Sous l’action conjuguée des intempéries et des destructions systématiques causées par « les chercheurs de trésors », ces Vandales du XXème siècle, ces ruines tendent de plus en plus à devenir méconnaissables et disparaître, au détriment de nos connaissances. Aussi, était-il urgent, croyons-nous, de les sauver de l’oubli, en les signalant à la bienveillante attention de ceux qui s’intéressent au passé des villes mortes de la Berbérie.
Juchée comme l’aire d’un aigle, sur le plateau de l’escarpement rocheux, haut de 130 mètres qui domine, à l’Est, la ville et le port de Nemours, elle était naturellement défendue du côté de la mer par de hautes falaises partout inabordables, présentant un à-pic d’environ 80 mètres de hauteur et, vers la terre, par des pentes rocailleuses, très raides, couvertes d’une végétation rabougrie.
Nous ne reviendrons pas sur les avantages de cette position qui furent remarquées, dès la plus haute Antiquité, par les autochtones, les navigateurs et les envahisseurs qui se succédèrent aux différentes époques de l’histoire. Nous rappellerons que c’est seulement au XIème siècle que Taount se trouve citée par les géographes, comme une petite place forte quasi inexpugnable.
Quoi qu’il en soit, le système défensif de cette bourgade fortifiée du Maghreb Central comprenait essentiellement une enceinte et une qaçba.
L’ENCEINTE DE LA BOURGADE
Malgré sa situation privilégiée Taount possédait, du côté de la terre, une enceinte dont il est facile de restituer le tracé par les vestiges qui subsistent au ras du sol. Cette enceinte, construite un peu en contre-bas du plateau, suivait les sinuosités du terrain. Elle partait de la tour d’angle de la forteresse (N°III de la forteresse), parcourait 22 m. 20 en direction Sud où elle se raccrochait à un premier bastion ruiné dont la dace mesurait 3 m. 40 et les flancs : l’un 3 mètres et l’autre 5 m. 75 de longueur.
De ce bastion, l’enceinte obliquait vers l’Ouest, protégeant la cité proprement dite, du côté Sud, et allait, à 300 mètres environ plus loin, se raccorder à un autre bastion situé à l’extrémité Ouest du plateau, un peu au-dessous du fortin moderne construit par le génie militaire. Ce second bastion, qui mesure actuellement 4 m. 40 de hauteur, présente une face de 4 m. 30 de largeur et deux flancs mesurant respectivement 3 m. 80 et 4 m. 40. A l’Ouest de ce dernier bastion, l’enceinte parcourait encore une vingtaine de mètres et se terminait brusquement à pic sur la mer.
Il convient de rappeler qu’un oued aujourd’hui détourné, coulait jadis au pied de l’escarpement de Taount.
Ainsi, le système de défense de cette bourgade ancienne comprenait, seulement du côté Sud d’où les attaques étaient à craindre une enceinte de pierres sèches surmonté d’un mur bétonné, allant de l’Ouest vers l’Est du plateau, en s’adaptant à la topographie du lieu.
Un fragment de cette enceinte, située en avant de la tour d’angle n° III, laisse voir une assise de moellons (basalte, calcaire) supportant une petite surélévation en béton. Partout ailleurs, le béton s’est écroulé et il ne reste que le soubassement de moellons que l’on peut suivre aisément jusqu’au raccordement avec le bastion Ouest qui domine à l’Est la baie de Nemours.
LES PORTES
D’après la tradition, et aux dires des vieux habitants musulmans du pays, deux portes donnaient accès à la bourgade. L’une d’elles était percée à l’Ouest de l’enceinte et dominait sur le Mausolée de Sidi Moussa (Sidi Moussa était un homme pieux qui vivait, dit-on, près de la porte de l’enceinte, où il fut enterré par la suite). Cette porte avait pour nom la Porte de l’Aloès,باب الصبارة, (Bab el Çabra). Cette porte était surveillée et gardée par quelques soldats qui, vraisemblablement, occupaient le petit bastion en pisé situé à l’extrémité Ouest du plateau. Une deuxième porte située à l’Est, à proximité de la forteresse était appelée la porte principale, باب العاريضة, (Bab El Aarida). Il ne reste aucun vestige de ces portes percées dans le mur d’enceinte. (renseignements fournis par Tâchefin Ahmed Ben Ahmed, âgé de 57 ans, (en 1948), dont le père était né à Taount).
