Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris années 1874/9/ pp 121-127I
Monsieur le commandant Mouchez, chargé de faire de l’hydrographie des côtes de l’Algérie, devait terminer l’année dernière son travail, persuadé avec raison qu’un naturaliste pourrait séjourner avec profit sur un bâtiment qui, stationnant continuellement près de la côte, se déplace tous les jours de 2 à 3 milles au plus. Il avait demandé qu’on lui adjoignît particulièrement un géologue pour compléter par des observations géologique le tracé des falaises qu’il relevait avec tant de soin. C’est en cette qualité que j’ai été embarqué à bord du Narval au mois de mai dernier grâce aux ressources de toute nature mise à ma disposition par Monsieur le commandant Mouchez j’ai pu explorer une bonne partie du littoral algérien. L’étude que j’en ai faite est plus spécialement géologique ; mais ce pays est si riche en documents anthropologiques que je n’ai pu manquer de faire quelques observations qui, bien qu’incomplètes, m’ont paru cependant présenter un intérêt suffisant pour que je sois venu aujourd’hui solliciter l’honneur de les soumettre à la Société.
La plus importante a trait à la découverte que j’ai faite dans les environs de Nemours (province d’Oran) d’un squelette que j’ai tout lieu de croire kabyle et d’une très haute antiquité. Nemours est la dernière ville française du littoral algérien vers le Maroc : elle est située au centre d’une petite baie très ouverte qui n’est protégée du côté de l’est que par un cap assez élevé formé de schistes et de calcaires plus ou moins dolomitiques, fortement redressés et profondément modifiés par des roches éruptives, spilites et basaltes, qui les ont traversés et recouverts.
On remarque à la partie supérieure de ce cap des tufs rougeâtres de formation relativement peu ancienne, épais de plusieurs mètres, et creusés d’une grande quantité de grottes naturelles ou agrandies artificiellement, que les documents historiques nous disent avoir été hantées par des pillards arabes qui avait établi là un poste militaire et n’avaient occupé ce promontoire qu’après en avoir chassé les Kabyles qui l’occupaient. Sur ses tufs on voit encore des ruines assez remarquables d’une ancienne ville, Touent, encore très florissante au onzième siècle.
Vers l’est, le cap entamé par la mer se termine par une falaise à pic qui forme une coupe naturelle parfaitement nette montrant sur les tufs précédents des dépôts quaternaires assez épais, reposant directement sur la tranche des schistes fortement relevés et contournés en cet endroit. Ces dépôts se composent de grès calcarifères et de tufs noduleux terminés par des marnes argilos-sableuses remplies de fragments des schiste sous-jacents, épaisses de 10 à 12 mètres, et servant directement de substratum aux tufs supérieurs dans lesquels sont creusées les grottes. Dans la partie moyenne de ces marnes on voyait un squelette qui paraissait couché sur le flanc, et dont la tête presque entièrement dégagée par les agents atmosphériques qui désagrègent facilement ces dépôts peu résistants, était sans doute sur le point de rouler à la mer.
Toute cette falaise entaillée fraîchement par suite d’un récent éboulement et complètement à pic, était d’un accès fort difficile, aussi je n’ai pu atteindre le squelette qu’en taillant au marteau une sorte d’escalier, circonstance fâcheuse qui ne m’a pas permis d’en recueillir tous les ossements. Je n’ai rapporté que la tête assez bien conservée et je viens de la confier à Monsieur Hamy qui s’est chargé d’en faire l’étude et de la comparer à celle des autres sépultures anciennes de l’Algérie.
La coupe n’étant plus aussi nette dans cette partie supérieure, et les terres trop meubles ne m’ayant pas permis d’atteindre ce point, je n’ai pu m’assurer si le couloir traversait également la couche de tuf qui paraissait peu épaisse, ou s’y arrêtait, et savoir par conséquent si la sépulture était antérieure ou postérieure à la formation du tuf. Je serai cependant porté à la croire antérieure. Le couloir et la fosse ayant été remblayés avec ces mêmes marnes dans lesquels le tout avait été creusé, si la couche de tuf avait dû être traversée on en retrouverait les fragments dans ce remblai, et je n’en ai pas vu traces. Les objets qu’on n’avait pas dû manquer de déposer près du cadavre en l’ensevelissant, avaient probablement disparus avec l’éboulement. J’ai recueilli cependant, au tiers inférieur du couloir de descente, deux petites poteries assez curieuses, un disque arrondi a, sorte de peson de fuseau sans doute, et un petit vase b en forme d’urne à panse arrondie, d’une fabrication tout à fait primitive, fait à la main, en terre peu résistante, mélangée de nombreux grains de quartz, d’une teinte extérieure terreuse et grisâtre, noire dans la cassure, avec des impressions des doigts très marquées. Il serait maintenant téméraire d’assigner une date précise à cette sépulture avec des documents aussi incomplet. Les tufs calcaires qui paraissent la recouvrir sont de formation relativement récente, et se déposent encore actuellement sur toutes les pentes des montagnes de la côte ; c’est une formation en quelque sorte pluviale, résultant de l’action des eaux atmosphériques sur les roches calcaires des sommets, mais qui dans certains points a dû autrefois être activée par des sources thermales abondantes très chargées en carbonate de chaux. C’est le cas du promontoire de Touent. La position du squelette, et surtout les poteries grossière qui l’accompagnent témoignent certainement d’une haute antiquité. Ainsi cette sépulture particulière qui ne se rapporte à aucune de celles signalées jusqu’à présent en Algérie, vient nous apprendre l’existence en ce point à une époque très reculée d’une population qui ensevelissait ses morts dans des puits funéraire.
