ce « wali » qui étaient des « « tolba » jouirent durant leur vie d’une grande réputation pour leur savoir et leur piété.
Parmi ceux-ci nous parlerons de Sidi ‘Abd er Rahmân, surnommé Mûl z-Zitûna, puis de Sidi Mohammed et de ses quatre fils.
SIDI BOU DJEMAA BEN ‘ABD ER RAHMAN (MUL N-NAKHLA)
Quelques pierres seulement marquaient l’emplacement de sa sépulture qu’ombrageaient un très vieux palmier, des lentisques arborescents et quelques jujubiers sauvages. On prétend que la qoubba construite autrefois sur sa tombe se serait effondrée par la volonté du saint, quelques jours après qu’elle eut été terminée.
La légende – Originaire d’Alger, il aurait habité successivement Montagnac avant de se fixer définitivement chez les Oulâd Ziri où il rendit le dernier soupir. En outre, d’après l’un de ses descendants, Mrabet Derrer, qui était le fils de Mohamed Ben Mohammed Ben ‘Abd er Rahmân, âgé à l’époque de plus de 70 ans et décédé le 13 août 1947, il serait le fils de Sidi bou Djemaâ (enterré à Tlemcen, à 100 mètres de la porte de Fès, sur la route de Mansoura), le petit-fils de Sidi Hossini ben ‘Abd er Rahman, enterré à Montagnac et l’arrière-petit-fils du célèbre Sidi ‘Abd er Rahman et Ta’alibi, patron d’Alger, inhumé à côté de la Médersa, dans le quartier de Bab-el-Oued. Ce saint personnage de l’Islam en 788 hég. (1387) et mourût en 875 hég. (1470).
D’après Trumelet, (L’Algérie légendaire, en pèlerinage çà et là aux tombeaux des principaux thaumaturges de l’Islam, Alger, 1892, pp. 494-495), « Sidi bou Djemaâ dont le mausolée s’élève sur la route de Mansoura, vivait dans le courant du XIVe siècle de notre ère et n’était qu’un pauvre chevrier (né dans la montagne des Trara), avant de partir pour Tlemcen où il s’arrêta pour s’établir devant la porte d’El Kechchout ». Mrabet Derrer lui donnait le nom de Sidi bou Djemaâ ben Hossini ben ‘Abd er Rahman.
Sans s’appesantir sur cette parenté invraisemblable qui, sans nul doute, est de pure invention ici, il faut simplement remarquer que « notre » Sidi bou Djemaâ ben ‘Abd er Rahman est le plus souvent appelé « Sidi bou Djemaâ » tout court ou « Sidi Mul n-Nakhla », « Monseigneur le maître du palmier », en raison du palmier dont il a été question ci-dessus.
Le culte. – Les musulmans attribuent à ce « wali » le pouvoir miraculeux de guérir toutes les maladies et, en particulier, les affections de poitrine : rhume, bronchite, coqueluche, etc.
Les feuilles du palmier séculaire qui indique le lieu de la sépulture sont douées, d’après la tradition, de vertus curatives vraiment merveilleuses. En effet, les malades qui y. venaient en pèlerinage devaient porter, durant 3 ou 4 jours, un collier fait de deux lanières de feuilles. Ce collier, une fois la guérison obtenue, ne doit jamais être mis au rebut, ni brûlé. On a coutume de le déposer près du palmier. Tous les animaux et les vaches en particulier sont traités de la même façon. La confiance en ce saint vénéré est si grande que les malades graves, considérés comme perdus, sont transportés, même de nuit, sur sa sépulture. A noter, pour finir, que le lentisque le plus rapproché était couvert de chiffons que les femmes y accrochaient.
SÎDÎ ’ABD ER RAHMÂN (MÛL Z-ZITÛNA)
Il est inhumé à 200 m environ de son père (Sîdî bou Djemaâ). Sa tombe entourée de quelques pierres, est marquée par un vieil olivier sauvage qui a valu à ‘Sîdî Abd er Rahman le surnom de « Mûl z-Zitûna, le maitre de l’olivier ». il a la spécialité de guérir les maux d’yeux (ophtalmie).