L’INTÉRIEUR DE L’ENCEINTE
A l’intérieur de l’enceinte, la bourgade occupait la presque totalité du plateau, d’une superficie de sept hectares. On y voyait encore très nettement les ruines de nombreuses maisons carrées en pierres sèches, autour desquelles sont répandus d’innombrables débris de poterie, plus ou moins grossiers. On y trouve encore un nombre considérable de silos dans lesquels les Berbères conservaient leurs grains, ainsi que de nombreuses grottes qui paraissent avoir été habitées comme en témoignaient les innombrables coquilles d’escargots que l’on trouvait en remuant un peu la terre et les débris de poterie et d’os.
Il est visible que quelques-unes de ces grottes en partie naturelle ont été aménagées et même agrandies par la main de l’homme à une époque qu’il est impossible de fixer. Certaines de ces grottes présentent une ouverture sur la mer et sont très spacieuses.
Nous en avons visité et compté plus d’une vingtaine. Quelques-unes sont séparées par des murs de pierres sèches ou par une cloison rocheuse naturelle, et communiquent entre elle par des ouvertures le plus souvent très étroites, ne livrant passage qu’à une seule personne à la fois. Certaines de ces grottes n’ont pu être explorées en raison de leur longueur, du manque d’air et de lumière et aussi par suite des éboulements qui se sont produits.
Ces grottes ont dû certainement être habitées par des Berbères et aussi très probablement par les pirates qui avaient fait de ce plateau, surtout pendant la domination turque, un véritable nid de forbans et d’écumeurs de mers.
LA FORTERESSE
Les ruines les plus intéressantes sont, sans contredit, celles du vieux château fort (quaçba) du Moyen âge qui formait un quadrilatère d’environ 2.956 mètres carrés et qui occupait une position stratégique très avantageuse à l’Est du plateau. Il n’en reste debout qu’un énorme pan de muraille en pisé d’une soixantaine de mètres de longueur, rongé par le temps et percé de trous irréguliers, représentant les vides laissée par les perches ayant servir de chevrons. Ce pan de muraille est flanqué de trois tours barlongues, dont deux placées aux angles et une au centre, font saillie sur la courtine du côté Sud.
Ces tours sont accolées au mur non crénelé qui a une hauteur assez variable par suite de la forte déclivité du terrain. C’est ainsi que la tour que nous appellerons par commodité de l’exposition la tour n° I a une hauteur moyenne de 6 m.80 à 6 m. 95, la tour n° II : 12 m. 45 et la tour n° III, construite en contre-bas, par rapport à la seconde, a plus de 17 mètres de hauteur. Quant au mur lui-même, il a une épaisseur de 2 m. 25 à la base et de 1 m. 65 vers le haut.
Cette différence entre la base reposant sur le sol et le sommet provient de ce qu’il existe à la base de la courtine (côté interne) un étroit chemin de 0 m. 60 de largeur qui servait à accéder vers les parties hautes de la construction. Parfaitement horizontal, ce chemin partant de la côte 0, atteint rapidement 5 m. 96, rachetant ainsi les différences de niveau. Il permet assez facilement d’atteindre le sommet de la tour n° III (voir plan fig. 22) d’où l’on pouvait ensuite accéder au chemin de ronde et aux autres Tours par une rampe pourvue de marches assez raides. Actuellement, il ne subsiste si parapet ni merlons. (Canal in : Le Littoral des Trâras, 1886, p. 127, écrivait : « les murailles dentelées à leur crête… ».