Le général Faidherbe, par ses remarquables études sur les dolmens de l’Algérie, a depuis longtemps attiré l’attention sur la présence au milieu de ces tribus Kabyles dissiminées maintenant sur le sol algérien d’individus blonds particuliers, différant singulièrement de la population au milieu de laquelle ils sont épars, et qui, ayant conservé ou repris les caractères essentiels de leur race, semblent venir confirmer une très ancienne invasion des régions septentrionale de l’Afrique par une peuplades venant du nord de l’Europe. Non loin des ruines remarquables d’une ville turque, Honaïn, à l’est du Cap Noé dans la province d’Oran, j’ai rencontré dans une petite vallée arrosée par l’oued Enhamed une tribu kabyle, où ces types blonds prédominaient. Descendus momentanément sans doute de leur village situé sur les hauteurs avoisinantes, ils étaient là campés sous des figuier et cultivaient cette petite vallée qui paraissait très fertile. C’était assurément un spectacle auquel je n’étais pas habitué depuis que j’explorais la côte, que l’aspect de ces plantations, de ces jardins convenablement irrigués, ombragés de nombreux arbres fruitiers. Aussi, je m’attendais à trouver là toute une colonie d’Européens, Et ma surprise fut grande quand j’eus découvert des agriculteurs indigènes ; mais je suis surtout frappé du type particulier de certains d’entre eux. C’était des hommes de haute taille, très musclés, portant sur leur tête couverte d’un fez de laine rouge ; leur front assez large était beaucoup moins fuyant que celui des Arabes, leur nez droit avec le teint peu foncé ; trois d’entre eux avaient les cheveux d’un blond ardent, tirant sur le roux. Les femmes surtout étaient tout à fait remarquables : elles étaient également grandes, avec une chevelure fine et épaisse, d’un blond doré ou pâle, relevée sur le front et tressée en longues nattes, qu’elles laissaient retomber derrière leurs épaules. Leurs yeux étaient bleus, très ouverts avec des sourcils fins et presque horizontaux ; leur jambe fine, terminée par un pied proportionnellement petit ; sous d’autres vêtements que ceux qui les recouvraient, il eut été assurément difficile de les distinguer de nos plus beaux types du Nord. Une petite fille de huit à dix ans présentait à un si haut degré les caractères que j’indique, que le lendemain les officiers du bord qui vinrent avec moi visiter cette tribu en furent tout à fait frappés.
C’est du reste, pour ne parler que de la province d’Oran, dans toute cette région montagneuse et accidentée des Traras que les Kabyles se sont le mieux préservés de la contamination du sang arabe. La présence de types blonds au milieu d’eux ne constitue pas un fait isolé, il en existe dans presque toutes les tribus kabyles de l’Algérie, aussi bien dans l’Ouest, vers le Maroc, que dans l’est et dans le centre, pas beaucoup plus sur un point que sur un autre, et dans la proportion déjà indiquée par le Général Faidherbe.
Monsieur Hamy n’a pas pu étudier complètement le crâne préhistorique de Touent, qui a besoin de quelques réparations ; mais l’examen rapide qu’il en a pu faire lui permet déjà d’assurer qu’il rentre dans le type qui prédomine à Roknia, et dont les alluvions de Guelma avez déjà fourni, il y a de longues années, un intéressant spécimen.
M. Mac Carthy m’écrivait récemment, qu’en résumant les nombreuses observations qu’il a faites à ce sujet surtout le sol algérien, il voit que le type de ces individus blonds présente tout à fait les caractères essentiels à la race germanique, en même temps qu’ils offrent quelques fois une similitude étonnante avec celui que nous sommes habitués à donner aux Romains proprement dits. Chez certains individus il a trouvé le faciès complet et surtout ce profil que nous sommes habitué avoir sur les monnaies du peuple-roi. (….)