Le culte. – Au cours du pèlerinage qui a lieu un jour quelconque de la semaine, avant le lever du soleil, les les malades utilisent en collyre la sève qui s’écoule à la base de l’olivier, par une fissure.
SÎDÎ MOHAMMED BEN ‘ABD ER RAHMÂN
Fils du précédent, il était aussi enterré dans le cimetière des Oulad-Ziri.
II eut quatre fils : Mohammed ben Mohammed, surnommé El-Kébir M’Hammed ben Mohammed, Hadj Bachir ben Mohammed et Mohammed ben Mohammed, surnomme Séghir.
Le second et le troisième étaient frères jumeaux
a) Sidi Mohammed el Kébir : Fils aîné de Sidi Mohammed ben ‘Abd er Rahman, il était né aux Oulad Ziri et avait étudié le Coran à Gnadis (Suwahliya) près d’Ain-Zemmour où il résidait. Quand il mourut, en 1886, les habitants de Gnadis, qui avaient pu apprécier la valeur et la piété de leur vénéré « taleb », insistèrent avec force auprès de la famille des Oulad ben ‘Abd er Rahman pour que sa précieuse dépouille, source de « baraka », demeurât dans leur village. C’est pour cette raison que Sidi Mohammed ben Mohammed ben ‘Abd er Rahman, dit El Kébir ne fut pas enterré dans son village natal.
b) Sidi M’Hammed ben Mohammed : Naquit aux Oulad-Ziri, mais se fixa à Djâma Sakhra (Suwahliya), près du pont des Trembles sur la route menant de Nemours à Nédroma, où il mourut en 1901 et où il fut enterré.
Sa tombe était visitée par les musulmans de l’endroit et des alentours qui l’invoquaient pour la guérison des fièvres. Le fiévreux buvait un peu, d’eau à laquelle était ajoutée une pincée de terre de sa sépulture.
Les deux fils de ce saint guérisseur: Si Abd el Qâder ben Mohammed et Mrabet Derrer ben Mohammed vivaient encore à l’époque de ces faits. C’est ce dernier qui avait donné la majeure partie des renseignements concernant les Oulâd ben Abd er Rahmân.
c) Hadj Bachir ben Mohammed : Frère jumeau du précédent, il mourut en 1918 et fut inhumé aux Oulâd-Ziri.
Il a la réputation de guérir les fièvres et aussi les maux de ventre : colique, dysenterie, etc. Le rite consistait à absorber un peu de terre de sa sépulture à l’aide d’une petite quantité d’eau chaude et sucrée. Ce remède pouvait être pris soit sur le lieu de sa sépulture, soit à domicile.
d) Mohammed ben Mohammed Séghir : Né aux Oulad-Ziri, il mourut en 1911 et fut enterré, comme l’un de ses frères, à Djâma Sakhra.
Ainsi donc, des quatre fils de Sidi Mohammed ben ‘Abd er Rahman, seul Hadj Bachir ben Mohammed est enterré dans le cimetière des Oulad Ziri.
HAWITA DE SIDI HADJ BEL KHEIR
La tombe de ce saint est située dans le vieux cimetière des Oulad Ziri, à 100 mètres environ de celle de Sidi ‘Abd er Rahman (Mûl z-Zituna). Elle était clôturée par une petite enceinte basse en pierres sèches (hawita).
La légende. – On prétend qu’il était d’origine chérifienne et qu’il venait du Sahara (Tafilalet). Les musulmans les mieux informés du village assuraient que Sidi Hadj Bel Kheir vint se fixer aux Oulad-Ziri bien avant Sidi bou Djemaa ben ‘Abd er Rahman surnomme Mull n-Nakhla.
Quoi qu’il en soit, sa tombe était très visitée, car le défunt avait le pouvoir de guérir les fièvres. Le malade devait s’étendre sur sa tombe trois jours de suite (de préférence le mercredi, le jeudi et le vendredi) durant 2 ou 3 heures (incubation thérapeutique).
HAWCH DE LALLA FA’TNA
Situation. – Le mausolée de cette sainte femme, situé sur le plateau des Oulad Ziri, était adossé contre le mur d’une maison d’habitation du village, d’où l’on dominait le ravin où coule l’oued Melah. Il a été construit vers 1932, aux frais d’un riche musulman de Nemours, M. Hadj ben Salah, originaire de Beghaoun. Auparavant, la dépouille mortelle de Lalla Fatna reposait près d’une petite chambre qui servait d’oratoire et qui menaçait de s’écrouler.