LES TOURS
Comme vu plus haut, la partie sud de la forteresse qui subsiste encore est flanquée de trois barlongues accolées à l’extérieur de la courtine. Deux sont des tours d’angles. Les trois tours sont sensiblement placées à égale distance l’une de l’autre. En effet, la tour n° I est séparée de la tour n° II par un intervalle de 18 m. 25. La deuxième est distante de la troisième de 17 m. 60. Par contre, sur la face Est de la forteresse (face qui s’est effondrée et qui dominait à pic sur la mer la petite plage dite du « Tunnel », la tour n° III était séparée de la tour d’angle n° IV par un intervalle de 34 mètres.
L’existence de ces trois tours plus rapprochées les unes des autres sur la partie Sud de la forteresse, la seule qui subsiste aujourd’hui, donnait plus de solidité à cette partie la plus vulnérable de la construction. De sorte que, comme presque toutes les places du Moyen âge, la forteresse de Taount pouvait, le cas échéant, s’isoler de l’enceinte extérieure déjà décrite et se défendre quand celle-ci était tombée aux mains des assaillants.
Ces Tours creuses construites en béton méritent d’être étudiées chacune séparément.
La tour d’angle de l’Ouest n °I (voir plan) mesure 7 m. 94 de façade sur 4 m. 55 d’avancées, par rapport à la courtine. A l’intérieur, on ne distingue aucune particularité. Pas de traces d’entaille ou de saillie en arc creusée dans les parois internes ayant pu supporter une plate-forme ou une voûte. Cette tour d’une hauteur moyenne de 6 m. 80 à 6 m. 95 (c’est la moins haute des trois qui subsistent encore) ne comportait pas d’étages, de salle supérieure comme les deux autres dont il va être question un peu plus loin. A la base des parois intérieures, on peut voir encore seulement des traces d’un revêtement de plâtre grossier de 2 à 4 millimètres d’épaisseur.
La tour médiane n ° II, mesurant 8 m.85 de façade sur 4 m. 60 à 4 m. 68 de saillie, présente vers le milieu de sa hauteur une petite baie rectangulaire de 1 m. 50 x 0m. 85 environ, donnant accès dans la chambre inférieure (fig. 2). Intérieurement, cette petite chambre mesure 2 m. 90 x 3 m. 40 environ. Sur chacune des quatre parois internes, existe une entaille de 15 à 20 centimètres de profondeur et de 13 centimètres de largeur décrivant un plein cintre. Ces entailles établissent clairement que la plate-forme de la partie supérieure de cette tour était soutenue par une voûte d’arête construite de façon primitive. En effet, elle est constituée par quatre éléments de voûte (en plein cintre) partant des appuis aménagés dans les murs et se rejoignant aux angles pour former une voûte d’arête. La construction de cette voûte était d’autant plus aisée que les matériaux employés (briques plates et pleines notamment) étaient faciles à disposer en employant probablement un coffrage.
La tour d’angle de l’Est n° III, beaucoup plus large que les précédentes, mesure 9 m. 20 de largeur sur 4 m. 60 d’avancée. Elle repose sur un soubassement de moellons de roche (basalte). Son aménagement est intéressant à étudier et mérite de retenir quelque peu notre attention (fig. 24). En effet, comme certaines tours barlongues de l’enceinte de Mansourah, elle comprend deux petites salles rectangulaires, dont la plus grande (la plus orientale) mesure 6 m. 15 de longueur sur 1 m. 62 de largeur. L’autre, la plus petite, mesure 2 m. 95 environ de longueur sur 1 m. 62 de largeur.