Description. – La tombe, marquée par un léger exhaussement de terre entourée de briques mal jointes, se trouvait à l’intérieur d’une enceinte rectangulaire bâtie en maçonnerie, revêtue d’un crépi au ciment et mesurant 3 m. 90 x 3 m. 70 et 1 m. 30 environ de hauteur. Les quatre angles étaient surmontés de merlons scalaires (de 7 marches droites) en briques. On pénétrait dans cette petite cour à ciel ouvert par une ouverture de 0 m. 70 de largeur.
La légende. – Une tradition, rapportée par l’ancien Cheikh des Oulad Ziri en mars 1941, faisait de Lalla Fatna la fille de Sidi Brahim dont la célèbre qoubba historique, située à 10 km au S.-W. de Nemours, servit de refuge aux survivants de la colonne Montagnac. C’est pourquoi on lui donnait quelquefois le nom de Lalla Fatna bent Brahim ou Braham. Certains musulmans affirmaient qu’elle serait née à Sidi Brahim et qu’elle n’avait pas toute sa raison.
D’après M. Guin, ancien interprète principal de la division, d’Oran, Sidi Brahim el Bedai serait originaire des Bedea, un des groupes venus d’Espagne lors de la grande expatriation.
Le culte de la sainte – Lalla Fatna- était surtout invoquée pour la guérison des maux de gorge, des hernies, des furoncles, des abcès et des enflures de toutes sortes. Les malades devaient s’appliquer un cataplasme préparé avec la terre qui recouvrait la sépulture, qu’ils mêlaient soit avec du vinaigre ou de l’eau, soit encore avec de la poudre de henné. Très visité, le hawch de cette sainte était entretenu par la piété des habitants du village des Oulad Ziri. II n’a pas de moqaddem.
QUAWIRA DE SIDI BEN AISSA
Situation et description. – L’édicule qui marquait l’emplacement de la sépulture de cet saint était situé sur le plateau des Oulad-Ziri, à 50 mètres environ de l’école française.
C’était une enceinte rectangulaire, extrêmement grossière, bâtie en maçonnerie de moellons et d’argile et mesurant 6 m. X 4 m. et 0 m. 65 de hauteur moyenne. Une étroite ouverture, n’ayant pas plus de 0 m. 65 de largeur, permettait d’y pénétrer. A noter à l’intérieur l’existence d’une niche à offrandes.
La légende. – On ne sait absolument rien de précis sur ce santon. Les uns disaient qu’il était originaire du Tafilalet, d’autres de Mascara. On admettait néanmoins qu’il vivait i1 y a au moins quatre siècles.
Le culte. – Ce sanctuaire, qui n’était plus assez fréquenté, paraissait quelque peu abandonné. Cet abandon était dû à l’absence de moqaddem et aussi à ce que le saint n’avait pas de descendants dans le village. En 1941, l’enceinte en partie effondrée était envahie par les herbes et les broussailles.
Cependant, Sidi ben Aissa passait pour guérir les jeunes enfants, âgés de 8 à 15 mois. Il s’agissait le plus souvent de bébés qui pleuraient et dont on ignorait la maladie. On les y menait le matin, avant le lever du soleil.
MQÂM DE SIDI MOHAMMED OULD SIDI ‘ALI EL BEKKAÏ.
Situation – Ce mqam, qui n’existait plus depuis plusieurs années déjà, et dont on ne voyait plus aucune trace de construction, le terrain ayant été labouré depuis 1942 environ, était situé près de deux figuiers, à l’ouest des Oulad Ziri, au lieu-dit « A’chiba Zbaïr », à gauche du chemin muletier se dirigeant vers Dmin, Biayet, Tient, etc.
C’était une modeste petite enceinte circulaire de pierres sèches n’ayant pas plus de 0 m. 50 de hauteur. L’entrée était dirigée vers l’est.