Ces deux salles contiguës ne sont pas simplement divisées par un mur médian perpendiculaire à la courtine. Chacune d’elles possède un mur propre. Celui de la plus grande a 0 m. 75 d’épaisseur. Quant au second, il a 1 m. 05 d’épaisseur. Entre ces deux parois, existe un espace vide de faible largeur. Il semble bien d’ailleurs qu’on ne pénétrait pas dans les parties inférieures de ces petites salles ; ce qui le fait supposer, c’est qu’elles ne présentent, vers la base, aucune ouverture y donnant accès.
Quant au système de voûte, il diffère de celui déjà décrit. C’est ainsi que ces deux petites salles étaient recouvertes par des voûtes en berceau, si l’on en juge par les rainures assez profondes, décrivant un plein cintre, que l’on peut voir encore sur les deux parois internes de chacun des deux compartiments. Ces rainures en arc, creusées dans le béton, ont environ 13 centimètres de largeur. La forme et le volume du creux montrent qu’il s’agissait bien du logement exact ménagé dans la paroi pour recevoir les briques maçonnées, disposées concentriquement ; la brique du milieu de l’arc jouant le rôle de clef de voûte. Dans celle qui est creusée dans l’une des parois du compartiment le plus grand, on remarque encore quelques morceaux de briques en partie encastrées. Ces briques amorçaient la voûte en berceau qui s’est effondrée.
Cette salle de 6 m. 15 x 2 m. 50 ne comportait qu’une seule voûte en berceau tandis que la seconde, plus petite mais plus élevée, comportait deux étages au lieu d’un, et par suite, deux voûtes en berceau superposées l’une au-dessus de l’autre, comme dans certaines tours de l’enceinte de Mansourah, remarquablement étudiées et décrites par MM William et Georges Marçais. (Les Monuments arabes de Tlemcen, Paris, 1901).
Ces deux voûtes maçonnées se développaient entre les deux murailles où l’arc confortatif de l’extrémité était encastré (fig. 4). Les bords latéraux de la voûte trouvaient leur point d’appui sur une saillie longitudinale joignant l’extrémité des branches de chaque entaille en arc. La voûte ainsi construite supportait une plate-forme de béton.
Quant aux chambres inférieures, elles étaient couvertes par une plate-forme qui reposait vraisemblablement sur une charpente de thuyas, s’appuyant elle-même sur les saillies longitudinales de 15 centimètres de largeur, creusées dans les parois épaisses du béton. En somme, ces plates-formes ont été réalisées en couvrant l’espace qui sépare les points d’appui par un solivage constitué par la juxtaposition de rondins de thuyas reposant sur les saillies longitudinales creusées dans le béton des deux murs parallèles. Ces rondins résistent à leur poids et à leur surcharge, comme les poutres droites et exercent sur les points d’appuis des pressions uniquement verticales. Sur la charpente (rondins de thuyas juxtaposés) était pilonné du béton qui formait la plate-forme de la salle supérieure voûtée en berceau supportant elle-même une autre plate-forme bétonnée.
MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION
Les matériaux utilisés pour la construction de la forteresse de Taount comprenaient : le bois, le béton, les briques, le plâtre et la pierre brute.
Le bois ne se retrouve que sous la forme de longrines (ou de perches) incluses dans le béton de la courtine et des Tours, sans doute pour consolider. Des quelques morceaux de bois en bon état de conservation qu’il a été possible d’étudier, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une espèce de cupressinée de la famille des conifères. C’est un petit arbre pouvant atteindre 5 à 6 mètres de hauteur et qui est appelé,عـــرعـــار, âarar. Cette essence forestière existe encore à l’état sporadique aux environs de Nemours et dans la région. Il n’est donc pas étonnant de voir ce bois, quasi incorruptible, si souvent employé dans les constructions militaires anciennes.
Quant au béton en question, il est constitué par un mélange de terre, de chaux et de cailloux de toutes sortes : basalte, schiste, débris de toutes sortes : poterie, briques, ossements d’animaux. En outre, comme dans la tour n° I, on pouvait dénoter la présence de nombreuses coquilles marines et quelques hélices terrestres.
Noyé dans un bain de mortier, tout cela était mêlé, mouillé et pilonné dans des coffrages de planches qui, démontables, pouvaient resservir à volonté. Ces caisses rectangulaires, si l’on en juge par les empreintes très nettes qui subsistent sur la construction, avaient 0 m. 80 de hauteur et 2 m. 25 environ de longueur. Des madriers réunissaient ces planches entre elles. Ce sont eux qui ont laissé des trous circulaires (que l’on observe sur les ouvrages défensifs) quand on les décoffrait et qu’on enlevait les madriers pour continuer la construction en hauteur.
Le volume des vides ne dépassant pas 21 %, on peut dire que c’est un béton plein à base de chaux grasse, pas très homogène cependant et assez peu compact en certains endroits, par suite de la mauvaise granulométrie et du mauvais tassement. Le pilonnage, ayant été fait parfois sur des couches trop épaisses, a empêché la compression des couches profondes en emprisonnant au-dessus de la couche superficielle rendue compacte de nombreuses bulles d’air disséminées dans la masse.
Quant aux nombreuses fissurations que l’on observe en plusieurs endroits de la courtine et des tours, elles se sont produites soit pendant le durcissement, soit sous l’action des intempéries.
Les quelques briques qui ont pu être extraites sont pleines et rectangulaires, façonnées d’argile jaune ou rouge. L’une d’elles, d’agile jaune, provenant de la tour n° III, mesurait exactement 0m27 de longueur, 0m12 de longueur et 0m35 d’épaisseur. Quelques-unes avaient des dimensions plus réduites : 0m25 de longueur, 0m11 de largeur et 0m03 d’épaisseur.
Comme déjà précisé, on observe un revêtement de plâtre à la base de la tour d’angle n° I. En outre, on peut trouver çà et là, autour des ruines de la forteresse, des fragments de plâtre peint qui formaient vraisemblablement le revêtement mural de quelque salle.
Les pierres utilisées ont deux origines :
a) Pierre d’origine ignée : pierres volcaniques (basalte, lave)
b) Pierres d’origine sédimentaire : pierres calcaires et argileuses
Ces pierres juxtaposées et superposées sans mortier forment le soubassement de la construction en plusieurs endroits.
LES MOSQUEES
Dans un rapport, en date du 1er mai 1862, sur la place de Nemours, rédigé par le Capitaine Chef du Génie de l’époque, on peut lire : « les deux mosquées en ruines de Touent qui ont été organisées en blockhaus et qu’on a décorées du nom pompeux de Touent…).
Ainsi donc, à l’arrivée des Français, la bourgade de Taount, qui existait encore, était dotée de deux mosquées dont il ne subsiste actuellement aucun vestige. Cependant, celle qui était édifiée à l’Ouest du plateau, sur l’emplacement de laquelle le génie miliaire a fait construire un fortin qui domine à l’Est la baie de Nemours, jouissait d’une grande célébrité. La construction de ce fortin suscita à l’époque des démêlés très vifs avec les musulmans du pays, qui refusaient de le laisser bâtir.
On appelait cette mosquée Djâma bou Nour (Mosquée de l’Auréole). Ses murs écroulés, ses voûtes souterraines se remarquaient encore en 1886 et les habitants de la région venaient y déposer des petits drapeaux et des bougies. Nous-mêmes, En décembre 1927, nous avons vu à l’intérieur du fortin construit sur l’emplacement de la mosquée célèbre, une bougie neuve et plusieurs pièces de monnaie.
« Sous le règne du Sultan Youssef Ben Tâchefin, de la dynastie des Almoravides (XIIème siècle de J.-C.), rapporte Canal, des hommes remarquables par leur piété étaient réunis dans l’intérieur de cette mosquée pour y faire leurs prières accoutumées. C’était pendant une nuit de ramadan : tout à coup, des lumières, brillantes comme celles du soleil, semblèrent descendre de la voûte et s’arrêter au-dessus du groupe qui était en prières, de sorte que la tête de ces personnages était entourée d’une auréole ou limbe lumineux. Ce prodige se reproduisit souvent, de la même façon, toutes les fois que des marabouts se mettaient en prières, pendant les nuits du Ramadan.