LA LEGENDE DE SIDI MOHAMED OULD SIDI ‘ALI EL BEKKAÏ
Il était, dit-on, le petit-fils de Sidi Ali El Bekkaï dont la sépulture se trouvait dans l’oued des Beni-Ouaklane, chez les Beni Mengouch (Beni Isnasen). D’après L. Voinot « Oudjda et l’Amalat » (loc. cit., p. 83), « ce Sidi Ali el Bekkaye serait le frère de Sidi Mâafa qui aurait vécu à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, et dont le tombeau, très vénéré, se trouvait dans le ravineau du Djebel el Hamra des environs d’Oudjda. Sidi Aïssa enterré au sud des jardins d’Oudjda serait également le frère de Sidi Mâafa ».
La légende rapportait que Sidi Mohammed étant venu dans la région acheter du maïs, de l’orge, de la semoule et de la farine, fut assassiné par des Mzaoura (Suwahliya) alors qu’il avait terminé le chargement de ses mulets et faisait route vers sa tribu, en compagnie de quelques compagnons parmi lesquels se trouvaient un noir et son « khammas ».
C’est à l’endroit où eut lieu le meurtre qu’on éleva le mqam qui lui fut consacré, mais sa dépouille mortelle reposerait près de celle de son grand-père : Sidi Ali el Bekkaï. Ce meurtre, qui datait à l’époque de seulement d’une cinquantaine d’années aurait provoqué, dit-on, la révocation du caïd Akrour.
Son élévation au rang de saint se justifiait amplement aux yeux des musulmans par le fait miraculeux que la corde de sa za’boula (sacoche portée en bandoulière) ne put se consumer après avoir subi l’action du feu pendant deux ou trois jours.
On venait l’invoquer pour la fièvre. Le rite consistait à faire des fumigations avec quelques fragments de broussailles.
HAWCH SIDI AÏSSA
Situation. – Le sanctuaire de ce santon domine, à droite, la route de Martimprey du Kiss, à 200 mètres environ au-delà du nouveau pont construit sur l’oued Abdallah, à 4 kilomètres de Nemours. II est construit au milieu d’un délicieux bosquet de lentisques, thuyas, oliviers et caroubiers, facilement accessible puisque la distance qui le sépare de la route n’est que d’une quarantaine de mètres.
Description. – Restaurée depuis une quinzaine d’années, (nous sommes dans les années 40) l’enceinte non couverte, en maçonnerie blanchie à la chaux, était formée de quatre murs, construits sur plan rectangulaire. Elle possédait aux quatre angles, de grossiers merlons plus ou moins coniques et une entrée, démunie de porte. Elle était décorée, au-dessus du linteau, par un bandeau rustique de briques pleines s’opposant aux bâtons rompus, encastrés dans l’épaisseur du mur. Le sol, à l’intérieur de cette petite cour, était pavé de grosses pierres plates jointées au ciment.
La tombe du saint, de 2 mètres de longueur, était formée d’une légère surélévation, recouverte de carreaux rouges modernes. Deux de ces carreaux avaient été intentionnellement soulevés afin de permettre aux visiteurs d’y prélever un peu de terre qu’ils portaient comme « porte-bonheur » ou comme médicament.
Elle était limitée, à la tête et aux pieds, par une pierre plate dressée. A signaler, creusée dans l’épaisseur du mur opposé à l’entrée, une niche à offrandes et, dans un coin de la construction, un petit brasero de terre cuite, « mejmar », utilisé pour faire les fumigations rituelles où brûle le « jawi » (benjoin). `
Aux branches d’un vieux lentisque, dont le feuillage retombait en partie sur ce blanc mausolée, étaient accrochés des lambeaux d’étoffe et des petits foulards multicolores (ex-voto).
Il existait autour de ce sanctuaire une douzaine au moins de tombes très frustes, délimitées simplement par des pierres sans aucune inscription. Il s’agissait d’un petit cimetière où l’on enterrait encore quelquefois les musulmans des alentours.
La légende de Sidi Aïssa. – D’après le moqaddem de l’époque, Séfouni Kaddour ben Mohammed, descendant de Sidi Aïssa, et habitant les Ouled Ziri, était le moqaddem officiel du tombeau de Sidi Aïssa en 1919. II avait chargé un nomme Hachem ‘Ali ben ‘Ali, qui demeurait à proximité, de le suppléer dans ses fonctions, Aïssa aurait vécu il y a plusieurs siècles (4 ou 5) et aurait habité une maisonnette dont on pouvait voir encore les vestiges sur une hauteur voisine de son tombeau. II s’appelait Sidi Aissa ben ‘Abdallah ben Souna et mourut célibataire.
Son père, Abdallah, agriculteur de son état, possédait deux propriétés rurales (connues sous les noms de Znaden et Zeroualen) appartenaient encore, avant l’occupation française, aux Oulad Souna descendants du père de Sidi Aissa. Il est permis de supposer que ces deux propriétés dépendant de la tribu des Oulad Ziri furent comprises avec celles que les arrêtés des 18 août et 16 décembre 1846 avaient frappées de séquestre en raison des actes d’hostilité commis par les membres de cette tribu qui passaient pour la plus récalcitrante du cercle de Nemours. Les Oulad Ziri, comme on le sait, assassinèrent les malheureux officiers et soldats français qui avaient échappé au désastre de Sidi Brahim, L’arrêté gubernatorial du 19/8/1853 avait approuvé la liste nominative des musulmans atteints par le séquestre et avait définitivement réuni au domaine de l’État toutes les propriétés appartenant aux tribus émigrées. D’autre part, sur la liste des villages évacués par les Oulad Ziri, afin de permettre la constitution du lotissement, on pouvait lire : « Zerouali », qui ne comprenait d’ailleurs que trois maisons en ruines, d’après l’état daté du 26 mai 1858, et signé du commandant Beauprêtre. Peut-être s’agissait-il de cette propriété.
Une partie seulement de ces terrains était « habous » et était gérée par le moqaddem, lui-même descendant de cette famille. Le produit de la location de ces biens « habous » était utilisé en grande partie pour tenir le sanctuaire, et pour célébrer la « wa’da » annuelle, fête patronale donnant lieu à un grand repas communiel offert par les Oulad ben Souna qui comptaient, dans le village des Oulad Ziri, plus de 53 feux. Chaque ménage de cette nombreuse famille maraboutique donnait son obole au moqaddem chargé de la collecte et de l’achat des moutons devant être égorgés en l’honneur du marabout vénéré. A ces moutons, venaient s’ajouter ceux offerts bénévolement à la suite de vœux.
Les quartiers de viande étaient ensuite judicieusement repartis entre les familles donatrices chargées, à leur tour, de préparer le couscous traditionnel et les mets divers. De la mosquée un crieur public faisait connaître ce jour-là, à tous les habitants du village Oulad Ziri, que la fête de Sidi Aïssa devait être célébrée le soir et que les hommes et les enfants mâles étaient invités à prendre part au repas rituel. Ce repas avait lieu dans les salles de la mosquée et non, comme on aurait pu le croire, autour du sanctuaire de Sidi Aïssa. C’étaient les membres de la grande famille des Ben Souna qui faisaient eux-mêmes le service en l’honneur de leur saint tutélaire. Après le thé à la menthe, la fête se terminait par une prière générale.
Sidi Aissa était investi du pouvoir de guérir spécialement les enfants en bas âge (de 4 à 6 mois) de l’entérite, de la fièvre, de la grippe et de l’œdème des membres inférieurs. Pendant trois jeudis consécutifs, on les laissait seuls dans le sanctuaire, couchés près de la tombe du saint, pendant 10 à 20 minutes.
Un autre rite consistait à frotter le corps des bébés fiévreux ou grippés avec une poignée de terre prélevée dans la tombe du saint. Cette terre, quelquefois mélangée d’eau, était appliquée en guise de cataplasme sur les parties malades. Le moqaddem, pour éviter à la longue la disparition quasi-totale de la terre recouvrant le défunt, était obligé d’en ajouter de la nouvelle de temps en temps, dans le trou ménagé au milieu de la tombe par le soulèvement de deux des carreaux qui la recouvraient.
Les petits malades étaient parfois exposés aux fumigations produites avec un mélange de terre (de la sépulture) et de jawi sur des braises.
Beaucoup de musulmanes, au cours des trois pèlerinages, avaient coutume de déposer entre les interstices des briques décorant le dessus de l’entrée du mausolée, une petite poignée de grains d’orge et de sel. Ces grains d’orge étaient destinés, disait-on, à servir de pâture aux petits oiseaux qui nichaient dans le bosquet sacré.