« C’est en souvenir de ce phénomène miraculeux que les habitants ont conservé l’habitude de se rendre en pèlerinage à la mosquée le dernier jour du Ramadan.
« Les habitants du Ribât de Taount eurent le bonheur de voir leur mosquée considérée comme un lieu saint ; elle fut dès lors regardée comme une succursale de la Mecque et les pèlerins qui s’y rendaient, s’attribuaient presque autant de mérite que ceux qui venaient de visiter la capitale de l’Islam.
« L’Emir Abd El Kader ne manqua pas de s’y rendre en pèlerinage lorsqu’il eut établi son quartier général à Nédroma. A peine était-il prosterné pour faire ses prières dans la Djamâ Bou Nour, que le même miracle d’illumination se produisit pour lui et que sa tête fut entourée de l’auréole lumineuse en témoignage de sa sainteté et du choix que Dieu avait fait de lui pour combattre les infidèles.
« On y venait de tous côtés, des Béni Ouassine, des Béni Bou Saïd (et de toutes les tribus qui constituaient l’aghalik de Marnia), des Béni Snassen, des Angad et autres territoires marocains situés sur la rive droite de la Moulouia. »
En 1845, lors du fameux désastre de Sidi Brahim, où le lieutenant-colonel de Montagnac trouva la mort, les habitants de la bourgade de Taount, qui existait encore se mirent à abandonner leurs maisons par crainte des représailles pour le rôle équivoque qu’ils avaient joué.
Dans les renseignements divers parvenus à la connaissance du commandant de la place, relatifs à l’affaire de Sidi Brahim, le capitaine Bidon écrivait : « l’occupation de la mosquée de Taount que des considérations politiques et religieuses avaient fait ajournée jusque-là est décidée à l’unanimité des voix. Il est dressé procès-verbal de cette séance et la mosquée est occupée le soir même par trente sapeurs, commandés par le sergent Bertrand, ainsi qu’un obusier (le chef d’escadron de Martimprey au général Thiery, commandant la Division d’Oran, Sidi Brahim, documents n° 30). C’était une heureuse inspiration que l’occupation de ce poste, en un tel moment ; les Arabes devaient venir le soir même faire irruption de ce point-là dans la place qui, sans ce poste, se trouvait tout à fait à découvert. ( le 1er octobre 1845). (P. Azan, Sidi Brahim ; documents contemporains n° 43 , Archives Historiques du Ministère de la Guerre, Algérie, situation des Places, 1845).
Cette mosquée fut détruite très peu de temps après son occupation par les soldats français, en même temps que la bourgade elle-même fut, comme nous l’avons vu, évacuée au préalable sur l’ordre du Maréchal Bugeaud.
LA SECONDE MOSQUEE
La seconde mosquée dont on ignore le nom, était située, semble-t-il, à proximité de la forteresse et de la citerne située à 30 mètres à l’ouest de la tour n° I. On y faisait les prières quotidiennes et elle servait également d’école pour les enfants de la bourgade. Il n’est pas téméraire de penser que cette ancienne mosquée fut fréquentée à l’origine par les pieux musulmans qui occupèrent la forteresse ou plutôt le Ribât dès le XIème siècle de notre ère.
LA CITERNE
Une citerne voûtée assurait à l’agglomération l’eau nécessaire à son alimentation. Cette citerne (voir plan fig. 22 p.205). Un regard à peu près rectangulaire ayant 0 m 70 x 0 m 85 y donne accès. Elle possède une voûte en berceau et mesure 5 m 30 de longueur, 2 m 30 de largeur et 3 m 25 environ de hauteur.
Une conduite d’amenée d’eau aboutit à la partie supérieure de l’une des parois. Cette conduite, qui alimentait la citerne en eau est constituée par des tubes de poterie grossièrement façonnés, mesurant approximativement 30 cm de longueur et s’emboîtant les uns dans les autres par une extrémité plus étroite (ils ont de 8 à 9 mm d’épaisseur. L’extrémité la plus étroite de ces tronçons a 6,5 cm de diamètre et l’extrémité la plus large, 8,5 cm de diamètre). Il semble que cette canalisation partait de la forteresse en un point qui n’a pu être découvert.
Ces tronçons de tuyaux étaient recouverts d’un enduit de mortier qui assurait aux joints surtout, une parfaite étanchéité. Il est vraisemblable que cette citerne recueillait les eaux météoriques qui ruisselaient sur les terrasses ou les parties hautes de la forteresse voisine et qui étaient canalisées par la conduite précitée.
L’intérieur de la citerne était revêtu d’une couche de plâtre. Vers la base, on apercevait encore des capillaires et des mousses qui vivent là à l’abri de la chaleur. Comblée en grande partie par des blocs, cette citerne est devenue inutilisable et n’était donc plus utilisée.
Les habitants de la région rapportaient qu’il y avait une seconde citerne près de la mosquée Djâma Bou Nour. D’après eux, les eaugeaux ainsi recueillies étaient utilisées durant les périodes troublées, quand il était impossible aux habitants de Taount d’aller chercher de l’eau à l’Aïn Miseb, situé au pied de la colline de Sidi Amar. En outre, elles servaient aux ablutions rituelles.
BASSIN, AUGE OU ABREUVOIR
A 6 m 80 au nord de la tour médiane, existent les vestiges d’un petit bassin, sinon d’une auge rectangulaire, orientée au S.W. (voir sur le plan de la forteresse l’emplacement de ces vestiges désignés par la lettre B – fig. 22 ). Construit en pisé très riche en chaux, avec des matériaux assez fins : petits cailloux, gravier, débris de poterie, sable, etc. Il mesurait 3 m 54 de longueur, 2 m 10 de largeur et 0 m 93 de profondeur. Les parois ont une épaisseur de 0 m 65. L’intérieur est maçonné à la chaux. Une partie de ce bassin s’est détachée et a roulé un peu plus loin (le terrain étant en pente).
Néanmoins, le raccordement est assez facile par la pensée. Sur les rebords, on observe la présence de briques rouges pleines dont quelques-unes mesurent 11 cm de largeur et 20 cm environ de longueur. L’on voit aussi une encoche creusée vers le milieu de la partie supérieure (lettre E). On peut éventuellement penser qu’elle pouvait servir à supporter une poutrelle destinée à soutenir le système de fermeture qui pouvait être en bois. Ceci n’est qu’une simple hypothèse.
LA TOUR VIGIE
Sur la crête Ouest du plateau, à pic sur la mer, on voit, écrivait Canal en 1886, les restes d’une petite tour-vigie de forme carrée dont on avait profité pour l’établissement d’un phare provisoire aux temps de la conquête (J. Canal, le littoral des Traras, Tlemcen, 1886, p. 136). Selon toute probabilité cette tour-vigie existait au temps du sultan mérinide, Abou’l-Hasan. Ibn Marzûk nous apprend en effet que son Maître, le sultan marocain Aboû’l-Hasan, créa un nombre d’enceintes et de vigies tel qu’on n’en avait jamais compté à nulle époque. Qu’on en juge, écrit-il : de la ville d’Asfi, limite extrême du littoral habité jusqu’au pays d’Alger (Gaza’îr Bani Mazgannân), terme du Maghrib moyen et limite du pays d’Ifrîkîya, il y a tant d’enceintes et de vigies que si l’on allume un feu au sommet de l’une d’elles, le signal est répété sur toutes en une seule nuit ou même une partie de la nuit, et cela sur une distance que les caravanes mettent environ deux mois à parcourir. Il y a dans chacune de ces enceintes de ce front des gens qui perçoivent une solde : ils sont chargés de regarder et de guetter et scrutent la mer. Une galère n’apparaît pas sur mer en direction du littoral musulman sans que des feux ne soient allumés sur le sommet des enceintes, pour avertir les gens de toute la côte de se tenir sur leurs gardes.