Cette pratique n’était pas sans analogie avec celle que M. A. Bel avait eu l’occasion de signaler aux environs de Tlemcen, dans le cimetière musulman d’Eul Eubbab (Sidi Boumédienne) où, sur certaines tombes, on avait l’habitude de placer un petit récipient que l’on remplissait d’eau de temps à autre pour les oiseaux du ciel. « Cette coutume, écrivait-il, remontait à une vieille croyance païenne de la transformation de l’âme en oiseau après la mort ».
Le tombeau de Sidi Aïssa était très fréquenté. On y venait de toutes les tribus Trârâ des environs : Msirda, Suwahliya, Djbella, etc. Certaines juives de Nemours qui y venaient aussi en pieuses visites, de préférence les lundis, mardis et vendredis, mais jamais le samedi, semaient à la volée dans la cour intérieure du sanctuaire une poignée d’orge mélangée de sel. Le sel est une des substances aux vertus magiques qui passe pour préserver des Jnoun. « Un peu de sel jeté dans un feu qui crépite, écrivait Laoust (Le folklore marocain, loc, cit., p. 449), suffit à éteindre l’ardeur des esprits qui ont pris possession du foyer. On répand du sel sous le lit de l’accouchée, sur l’emplacement choisi pour dresser les tentes du douar, sur les tas de grains et dans les silos. On passe du sel sur la lame du couteau qui va servir au sacrifice de quelque animal. C’est à cause du sel qu’elle contient que la mer n’est pas hantée par les Jnoun ».
Les sanctuaires de Sidi Aïssa et de Sidi Moussa étaient les seuls qui étaient fréquentés par les femmes israélites de Nemours.
QUBBA DE SIDI MOHAMMED EL MESTARI
Situation. – Située à l’extrémité ouest de la commune de Nemours au milieu de vieux lentisques arborescents, elle domine, à droite, l’oued El Arkoub, à sec la plupart du temps, sauf en période de crue.
Description sommaire de la qoubba. – Très ancienne, la qoubba de Sidi Mohammed el Mestari avait été restaurée complètement. Elle était remarquable par son dôme octogonal (comme les qoubba du moyen-âge Maghrebin), orne d’un djâmur constitué par une tige de fer forgé se terminant par un croissant lunaire.
La partie cubique mesurait sensiblement 3 m. x. 35 de côté et 2 m. 34 de hauteur. C’était la plus belle qoubba de la commune. En forme d’arc légèrement outrepassé, l’ouverture y donnant accès mesurait 1 m. 30 de hauteur et 0 m. 30 de largeur (partie inférieure).
L’intérieur présentait l’aspect d’une petite chambre carrée, blanchie à la chaux, sans sépulture apparente. Le sol était recouvert de nattes d’alfa. La coupole, comme on pouvait le constater, était construite sur pendentifs.
Sur le mur faisant face à l’entrée, on pouvait lire, en arabe, la formule sacramentelle, profession de foi du musulman : « La ilah illa Allah, Mohammed rassoul Allah ». Cette inscription émanait sans doute d’un taleb fréquentant la mosquée et l’école coranique située à quelques mètres de la qoubba. La petite mosquée d’El Arkoub, construite a la mode berbère en pierres sèches et en terre battue, comprenait deux petites salles où se tenait l’école coranique sous la direction de l’Imam Djeziri Ahmed ould Ali.
A cette époque (9 mars 1941) cette qoubba était occupée par quelques étudiants musulmans (tolba) qui, accroupis sur les nattes, psalmodiaient à tue-tête des versets du coran écrits sur leurs planchettes.
La légende. – Selon certains musulmans, Sidi Mohammed el Mestari serait originaire du village de Tient (fraction de la tribu des Suwahliya). D’autres racontaient qu’il appartenait à la tribu des Beni-Mester et qu’il vint s’établir sur le sommet de la falaise dominant la mer pour mener une vie ascétique et contemplative.
Ne jouissant pas de toutes ses facultés mentales, il vivait, parait-il, en plein air, près d’une petite source. Comme il était pieux, il ne tarda guère à être considéré comme un marabout.
Un jour que la tempête faisait rage et que notre « wali » contemplait, impassible, les vagues accourant du large et venant se briser avec fracas au pied de la falaise, ses parents qui avaient découvert sa retraite, vinrent le supplier de regagner le foyer familial. Sidi Mohammed se contenta de leur tendre un petit vase de terre en leur demandant de le remplir d’eau de mer. Son désir ayant été exaucé il leur dit : « Pourquoi cette eau salée est-elle si calme et si unie alors qu’elle est si agitée au bas de la falaise ?» Comme personne ne répondait, il ajouta : « Quand je suis seul, je suis paisible et calme comme l’eau contenue dans ce vase ; mais, au milieu des humains, je deviens agité et malheureux ».
La légende ne dit pas si les parents de cet anachorète furent satisfaits de la réponse de leur fils. Quoiqu’il en soit, il est probable qu’ils se résignèrent à s’établir près de lui, puisque sa mère fut enterrée à proximité, dans une hawita dont il sera question ci-après.
Disons pour terminer que Sidi Mohammed el Mestari mourut célibataire bien que le célibat soit mal jugé par l’Islam même mystique et qu’il fut enterré un peu au sud de sa « Khalwa », sur un tertre dominant l’oued el Arkoub. Peu de temps après on lui éleva une qoubba qui avait été très vénérée par tous les gens des Suwahliya car il avait la réputation de guérir les fièvres.
HAWITA DE LALLA KHADIJA EL MESTARI
La hawita de cette sainte, qui était la mère de Sidi Mohammed el Mestari, était située à proximité de la qoubba. C’était une simple construction rectangulaire, en pierres sèches, munie d’une ouverture surbaissée. La tombe n’était pas apparente.
HAWITA DE SÎDÎ MOUFFOK
Situé également à El Arkoub (Draouch), ce mausolée rectangulaire, bâti avec des moellons assemblés à l’argile, présente la particularité d’être orné aux quatre angles de grossies merlons. L’enceinte, à ciel ouvert, qui mesure 4m40 de longueur et 3 mètres de largeur, est percée d’une ouverture y donnant accès.
HAWITA DE SÎDÎ MOHAMMED EL GHARIB
Cette habitation en pierres sèches (qu’il ne faut pas confondre avec celle dédiée à un saint homonyme située, comme nous l’avons vu, à 2 kilomètres à l’est de Nemours), s’élève à peu de distance de celle de Sîdî Mouffok de forme rectangulaire, elle mesure 3m20 de longueur, 2 m55 de largeur et 0m50 de hauteur. A noter l’existence d’une petite niche à offrandes.
HAWITA DE SÎDÎ GOURARI
Pour terminer, nous mentionnerons, toujours à El Arkoub, le mausolée de Sîdî Gourari, saint de l’Islam que l’on dit originaire du Sahara et qui a la spécialité de guérir les maladies du nombril.
Sa réputation de sainteté se serait affirmée par le fait suivant : un jour, un vieil habitant de El Arkoub, du nom de Djenân Mohammed âgé de 80 ans; s’aperçut que des malfaiteurs lui avaient volé un mouton et brûlé une meule de paille. Fort courroucé, le vieillard s’approcha du tombeau de Sîdî Gourari, situé près de son habitation et, apostrophant le défunt, lui dit non sans amertume : « Sîdî Gourari, tu n’es pas un véritable marabout puisque tu as toléré que l’on vienne, sous ton nez, me voler impénunément ! ».
Durant la nuit, notre musulman sceptique vit en songe le saint qu’il avait si durement offensé, tenant le voleur par un pan de son burnous, et lui disant d’une voix forte et ironique : « tiens, le voilà ton voleur, regarde-le bien, ô incrédule !… ». Djenân Mohammed reconnut alors, avec stupéfaction, son propre fils Abd el Qâder.
le lendemain, après enquête, le vieillard n’eut pas de peine à découvrir que c’était bien son rejeton qui avait fait « le coup » avec un jeune vaurien de ses amis, nommé R’lissi Mimoun.
Depuis, Djenân Mohammed ne blasphème plus et tient Sîdî Gourari pour un personnage de grand mérite.
Source : Monographie de Francis Llabador