Aussi, durant son règne fortuné, le littoral demeura-t-il sauf, et l’on ne vit plus de campagnards emmenées en captivité et attaqués en petit jour, ni de nomades, venant camper dans les régions côtières et sur le littoral, enlevés en grand nombre. (E. Lévi-Provençal) un nouveau texte d’histoire mérinide : le Musnad d’Ibn Marzuk, Hespéris, tome V, 1925, Chap. XXXIX, p. 61-62 de la traduction).
PIECES DE MONNAIE
Comme partout en Algérie, l’enfouissement des monnaies était pratiqué par les habitants de Taount. Pendant la guerre de 1914-1918, des tirailleurs qui creusaient une tranchée près du fortin moderne, à proximité de l’un de ces cimetières, mirent au jour deux petites poteries remplies de pièces d’or. En 1930, une autre pièce a pu être photographiée. N’ayant à peine qu’un demi-millimètre d’épaisseur, elle ne pesait que 4 g et avait approximativement 34 mm de diamètre. Les bords étaient usés et deux trous avaient été percés pour recevoir un lien de suspension et servir de pendentif.
Chacune des faces de la pièce (plus ou moins ronde) portait une inscription en caractères arabes inscrite dans un double carré. La date n’a pu être déchiffrée par les traducteurs, MM Derrer et Belhadj à qui elle a été soumise. Sur l’une des faces, on pouvait lire : « le possesseur du royaume le bien connu Sultan Mourad, fils de Soleiman », sur l’autre face : « le roi de la terre et de la mer, de la Syrie et de l’Irak, que Dieu rende éternel son royaume » (D’après cette traduction, cette pièce devait remonter au XVIème siècle, sous le règne du sultan des Turcs ottomans, Mourad III, qui régna de 1574 à 1595, après Sélim II auquel succéda à Soliman II, surnommé le Grand, le Magnifique et le Législateur).
Au mois de décembre 1927, dans une grotte, deux autres pièces furent trouvées. Deux petites pièces de bronze rondes, de 2 cm de diamètre, portant sur les deux faces le sceau de Salomon.
Puis, en 1936, à nouveau trois autres pièces furent trouvées, également en bronze, mais légèrement plus grandes que les précédentes (2 cent. ½ environ de diamètre) portant sur une face le sceau de Salomon et sur l’autre face la date de la frappe et une courte inscription. La première porte la date de 1285, la seconde de 1287 et la troisième de 1288.
Il existait deux autres pièces identiques, datées de 1288, dans la salle du rez-de-chaussée du Musée de Tlemcen et provenant de Guiard (Oran) (don de M. Brémond, inspecteur de l’Enseignement). Dans la notice manuscrite qu’il consacre à ces deux pièces semblables, M. Paul Courtot écrit : « La frappe paraît bien européenne et médiévale. Il s’agit sans doute d’exemplaires de ces monnaies frappées en Europe surtout dans les villes italiennes pour le commerce avec la Berbérie. Pour faire mieux accueillir la monnaie par les Musulmans, on crut devoir en supprimer les effigies humaines que l’on remplaça par un symbole sémitique, comme le sceau de Salomon. »
DEBRIS DE POTERIES
On retrouve sur le plateau de Taount des débris de poteries datant, tout au plus, du XIV siècle ou du XVème siècle. Certaines, assez rares, paraissent plus anciennes et plus grossières, de facture berbère, non cuites. A signaler encore la découverte de la partie supérieure d’une lampe en terre cuite, recouverte d’un enduit vernissé vert.
Source : Monographie de Francis Llabador